Médée

Médée, texte de Pascal Quignard, musique d’Alain Mahé et danse bûto de  Carlotta Ikeda.

  Pascal Quignard, est le récitant de son propre texte, Alain Mahé joue sa musique et Carlota Ikéda danse. Chacun a son langage, sa partition, et la mène très loin.  Le texte de Pascal Quignard appartient à sa meilleure veine, celle de l’ « essai lyrique ». Il analyse méthodiquement le nom de Médée, avec tout ce qu’il porte de médecine et de méditation, et aussi cette part terriblement obscure du masculin terrifié par le féminin, ces otages terribles que sont les enfants aux mains des femmes, ces « médeas » que sont les couilles coupées en un sacrifice ultime. Ensuite, il déroule et tisse le fil de la légende, jusqu’aux implications – les plis – présentes dans la pensée, dans la vie d’aujourd’hui. Un texte d’une rigoureuse beauté. Dialogue avec lui,  la musique d’Alain Mahé, qui accompagne la venue de la lumière. Musique à la fois raréfiée, comme l’air à huit mille mètres, on suppose, et très matérielle ; on sent, on entend les souffles et les chocs du bois. Naissent des images du Japon.
Le cercle de lueurs s’ouvre, change, et dessine sur les planches trois tombes de lumière. La danseuse est là. Elle danse ? Elle vit de tout son corps empaqueté de vêtements, puis libéré par une sorte d’exaltation, elle se plie et se déplie en un mouvement ininterrompu, jamais fixé même quand il semble s’arrêter, portant dans toute sa respiration la mémoire du texte que l’on vient d’entendre. Et aussi celle de ses années dansées avec un corps plus jeune, différent, mais qui habite encore celui que nous voyons.
Trois personnes, dans un même espace : quelque chose se construit plus en dialectique qu’en dialogue, dans le calme de l’affirmation forte de chacune. Elles sont d’autant plus ensemble qu’elles ne vont pas l’un vers l’autre, dans le temps court de la représentation. Elles vont vers nous, et l’édifice se construit. C’est très beau.

Christine Friedel

Théâtre Paris-Villette – 01 40 03 72 23 – jusqu’au 19 février

 

http://www.dailymotion.com/video/xgo9aj

Archive pour février, 2012

Apprivoiser la panthère

 Apprivoiser la panthère  texte de Jalie Barcilon, écriture collective de La Poursuite/Makizart, mise en scène de Hala Ghosn.

Apprivoiser la panthère apprivoiser-la-panthere

 Plateau nu avec rideaux et  pendrillons noirs. Les cinq comédiens alignés face public écoutent la metteuse en scène faire une annonce au public pour dire que le spectacle est librement inspiré de l’essai d’Amin Maalouf, Les Identités meurtrières,  dont elle lit un court extrait.  Hala Ghosn avertit aussi le public que, suite à l’abandon brutal du spectacle par une des comédiennes, sa camarade la remplacera et  jouera deux personnages que l’on pourra reconnaître grâce à un costume différent. Le gros mensonge, marche à fond,  et le public applaudit. 
  Aussitôt, des militaires en treillis kaki, tee-shirts blancs et rangers noirs portent de cercueils figurés par de longs coffres gris; il y a ensuite une scène où  Kirsten, une jeune actrice allemande arrive dans un hôtel international et raconte ses origines, notamment un grand-père national socialiste, une autre où, dans un avion ,deux jeunes gens   sont à un cheveu de se battre : question d’identité et de nationalisme exaspéré  dans un espace quelque part dans le ciel qui appartient à tous… Lucas, comédien franco-breton fait dans le théâtre et l’humanitaire et rencontre Rida, grande actrice qui a quitté son pays après la mort de son fiancé qui a été assassiné. Petites scènes précises et justes qui, mine de rien,  ne font pas dans la leçon moralisatrice mais qui offrent façon comedia del’arte de belles pistes de réflexion.
   Aucun décor:  seulement quelques  praticables multifonctions et projections destinés à situer les choses dans le temps et dans l’espace: les silhouettes blanches de deux jeunes  femmes, les vitres d’un hall d’aéroport avec un bruit diffus de moteurs d’avion:  une scénographie vidéo de Jérôme Faure  et un univers sonore de  Frédéric Picart d’une rare intelligence. Les cinq jeunes comédiens: Hélène Lina Bosch, Jérémy Colas, Céline Garnavault, Darko Japelj, Jean-François Sirerol, très à l’aise sur le plateau, ont une gestuelle et une diction impeccables: du genre aussi discret qu’efficace. Comme cette hôtesse de l’air en travesti, plus vraie que nature.. Ils ont été visiblement été bien formés, si on a compris, à l’Académie de Limoges…
  Tout va pour le mieux – y compris une caricature réjouissante de François Mitterrand-jusqu’au moment, où  il y a des scènes de théâtre dans le théâtre, quand l’assistante souffle le texte depuis la coulisse,  ou quand la metteuse en scène  assise dans la salle s’engueule avec les comédiens… Impossible de croire une seconde à ces répliques et à cette dramaturgie d’une rare indigence, sans doute construite à partir d’impros et mille fois vues… Comme si c’était une recette imparable!
Leurs enseignants auraient quand même dû signaler à ces jeunes comédiens en formation que ce théâtre dans le théâtre ne date pas d’hier (16 ème siècle! Voir entre autres:  Rotrou, Shakespeare, Molière, Marivaux, Goldoni, Pirandello, Brecht, etc…),  et que c’est devenu un poncif exaspérant du spectacle contemporain. Cela leur aurait évité de faire basculer, leur spectacle-qui se termine mais qui ne finit pas-dans une certaine confusion et dans l’auto-satisfaction.

