Adieu, Laurence Louppe…
Laurence Louppe, dernières traces
Le monde de la danse vient de perdre l’une de ses figures les plus singulières. Depuis le début des années 80, Laurence Louppe, décédée le 5 février d’une grave démence frontale, l’avait investi à sa manière inimitable.
Ecrivaine et chercheuse, critique, elle avait fini, il y a quelques années , par entrer dans la danse au sens le plus concret du terme, quand elle participa aux performances du chorégraphe Alain Buffard, notamment Dispositifs 3.1 et à Dé-marche (2002).
Tous ceux qui l’ont vue se souviennent de ce personnage blond, hérissé et aigu qui élevait l’auto-parodie au rang de l’un des beaux-arts. Comme si le décalage était le legs d’une génération, celle à laquelle elle a appartenu et qu’elle a si bien illustrée.
Agrégée de lettres modernes à 23 ans, universitaire érudite, elle avait enseigné aux Etats-Unis , puis aux lycées de Montélimar à celui d’ Epernay, avant d’être assistante à l’université de Lille; elle s’intéressait autant à l’histoire des femmes qu’à l’esthétique et à la danse, qu’elle a défendue durablement à Art Press, comme responsable de rubrique à partir des années 80, ainsi qu’à Libé et à Pour la danse, et dont elle a été une collaboratrice régulière.
Férue de danse post-modern américaine, en particulier de Trisha Brown pour laquelle elle avait une ferveur particulière, elle aura accompagné toute la génération de la « nouvelle danse « française, de Jean-Claude Gallotta, sur lequel elle a été l’une des premières à écrire , à Dominique Bagouet surtout , à Daniel Larrieu, Odile Duboc, ou plus tard les chercheurs du quatuor Knust, et beaucoup d’autres…Dont Cunningham et Pina Bausch.
Brillante conférencière, elle a dirigé de nombreux stages avec Dominique Dupuy, et a enseigné notamment à l’université du Québec, et à PARTS, l’école d’Anne -Teresa de Keersmaeker, enfin dans le cadre de l’école qu’elle avait elle-même créée, le CEFEDEM-Sud d’Aubagne.
Commissaire de la mémorable exposition Danses tracées, à la Vieille-Charité de Marseille en 1991, elle avait élaboré, sur la base de manuscrits et de croquis de chorégraphes, l’un de ces très savants catalogues dont elle avait le secret.
Poétique de la danse et Poétique de la danse, suite sont deux livres qui, par leur qualité d’écriture et leur exigence esthétique, restent les plus précieux sur les trente dernières années de la danse d’aujourd’hui.
Laurence Louppe avait été nommée Chevalier des Arts et Lettres en 2009. Elle était l’épouse de Philippe du Vignal. Elle repose désormais en paix au petit cimetière du Prat, commune de Cassaniouze (Cantal), comme elle l’avait toujours souhaité.
Chantal Aubry
Principales publications de Laurence Louppe :
- Jean-Claude Gallotta, groupe Émile Dubois, en collaboration avec Jean-Louis Schefer et Claude-Henri Buffard, éditions Dis Voir, 1988
- Danses tracées : dessins et notation des chorégraphes, catalogue d’exposition, Musées de Marseille, Paris, Dis Voir, 1991.
- Âge du corps, maturité de la danse : actes de la table ronde, 13 avril 1996, Le Cratère-Théâtre Alès, Alès, 1997
- Poétique de la danse contemporaine, coll. « La pensée du Mouvement », éditions Contredanse, Bruxelles, 1997
- L’Histoire de la danse. Repères dans le cadre du diplôme d’État, 2000.
- Poétique de la danse contemporaine, la suite, éditions Contredanse, Bruxelles, 2007
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Cher Philippe,
Je t’adresse les condoléances de la Compagnie, les miennes et ma grande tristesse pour la disparition de Laurence.
Tu sais combien elle a compté pour nous, comme elle nous a aidés aussi, combien elle a éclairé la route des danseurs, des chorégraphes, des créateurs, finement, intelligemment, légitimement, avec sa compréhension de l’intérieur, ne se fiant jamais aux apparences, mais allant chercher derrière la forme, le sens de l’oeuvre, sa mise en contexte, confiante en ce qui était donné et dans ce qui était unique, original, précieux pour cette trace laissée par chacun dans la chorégraphie, l’écriture.
Pour nous, baroqueux, qui n’étions pas forcément considérés comme faisant partie de la création contemporaine, elle n’a jamais fait sentir quoi que ce soit d’autre que compréhension, engagement à notre égard pour défendre ce qui était nouveau, dans l’expérimentation, en devenir, nous donnant espoir quant à la création et notre droit de cité. Pour moi, cela a été essentiel dans une forme d’art pas facile à apprécier, d’avoir ce soutien de fond, cette générosité, cette analyse sans préjugés.
Je lui dois beaucoup, et je ne suis pas la seule, je le sais : intellectuellement elle a beaucoup apporté au monde de la danse et pour faire connaître ce monde. Sa présence rafraichissait ce monde de la danse, si peu monde, mais plutôt unités, partagées souvent entre le sérieux, trop sérieux des uns, et l’isolement des autres, l’extrême variété des expériences qui isolent chacun. Son humour et sa réflexion étaient rassurants, dans les difficultés rencontrées par les chorégraphes, les compagnies, les interprètes.
Nous pensons à toi qui as vécu toute cette suite et cette fin très dure à supporter. J’espère que tu pourras surtout repenser à toutes ces belles années où elle a été un rayon de vive intelligence et un foyer de résistance à l’ambiance parfois morose, difficile dans laquelle sont plongés les artistes (pas toujours! heureusement! il y avait aussi les joyeux évènements de ceux qui pouvaient monter leurs oeuvres et qui rencontraient l’approbation des publics et des instances officielles ). Laurence a grandement participé à l’histoire de la danse contemporaine par ses écrits, ses analyses, ses articles dans Libé, ses écrits théoriques, si peu théoriques ou si grandement théoriques parce que vivants.
Qu’elle soit ici solennellement saluée et remerciée, elle qui a été aimée par tous ceux qu’elle a côtoyés.Nous ne l’oublierons pas et nous t’accompagnons dans la tristesse.
Avec toutes nos amitiés et notre affection.
Christine Bayle directrice de la Compagnie L’Eclat des Muses
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