J’étais dans ma maison
J’étais dans ma maison et j’attendais que la nuit tombe de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Catherine Decastel.
Jean-Luc Lagarce est sans doute maintenant (1957-1995) l’un des auteurs français les plus joués, à la fois par nombre de jeunes compagnies mais aussi à la Comédie-Française… Il est même aussi cette année au programme de l’agrégation de lettres classiques, modernes et de grammaire. Ce qu’on appelle la gloire posthume et qui aurait bien fait sourire Lagarce, si peu joué de son vivant…Nous ne l’avions connu que lors d’une brève rencontre autour d’un café quand,très amaigri, il avait quand même tenu à venir à Chaillot nous apporter pour un article, une photo de La Cantatrice chauve qu’il avait si bien mis en scène. Quelques mois plus tard, il mourrait du sida.
Catherine Decastel a choisi de mettre en scène cette pièce qui n’est peut-être pas la meilleure des vingt-cinq qu’il a écrites mais qui est sans doute la plus attachante. Il n’y a pas à vrai dire de véritable scénario; la mère et les sœurs d’un jeune homme qui revient à la maison mais qui restera silencieux. Elle sont là terriblement présentes et parlent beaucoup, parfois en boucle, avec violence, dans un ultime sacrifice, dans un un ultime exorcisme, pour dire leur amour frustré, leur exigence. Il y a autant d’amour que de haine, si bien que l’on ne sait plus très bien où elles veulent en venir. J’étais dans ma maison devinent ainsi comme un long poème à la fois dit et chorégraphié. Un texte parfois inégal mais écrit dans une langue admirable surtout dans les dernières dix minutes.
Catherine Decastel a bien su diriger ses Anaïs Pénélope Boissonnet, Emilie Coiteux, Clémence Laboureau, Aurélia Pénafiel, Noémie Sanson qui ont une impeccable diction, ce qui, par les temps qui courent, est plutôt rare mais aussi une belle gestuelle, et il faut saluer la rigueur et l’intelligence de cette mise en scène, d’autant plus que les cinq comédiennes restent sur le petit plateau des Déchargeurs pendant 75 minutes autour de Florent Arnoult dans le personnage du frère absent dans le texte original. « Les actes ne commencent-ils pas par des mots » fait remarquer Catherine Decastel ». C’est bien ce qui sous-entend la pièce de Lagarce et ce déferlement d’affection et de règlements de comptes au sein de la cellule familiale. Ces cinq femmes ont besoin évident de vider leur sac après la longue attente de l’être aimé dont la réapparition révèle paradoxalement chez elles un terrible manque. Et cela, la metteuse en scène le fait remarquablement sentir
Au chapitre des bémols, les robes noires longues ou courtes, pas très bien coupées mériteraient d’être revues, et par ailleurs, ce maquillage blanc tout à fait intelligent, qui donne une comme une unité familiale à ces visages de jeunes femmes, finit par se mettre un peu partout sur les robes , et c’est dommage. Mais si vous voulez faire connaissance avec cette pièce assez peu jouée, ou bien avec Lagarce, c’est vraiment l’occasion.
Philippe du Vignal
Théâtre des Déchargeurs jusqu’au 3 mars.
Les textes de Jean-Luc Lagarce sont édités aux éditions des Solitaires intempestifs