   Dommage! Mais, bon, pas grave si les petits cochons ne la mangent pas, cette équipe, qui possède une unité et un savoir-faire assez étonnant, devrait refaire parler d’elle… 

Philippe du Vignal

Théâtre Romain Rolland de Villejuif  jusqu’au 17 février. Puis à l’Atrium de Dax le 16 mars et à L’Espace Marcel Pagnol à Fos-sur-mer le 20 avril.

En attendant Tartuffe

En attendant Tartuffe, texte de Molière, mise en scène de Joséphine Déchenaud.

         En attendant Tartuffe tartuffe-011Joséphine Déchenaud donne un coup de fouet à ce bijou de dialectique qu’est Le Tartuffe . Redonner du piquant  à ce  classique  ne va pas de soi  et  il faut savoir s’y prendre avec tact:  la pièce est astucieuse dans sa radicalité. Ne pas en rajouter, laisser les mots dire ce qu’ils signifient, c’est reconnaître la langue efficace de Molière.
La religion, ses apparences et ses hypocrisies, ses abus et ses faux éclats, rien n’est plus contemporain à notre vieille Europe. C’est un sujet de choix pour les controverses de nos temps présents, et, quand bien même il ne s’agirait plus de la stricte  croyance, ces images sur le mensonge et la vérité, les faux-semblants et l’authenticité qui déferlent en une heure et demi sur le public, mettent à mal toutes les idées reçues.
Et, dans la mise en scène de Joséphine Déchenaud, les signes élémentaires font foi : une table  comme seul accessoire, celle où Orgon découvre que Tartuffe le trompe. Le rouge  de la nappe rappelle celui de  la ceinture d’Elmire, la couleur du feu de la passion et du désir ; sinon, le noir s’impose: austérité et réserve, restriction des douceurs et des plaisirs en ce bas monde.
L’intérieur du Picolo en plein marché des Puces à Saint-Ouen, correspond exactement à la situation: un escalier de bois en spirale vers le premier étage où est censé prier Tartuffe, une porte à claire-voie non loin de l’office, un lieu où se cacher pour les enfants d’Orgon et la malicieuse Dorine. Tout est en place pour ce drame mi-figue mi-raisin.
Saluons l’intensité et la puissance intérieures de chacun des comédiens. Yvan Gauzy (Madame Pernelle) est raide et figé à souhait, tel un insecte noir. La grande et brune Hélène Bouchaud (Elmire) est un exemple d’élégance , digne et honnête épouse, comme il se doit. Quant à Orgon, Patrick Mons en fait un remarquable chef de famille, sûr de lui mais fragilisé par ses aveuglements. Le manteau bleu marine et la barbe légère font de lui un représentant de nos fonctionnaires  bien assis. Seul, le regard de ses yeux clairs révèle peut-être la confusion de sa perception de la réalité et des êtres.
Denis Mathieu (Cléante) symbolise l’honnête homme, accordant à chacun ses qualités et ses droits dans la reconnaissance du bonheur. Céline Vacher (Marianne) est sincère dans ses sentiments profonds ; Benjamin Abitan (Valère)  possède un élan juvénile. Quant à Damis, (Rémi Saintot), il est fougueux comme son père. Enfin, Joséphine Déchenaud joue une Dorine qui prend plaisir à manipuler le monde autour d’elle, au seul service de ses jeunes maîtres.  Bertrand Saint (Tartuffe), représente la mauvaise foi, véritable suppôt de Satan.
Le spectateur ne  se lasse pas de voir les fourbes punis et les outrecuidants déboulonnés. Un vrai plaisir.

Véronique Hotte

Théâtre du Picolo, 58 rue Jules Vallès à Saint-Ouen.Les jeudis et vendredis à 20h30 jusqu’au 24 février 2012. Réservations : 01 40 11 22 87

Prométhée enchaîné

Prométhée enchaîné d’Eschyle, texte français, adaptation & mise en scène d’Olivier Py.

