En attendant Tartuffe
En attendant Tartuffe, texte de Molière, mise en scène de Joséphine Déchenaud.
Joséphine Déchenaud donne un coup de fouet à ce bijou de dialectique qu’est Le Tartuffe . Redonner du piquant à ce classique ne va pas de soi et il faut savoir s’y prendre avec tact: la pièce est astucieuse dans sa radicalité. Ne pas en rajouter, laisser les mots dire ce qu’ils signifient, c’est reconnaître la langue efficace de Molière.
La religion, ses apparences et ses hypocrisies, ses abus et ses faux éclats, rien n’est plus contemporain à notre vieille Europe. C’est un sujet de choix pour les controverses de nos temps présents, et, quand bien même il ne s’agirait plus de la stricte croyance, ces images sur le mensonge et la vérité, les faux-semblants et l’authenticité qui déferlent en une heure et demi sur le public, mettent à mal toutes les idées reçues.
Et, dans la mise en scène de Joséphine Déchenaud, les signes élémentaires font foi : une table comme seul accessoire, celle où Orgon découvre que Tartuffe le trompe. Le rouge de la nappe rappelle celui de la ceinture d’Elmire, la couleur du feu de la passion et du désir ; sinon, le noir s’impose: austérité et réserve, restriction des douceurs et des plaisirs en ce bas monde.
L’intérieur du Picolo en plein marché des Puces à Saint-Ouen, correspond exactement à la situation: un escalier de bois en spirale vers le premier étage où est censé prier Tartuffe, une porte à claire-voie non loin de l’office, un lieu où se cacher pour les enfants d’Orgon et la malicieuse Dorine. Tout est en place pour ce drame mi-figue mi-raisin.
Saluons l’intensité et la puissance intérieures de chacun des comédiens. Yvan Gauzy (Madame Pernelle) est raide et figé à souhait, tel un insecte noir. La grande et brune Hélène Bouchaud (Elmire) est un exemple d’élégance , digne et honnête épouse, comme il se doit. Quant à Orgon, Patrick Mons en fait un remarquable chef de famille, sûr de lui mais fragilisé par ses aveuglements. Le manteau bleu marine et la barbe légère font de lui un représentant de nos fonctionnaires bien assis. Seul, le regard de ses yeux clairs révèle peut-être la confusion de sa perception de la réalité et des êtres.
Denis Mathieu (Cléante) symbolise l’honnête homme, accordant à chacun ses qualités et ses droits dans la reconnaissance du bonheur. Céline Vacher (Marianne) est sincère dans ses sentiments profonds ; Benjamin Abitan (Valère) possède un élan juvénile. Quant à Damis, (Rémi Saintot), il est fougueux comme son père. Enfin, Joséphine Déchenaud joue une Dorine qui prend plaisir à manipuler le monde autour d’elle, au seul service de ses jeunes maîtres. Bertrand Saint (Tartuffe), représente la mauvaise foi, véritable suppôt de Satan.
Le spectateur ne se lasse pas de voir les fourbes punis et les outrecuidants déboulonnés. Un vrai plaisir.
Véronique Hotte
Théâtre du Picolo, 58 rue Jules Vallès à Saint-Ouen.Les jeudis et vendredis à 20h30 jusqu’au 24 février 2012. Réservations : 01 40 11 22 87