Apprivoiser la panthère
Apprivoiser la panthère texte de Jalie Barcilon, écriture collective de La Poursuite/Makizart, mise en scène de Hala Ghosn.
Plateau nu avec rideaux et pendrillons noirs. Les cinq comédiens alignés face public écoutent la metteuse en scène faire une annonce au public pour dire que le spectacle est librement inspiré de l’essai d’Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, dont elle lit un court extrait. Hala Ghosn avertit aussi le public que, suite à l’abandon brutal du spectacle par une des comédiennes, sa camarade la remplacera et jouera deux personnages que l’on pourra reconnaître grâce à un costume différent. Le gros mensonge, marche à fond, et le public applaudit.
Aussitôt, des militaires en treillis kaki, tee-shirts blancs et rangers noirs portent de cercueils figurés par de longs coffres gris; il y a ensuite une scène où Kirsten, une jeune actrice allemande arrive dans un hôtel international et raconte ses origines, notamment un grand-père national socialiste, une autre où, dans un avion ,deux jeunes gens sont à un cheveu de se battre : question d’identité et de nationalisme exaspéré dans un espace quelque part dans le ciel qui appartient à tous… Lucas, comédien franco-breton fait dans le théâtre et l’humanitaire et rencontre Rida, grande actrice qui a quitté son pays après la mort de son fiancé qui a été assassiné. Petites scènes précises et justes qui, mine de rien, ne font pas dans la leçon moralisatrice mais qui offrent façon comedia del’arte de belles pistes de réflexion.
Aucun décor: seulement quelques praticables multifonctions et projections destinés à situer les choses dans le temps et dans l’espace: les silhouettes blanches de deux jeunes femmes, les vitres d’un hall d’aéroport avec un bruit diffus de moteurs d’avion: une scénographie vidéo de Jérôme Faure et un univers sonore de Frédéric Picart d’une rare intelligence. Les cinq jeunes comédiens: Hélène Lina Bosch, Jérémy Colas, Céline Garnavault, Darko Japelj, Jean-François Sirerol, très à l’aise sur le plateau, ont une gestuelle et une diction impeccables: du genre aussi discret qu’efficace. Comme cette hôtesse de l’air en travesti, plus vraie que nature.. Ils ont été visiblement été bien formés, si on a compris, à l’Académie de Limoges…
Tout va pour le mieux – y compris une caricature réjouissante de François Mitterrand-jusqu’au moment, où il y a des scènes de théâtre dans le théâtre, quand l’assistante souffle le texte depuis la coulisse, ou quand la metteuse en scène assise dans la salle s’engueule avec les comédiens… Impossible de croire une seconde à ces répliques et à cette dramaturgie d’une rare indigence, sans doute construite à partir d’impros et mille fois vues… Comme si c’était une recette imparable!
Leurs enseignants auraient quand même dû signaler à ces jeunes comédiens en formation que ce théâtre dans le théâtre ne date pas d’hier (16 ème siècle! Voir entre autres: Rotrou, Shakespeare, Molière, Marivaux, Goldoni, Pirandello, Brecht, etc…), et que c’est devenu un poncif exaspérant du spectacle contemporain. Cela leur aurait évité de faire basculer, leur spectacle-qui se termine mais qui ne finit pas-dans une certaine confusion et dans l’auto-satisfaction.
Dommage! Mais, bon, pas grave si les petits cochons ne la mangent pas, cette équipe, qui possède une unité et un savoir-faire assez étonnant, devrait refaire parler d’elle…
Philippe du Vignal
Théâtre Romain Rolland de Villejuif jusqu’au 17 février. Puis à l’Atrium de Dax le 16 mars et à L’Espace Marcel Pagnol à Fos-sur-mer le 20 avril.
Cher Philippe
j’ai vu « Apprivoiser la Panthère » (bien avant de lire ta critique) et j’ai été très déçu. Je suis d’accord avec toi le moment de pseudo théâtre dans le théâtre est mauvais et réchauffé, même si dans un public peu habitué, ça marche toujours. J’ai trouvé que le pétage de plombs avec imitations de Miterrand était bien réussi, plutôt drôle à mon goût. Sinon, spectacle largement, très largement surestimé à mon avis. La scéno est assez moche quoique basiquement utilitaire, et l’utilisation de la vidéo illustrative au possible, ajoutant de la laideur mais pas du sens. Une esthétique « télé » qui est au niveau du traitement du sujet : consensuel et rempli d ‘idées reçues. Politiquement très très correct, une façon de traiter en surface un thème prodigieux, celui de l’identité. Dire que tout le monde est gentil mais à quand même des petits défauts, c’est le message de cette pièce à message… Donc, avec un contenu fade, des dialogues gentillets, des décors idem, les acteurs font ce qu’ils peuvent, ils s’en sortent bien en effet. On attend beaucoup plus du théâtre sur des sujets comme celui-ci, on attend qu’il nous bouscule, pas qu’il nous caresse dans le sens du poil. On attend une prise de position, et une esthétique qui assume elle aussi un véritable point de vue, pas de la soupe, sous prétexte de simplicité… En ces temps troublés, le théâtre doit être profondément politique et dérangeant, et sa forme doit aller avec. Sur un autre sujet, voir la magnigique réussite de « Cassé », de Rémi de Vos, au TGP…
Merci en tout cas pour ce blog et bravo, continue, c’est urgent !
Amitiés
Jérémie