  Prométhée enchaîné Prometh%C3%A9eCe Prométhée est  la seule pièce conservée et peut-être la première d’une trilogie dont les autres pièces-perdues- seraient un Prométhée délivré et Prométhée porte-feu du  le célèbre auteur des Perses et de l’Orestie. Prométhée  (Le Prévoyant, en grec) est un Titan qui a dérobé le feu de l’Olympe pour l’offrir aux mortels. Mais Zeus ne supporte pas  cet affront et le condamnera à finir enchaîné par Héphaïstos un artisan,  à un rocher du Caucase, avec l’aide de Pouvoir et de Force. Le chœur des Océanides condamnera  la tyrannie du roi de Dieux . Il y a aussi Io qui vient raconter à Prométhée son rêve: faire l’amour avec Zeus et Prométhée sait qu’elle donnera naissance à  Héraclès qui le libérera… Héraclès envoyé par Zeus cherche lui à obtenir de Prométhée ce secret mais celui-ci refusera, et Zeus provoquera la foudre qui fera tomber les rochers sur lui ; il enverra aussi son aigle lui manger le foie.
  L’œuvre d’Eschyle tient plus d’un long poème, aux références mythologiques pas toujours évidentes quelque vingt cinq siècles après, mais, comme le remarquait finement Pierre Vidal-Naquet  » les problèmes qui affleurent dans la pièce, ceux  des rapports entre le pouvoir et le savoir,  entre la fonction politique et la fonction technique,  ces problèmes-là n’ont peut-être pas fini de nous tourmenter ». Et on comprend que ce Prométhée  continue à fasciner nombre de metteurs en scène, comme Stéphane Braunschweig il y a une dizaine d’années et maintenant Olivier Py, grand admirateur du théâtre d’Eschyle.
Py avait déjà monté L’Orestie (voir Le Théâtre du Blog), et surtout, avec beaucoup de succès Les Sept contre Thèbes dans une version « poche » interprétée par quelques comédiens. Cette fois, il reprend cette même formule  sur le grand plateau des Ateliers Berthier. Soit  une scène à l’envers avec les traditionnels Jardin à gauche et Cour à droite puisque nous somme censés être du côté scène, avec les comédiens. Il y a même une petite rampe, une table de maquillage,  et la sacro-sainte servante (ampoule sur un axe de fer qui éclaire la scène en dehors de spectacles) qui est un peu comme la marque de fabrique /fétiche de nombre de spectacles d’Olivier Py. Et  en fond de la scène,  quelques rangées rangées de fauteuils d’une vraie salle,  une table de répétitions avec sa lampe et un tas de papiers de régie. Bref, une fois de plus, la vieille recette du théâtre dans le théâtre.

   Convaincant? Pas trop. On comprend que le metteur en scène ait voulu éloigner la pièce d’Eschyle de tout décor réaliste (type faux rocher). Mais on ne voit pas très bien ce que cette scénographie si souvent employée peut apporter… Au début, pour en rajouter une petite louche dans la distanciation, il y a un jeune homme assis qui surfe sur son Mac. Bon… Et trois acteurs seulement : Céline Chéenne qui interprète le texte du chœur des   Océanides,  Xavier Gallais (qui est successivement  Héphaïstos, Océan, Io, Hermès , Pouvoir et Force), et Olivier Py qui s’est gardé Prométhée. Pourquoi pas? Xavier Gallais est assez crédible surtout au début dans Héphaïstos, comme l’est aussi Céline Chéenne mais on comprend mal pourquoi Olivier Py tape sur les mots, crie très souvent, comme pour être plus convaincant, et là, bien entendu, cela ne fonctionne pas. Même si le texte d’Eschyle  a de fulgurantes beautés, le sens de la mise en scène nous a quelque peu échappé d’autant qu’Olivier Py a revisité  le texte en y mettant à la fin sa petite touche personnelle au parfum catho pur jus, ce qui n’était pas vraiment  indispensable à la compréhension du fameux mythe.
  Comme le spectacle est court (une heure seulement), on n’a pas le temps de décrocher mais on n’est quand même pas très séduit par la proposition …
Alors  y aller ou pas? Oui, si on aime le travail d’Olivier Py, dont le mandat s’achève à l’Odéon après décision du prince, et qui va devenir directeur du Festival d’Avignon, mais ce n’est sans doute pas le meilleur  spectacle à conseiller quand on veut rencontrer l’immense Eschyle. Et Olivier Py nous aura offert des spectacles plus intéressants. Donc,  à vous de voir…

Philippe du Vignal

Ateliers Berthier 17ème,  jusqu’au 19 février.

Soirée Algérie

Soirée Algérie 1962-2012  au Théâtre de l’Odéon.

  Cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie: l’Odéon vient de consacrer une soirée émouvante à ce pays aimé par des Français qui ont dû le quitter mais qui y ont conservé des amis algériens, malgré les horreurs de la guerre et des crimes commis par l’OAS.
Salle bourrée de spectateurs enthousiastes qui applaudissent longuement…On retrouve à la fin de la soirée, des petites-filles de Mouloud Ferraoun installées en France qui n’ont connu leur grand-père qu’à travers ses écrits. Olivier Py, né en Algérie, a réalisé un film Méditerranée, à partir des images enregistrées par sa mère avec une caméra Super huit: on y voit un couple jeune et heureux, les grand-mères, les tantes et  Olivier Py  petit enfant Aucune image des violences de la décolonisation,  mais celles d’un jeune, couple  toujours souriant, dont les  enfants  se baignent au soleil, et l’amour d’une terre où se sont succédé plusieurs générations de colons.
On voit aussi son père qui va faire son service militaire  en France, dans un camp  où nombre de familles algériennes se sont réfugiées dans des conditions lamentables pendant des années . À la fin du film, la mère d’Olivier Py, va, avec  sa petite Fiat, via l’Espagne, se réfugier en France. Le couple s’éloigne, la nostalgie est irrémédiable. Mais pas, ou peu d’images d’Algériens…

  Le Contraire de l’amour, journal de Mouloud Ferraoun, mis en scène par Dominique Lurcel, apporte un autre éclairage à la soirée. Interprété par Samuel Churin accompagné par  Marc Lauras au violoncelle,  le spectacle,  simple est bouleversant, retrace  le chemin douloureux parcouru de 1955 à 1962 par cet instituteur  qui aimait la France… Un plancher disjoint, une chaise, un fauteuil rouge,c’est tout mais  Samuel Churin  fait porter loin la douleur de Mouloud Ferraoun, assassiné quinze jours avant la libération de l’Algérie. L’amitié n’était plus possible entre les colons français et les Algériens :”Ce Français chez qui ils viennent travailler, gagner leur pain, c’est lui, l’ennui, c’est lui,  la cause de leur malheur (…) Ce ne sont plus des maîtres, des modèles ou des égaux, les Français sont des ennemis (…) Ils étaient civilisés, nous étions des barbares. Ils étaient chrétiens, nous étions musulmans. Ils étaient supérieurs, nous étions inférieurs.”
Dominique Lurcel, discret et toujours pertinent, avait avait créé sa compagnie, Les Passeurs de mémoire, en 1997.  Il travailla, aux côtés d’Armand Gatti dans  un lycée autogéré où il professait. Il a créé de nombreux  spectacles dont Mange moi de Nathalie Papin, Nathan le sage de Lessing, Une Saison de machettes de Hatzfeld et Les Folies coloniales à partir du journal de son grand père, et l’Exception et la règle de Brecht (voir Le Théâtre du blog)… Le Contraire de l’amour avait été présenté à Avignon  l’an passé  et  doit poursuivre sa carrière en Algérie.

Edith Rappoport

passeursmemoire.free.fr

Mouloud Ferraoun Journal 1955-1962 éditions Points, 492 pages, 8€

La vie chronique

La vie chronique par l’Odin Teatret


La vie chronique

L’Odin Teatret est venu pour la première fois en France en 1972 au Théâtre de la Cité Internationale avec  Min Far Hus, (La Maison du père)  à l’invitation d’André-Louis Perinetti. Eugenio Barba, italien,  avait émigré à Oslo en 1966 , où il avait créé l’Odin Teatret avec de jeunes acteurs refusés par les écoles officielles.
Puis, il avait pu s’installer avec ses compagnons au Danemark, à l’invitation de la ville d’Holstebro qui avait mis à sa disposition une ancienne ferme, devenue avec les années un magnifique havre artistique porteur des souvenirs de leurs voyages.
Barba a ainsi bâti une enclave qui résiste à l’usure du temps ! Il a relevé un défi :maintenir une troupe d’acteurs venus de plusieurs pays,  et donner plus  de 200 représentations par an de leurs vingt deux spectacles à travers le monde, tout en menant des sessions de formation. Pendant ses années d’apprentissage, c’est lui  qui avait révélé au monde occidental,  le génial metteur en scène polonais Jerzy Grotowski avec qui il avait travaillé .
Nous avions pu retrouver l’Odin Teatret en 1977, quand il était   venu jouer Come and the day will be ours  à Paris, au cours d’une soirée troc à la Crypte Sainte-Agnès dans le XXème arrondissement, organisée par le Théâtre de l’Unité. Il avait joué Le Livre des danses, et les spectateurs devaient payer leur place en nature : Monsieur Legros, gardien d’usine , avait récité ses poèmes, René Mahaut,  ouvrier à la SNECMA de Corbeil avait chanté des chansons de la Commune de Paris… Des échassiers,  beaux athlètes blonds,  avaient déambulé dans le quartier, puis étaient aussi intervenus sur les toits de la Cartoucherie de Vincennes .
Nous avions pu les inviter au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi avec Cendres de Brecht, spectacle né d’une interdiction des héritiers  : Eugenio Barba l’avait contourné  en montant   des extraits de Mère Courage et de  ses autres pièces . L’Odin Teatret était ensuite revenu au Théâtre 71 de Malakoff avec le symposium de l’ISTA, (École Internationale d’Anthropologie Théâtrale organisé en 86 par Patrick Pezin, avec des acteurs orientaux , Sanjukhta Panigrahi et Mannojo Nomura et , puis il était revenu avec  Talabot en 1989,  du  nom du navire sur lequel Barba avait gagné la Norvège.
Mais, depuis,  hormis Kaosmos présenté en 1994 au Théâtre du Lierre, l’Odin Teatret n’avait plus été invité à Paris par des instances bien dotées. Heureusement, et  pour la troisième fois, Ariane Mnouchkine leur  a ouvert son Théâtre du Soleil et  les spectateurs ,parfois venus de très loin,  ont pu ainsi  voir, Andersen’dream, Salt et La Vie chronique. Depuis quarante ans, Eugenio Barba a réussi à bâtir une enclave qui résiste à l’usure du temps. La Vie chronique a ainsi été mûrie pendant quatre ans, avec huit mois de répétitions espacées à cause des tournées  des spectacles au répertoire.
Sur les dix  interprètes du spectacle, cinq d’entre eux: Roberta Carreri, Ian Ferslev, Tage Larsen, Iben Nagel Ramussen et Julia Varley sont des compagnons de la première heure. Mais  Torgeir Wethal, magnifique comédien venu adolescent jouer à Oslo dans le premier spectacle de l’Odin Teatret, a succombé à un cancer  au début des répétitions.

Les acteurs ont longuement mûri leurs personnages à partir de recherches solitaires que “le maître du regard” a éliminées parfois sans pitié ! Ainsi,  Julia Varley, qui avait longtemps mené des recherches sur un personnage d’homme, a-t-elle été amenée à interpréter une réfugiée tchetchène, et c’est Kaï Bredholt, un jeune musicien,  qui interprète une Vierge noire, incarnation de la mère d’Eugenio qui avait dix ans ,   à la mort de son père, militaire engagé du mauvais côté en Italie pendant la dernière guerre.
Impossible de retracer la fable: les images splendides se succèdent entre les deux rangées de gradins, mais, comme dans tous les spectacles de l’Odin. Il y a l’obsession de la recherche, de la fuite, de la déportation, la quête du père disparu recherché par son jeune fils colombien, aveugle comme Oedipe, une sémillante ménagère roumaine bardée de torchons, un vieux rocker des îles Feroès, un bel avocat danois dans un costume de cuir bleu, deux inquiétants mercenaires masqués,  et la veuve d’un combattant basque.
La mort rôde aux portes, et Lolito le pantin est enterré dans un cercueil de verre avec le jeune garçon colombien… On voit des crochets menaçants , instruments de torture auxquels les femmes viennent suspendre des costumes d’homme, et, à l’autre bout,  une porte avec  une serrure dont on n’a pas la clef.
Il y a toujours en effet cette obsession de la porte qu’on ne peut franchir, et qui est présente  dans  nombre  de spectacles de l’Odin. On jette une pluie de pièces dorées, la réfugiée tchetchène lance des cartes, les accroche au-dessus de la porte. Il y a de belles montées de chant lyrique  et des musiques lancinantes interprétées par toute la troupe.
Chercher à comprendre ? Il faut sentir dit Barba ! “Le culte de la clarté qui servit à éclairer les esprits, sert aussi aujourd’hui à les obscurcir. Pour la première fois, La Vie chronique est imaginée dans un futur proche, simulé, simultané, dit-il, et la scène est le Danemark et l’Europe : plusieurs pays en même temps ! L’histoire?  Celle des premiers mois qui suivent une guerre civile. Le cadre est peu crédible (mais pas au point d’être rassurant). L’ensemble n’est pas compréhensible.”

Edith Rappoport

Théâtre du Soleil jusqu’au 18 février, les mercredi, jeudi vendredi, samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30, Tél 01 43 74 24 08

Bloed et rozen

Bloed et rozen cassiers

Bloed & rozen (sang & roses) de Tom Lanoye, mise en scène de Guy Cassiers, (en néerlandais surtitré).

  Le spectacle présenté la saison dernière dans la cour d’Honneur du  Palais des Papes  d’Avignon, est un bon exemple du savoir-faire  de Guy Cassiers, maître du  mariage du jeu théâtral et de la vidéo.
Cette adaptation des vies de deux mythes de l’histoire de France, Jeanne d’Arc et Gilles de Rais,  est fondée sur un travail de recherche historique qu’a effectué avec précision Tom Lanoye. Le metteur en scène et l’écrivain dénoncent tous les deux le pouvoir judiciaire destructeur de l’église catholique de l’époque. Le jeu des acteurs très juste est dominé par deux personnalités exceptionnelles, Abke Haring  (Jeanne d’Arc) et Johan Leyse (Gilles de Rais),  que nous avions vu la saison dernière dans Bulbus  au Théâtre National de la Colline.
La belle chorale du Collegium Vocale de Gand donne une dimension sacrée aux images. Mais les costumes d’allure médiévale  posent  un problème d’interprétation: ils ont tous, (sauf celui de Jeanne) un complément en marionnette dépourvue de tête, qui semble s’accrocher, à chacun des personnages et dont les mains sont placées de telle façon qu’elles semblent avoir un sens précis !
La projection  en fond de scène, donne une autre dimension au jeu théâtral. Et quand  les murs majestueux de la Cour d’honneur apparaissent sur l’écran, la dimension cinématographique du récit prend alors tout son sens: cela  donne, sans aucune connotation péjorative, un côté Rois maudits , célèbre adaptation télévisée des années 70 du roman de Maurice Druon. De très belles scènes resteront dans la mémoire du public. Comme cette projection  en  ombres chinoises des personnages au lointain qui n’est pas sans rappeler, les images du   Soulier de satin de Paul Claudel,  mis en scène par Antoine Vitez en 1987.
La scène de Jeanne au bûcher est impressionnante: Guy Cassiers a filmé l’image de la vierge qui surplombe  la cathédrale Notre-Dame des Doms d’Avignon, et l’a colorée en rouge. En faisant osciller l’image,  il la fait ainsi  incarner le feu destructeur. Jeanne d’Arc comme Gilles de Rais sont donc tous deux, chacun à leur manière, selon le metteur en scène, victimes de la religion. Gilles de Rais se souvient de Jeanne: « Sa petite tête s’est mise à bouillir  » et prévient  ses compatriotes: « Je vous surpasserai tous dans l’ignominie ».
Le metteur en scène laisse à cette incarnation du mal, les derniers mots, plein de sens, avant l’ exécution de Gilles de Rais, quand il se présente à l’avant-scène: »Moi, je vous sauverai autrement, à l’envers ! Expions ensemble,  vous et moi!  Amen ».

Jean Couturier

Théâtre de l’Odéon puis en tournée aux Pays-Bas et en Belgique

Invisibles

Invisibles, texte et mise en scène de Nasser Djemaï

Martin et ses cinq pères.

Invisibles 111130_invisible1-300x199Un spectacle formidable, nécessaire et pertinent, qui nous porte de bout en bout vers un moment d’émotion inoubliable. Nasser Djémaï, poursuivant un travail sur la mémoire et l’identité, a réussi à rendre compte d’un angle invisible de l’histoire de France. A travers le prisme des vies de cinq travailleurs immigrés maghrébins à la retraite restés ensemble dans un foyer, se soutenant les uns les autres, il fait renaître un microcosme, un univers uniquement masculin où les ombres des femmes, inaccessibles, passent et repassent au loin, comme des esprits bienveillants et absents (une belle création d’images de Quentin Descourtis). Les hommes laissent deviner des parcours durs, courageux et silencieux. Il y a l’enfermé en lui-même, le tendre, le sévère, le méfiant, le complice, l’admirateur inconditionnel de Charles Bronson, celui qui est solide et généreux comme un arbre … chacun unique, bien sûr, mais réunis en bout de course dans ce foyer.

Arrivée en France pour un travail sur un chantier ou en usine, impossibilité de rentrer au pays pour des raisons diverses, et maintenant c’est la retraite tant attendue, dans une chambre de cinq mètres carrés, avec le manque d’argent et l’invisibilité sociale, tant ici que là-bas, au « bled » où, parfois, une famille a grandi. Double « invisibilité » : celle des ouvriers et celle des immigrés. Nasser pense à juste titre qu’il ne faut pas s’asseoir sur « la chaise de l’oubli », il a entrepris de mettre au jour et magnifier ces vies. C’est difficile. Oui ce sont des sujets difficiles, c’est pourquoi il s’est donné le temps. Il a commencé l’écriture il y a deux ans.

Objectif atteint, et au-delà, car il a su intégrer librement tout ce qu’il a écouté, recueilli, lu, vu, pour composer une œuvre originale, une pièce en forme de récit initiatique, qui assume sa responsabilité mais ne se laisse pas écraser par l’envergure de la tâche. Nasser est passé par l’école anglaise, il a travaillé dans les théâtres anglais, c’est peut-être pour cela qu’il sait si bien composer un récit théâtral, avec rebondissements et suspens, qui témoigne simplement et fortement sans être naturaliste. L’imaginaire, l’histoire, les rêves, les mythes sont mis à contribution sans alourdir le récit qui reste palpitant. Pour cristalliser son propos, il propulse au milieu des « chibanis » (« cheveux blancs ») un personnage qui est en quelque sorte son alter ego, Martin, la trentaine. Un homme amené par un événement grave à faire retour sur lui-même.

Après deux spectacles très réussis, écrits et interprétés en solo, Une étoile pour Noël et Les vipères se parfument au jasmin, deux pièces publiées par Actes Sud-Papiers, Nasser Djémaï s’est, cette fois-ci, concentré sur l’écriture et la mise en scène, toujours épaulé pour la dramaturgie par sa fidèle complice Natacha Diet. Il n’est resté hors scène que pour mieux y être par une parole (et un silence !) confiés à des comédiens formidables. La distribution est d’une absolue justesse. Angelo Aybar, Azzedine Bouayad, Kader Kada, Mostefa Stiti et Lounès Tazaïrt nous font pénétrer dans ce foyer confiné, ces discussions, ces parties de domino, cette dignité et cette pudeur d’une amitié forte qui ne se dit pas, ce train-train qui va s’ouvrir, avec l’accueil « forcé » du jeune homme, sur l’imaginaire, l’ailleurs, le rappel de l’amour et de l’histoire. Les paroles portent, les silences et les gestes ont du poids. Rien n’est lourd car l’humour est très présent aussi, comme dans cette scène, souvent observée dans la rue mais jamais représentée dans un théâtre, où la bande de retraités, assis sur un banc, regarde les passants en faisant des commentaires, condensé désopilant du décalage des cultures et des références entre les années 60 et les années 2000. Ce sont tous de grands comédiens qui savent amener immédiatement force et vérité, une belle humanité. Face aux chibanis, David Arribe nous fait partager sa transformation, la compréhension de ses origines qui va lui permettre d’avancer. Dans le cadre de ce foyer miteux – rien d’un univers de conte ! -, il trouvera au final cinq sages, cinq sagesses, une bénédiction et un héritage.

C’est un spectacle rare, tant par le propos que par la qualité, un spectacle qui parle à tous, à voir en famille, au nouveau Tarmac qui a pris le relais du TEP. La pièce est éditée par Actes Sud-Papiers.

Evelyne Loew

Au Tarmac jusqu’au 18 février, puis Vidy-Lausanne, et tournée en France.

Exposition « Danser sa vie » au Centre Pompidou

 Danser sa vie,  au Centre Georges Pompidou

    Exposition « Danser sa vie » au Centre Pompidou dans actualites expo-177x300L’ exposition explore le dialogue fusionnel entre la danse et  les arts visuels qui ont eu  une influence décisive sur la danse contemporaine. Danser sa vie est aussi un hommage à Isadora Duncan:  « mon art, disait-elle,  est précisément un effort pour exprimer en gestes et en mouvements la vérité de mon être. Dés le début, je n’ai fait que danser ma vie. ».
Trois axes thématiques sont proposés:  d’abord celui de l’expression de la subjectivité  avec les sculptures de Rodin et les dessins de Bourdelle. Reprise par les danseurs de l’Opéra de Paris, la vidéo de L’Après-midi d’un faune de Nijinski , côtoie La Danse de Paris d’Henri Matisse pour qui la danse incarnait  l’énergie de la vie. Puis la danse et la nature sont illustrée par les peintures des expressionnistes Emil Nolde et d’André Derain.
Le troisième Reich est représenté avec Ludwig Kirchner, et La lamentation de la mort  de Mary Wigman et des photos des jeux olympiques nazis en 1936. En contrepoint de ces images,  le public découvre Le Sacre du printemps de Pina Bausch créé en 1975.
La deuxième partie de l’exposition , on peut voir  Danse et abstraction de Loïe Fuller avec  la danse serpentine,  L’Acrobate bleu de Picasso (1929)  et  une  vidéo d’un ballet de William Forsythe qui illustre la danse abstraite  comme  création.
Des peintures de Man Ray aux sculptures de Frank Holder, de Wassili Kandinsky aux vidéos d’Alwin Nicolaïs, on voit comment la danse fait entrer le corps dans la modernité.
La troisième partie de l’exposition : Performance et danse est un dialogue entre l’art et la vie. Des photos d’André Kertész de 1926 , au corps nu et ruisselant de la muse de Jan Fabre dont l’esthétique fait de l’œuvre une manifestation visible de la vie.  Il y a aussi Trisha Brown qui occupe les toits et les rues. de New York Les photos d’Andy Warhol et celles de l’atelier de Brancusi nous conduisent vers les pas de Merce Cunningham pour qui « l’art ne contredit pas le divertissement ».
Huit vidéos des protagonistes des mythiques nuits de Nine Evenings,  et des photos d’Yvonne Rainer terminent le  parcours, ainsi que Jérôme Bel qui rythme la fin avec un ballet de David Bowie.
Malgré la richesse des œuvres présentées,  Danser sa vie semble avoir été conçue pour des spécialistes, mais  on peut parier que nombre d’entre eux n’y trouveront pas leur compte. Comment expliquer cette scénographie mal conçue? Comment peut-on montrer une vidéo du solo de Lucinda Childs dans le très fameux opéra de Bob Wilson Einstein on the beach sans la musique de Phil Glass? Pourquoi n’y a-t-il pas  de costumes de ballet présentés?
Les courants allemands et américains sont bien  illustrés ainsi que les  très fameux Ballets russes mais la France reste en marge… Il aurait sans doute fallu faire appel à de véritables spécialistes et historiens de la danse contemporaine.. Ce qui aurait évité de présenter une exposition bien propre mais sans véritable pensée ni engagement artistique! Dommage pour la danse contemporaine et pour le Centre Pompidou…

Nathalie Markovics.

Au Centre Georges Pompidou jusqu’au 2 avril

Catalogue: Editions du Centre Georges Pompidou Danser sa vie, 319p, 49,90 Euros

Pensées secrètes

Pensées secrètes de David Lodge, mise en scène de Christophe Lidon

Pensées secrètes photo_bandeau_isabelle_carreLe monstre froid de la rationalité scientifique et le monde du sensible sont-ils définitivement incompatibles ? À moins qu’ils ne soient les deux faces d’une même médaille ? C’est l’une des questions soulevées par le Britannique David Lodge . Helen Reed (Isabelle Carré), romancière à succès, est invitée à donner des cours de littérature à l’université, et Ralph Messenger (Samuel Labarthe), est un spécialiste de l’intelligence artificielle et directeur de l’institut des sciences cognitives.
La première, à peine remise de la mort de son mari un an plus tôt, croit en la singularité des êtres et à l’imprévisible. Le second, tombeur impénitent, aimant autant , si ce n’est plus ,la gente féminine que la science, et croit que tout peut s’analyser. A priori, tout les sépare. Mais ne dit-on pas que les contraires s’attirent ?
Le petit jeu de la séduction se met alors en place. Ce qui va naître peut-il durer ? Pourtant, c’est moins la finalité de l’aventure que l’aventure en elle-même qui importe ici. Car au-delà d’une rencontre somme toute banale entre deux êtres, Lodge scrute la conscience de ses personnages, dévoilée ici de manière transparente : elle , se confiant à son journal, lui s’épanchant sur son dictaphone. Voilà les fameuses « pensées secrètes » étalées au grand jour.
Loin d’une bluette, le spectacle  est  une véritable interrogation sur la peur, la culpabilité, la morale, les scrupules, la mort. De fait, quand la maladie vient frapper à la porte de Ralph, et que le spectre de la mort lui apparaît comme une angoissante épée de Damoclès, n’assiste-t’on pas à la naissance d’un nouvel homme?
Les individus sont complexes, changeants, insaisissables, semble nous dire Lodge. Il faut donc prendre le plaisir et le savourer dès qu’on en a la possibilité, car ce qui est pris est pris, l’avenir est toujours incertain.
L’interprétation d’Isabelle Carré et de  Samuel Labarthe est des plus convaincantes. Elle campe à merveille l’écrivaine un peu gauche et touchante, mais affirmée. Du moins avant qu’on ébranle ses principes. Lui,  incarne avec brio le manipulateur, sûr de lui et un peu cynique. Jusqu’à ce que sa virilité soit mise à mal et dévoile sa fragilité.
Les jeux de lumière mettent  en valeur le couple d’amoureux, créant de beaux clairs obscurs intimistes. Mais la scénographie semble un peu légère: ainsi, ces panneaux suspendus qui font défiler des images et dont on ne voit pas trop la valeur ajoutée…Ou encore le texte qui apparaît, au moment même où l’écrivain frappe sur son clavier. Un versant  très mode…
Mais on passe  un bon moment aux côtés de comédiens généreux et chaleureux. Une contre-partie  à la rigueur hivernale.

Barbara Petit

Théâtre Montparnasse

(du mardi au samedi à 20h30 – matinée samedi à 17h30
Prix des places: 52€ (carré or) / 48€ /35€ / 18€ – Collectivités 40€

 

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