Globale Surveillance
Globale Surveillance, d’après Globale Paranoïa et Surveillance globale d’Eric Sadin, mise en scène de l’auteur.
On connaissait de Sadin Globale Paranoïa Surveillance Globale, enquête sur les nouvelles formes de contrôle où il analyse tout ce que notre monde contemporain a pu mettre au point , surtout depuis le désormais célèbre 11 septembre 2011, pour essayer de se protéger des attaques d’adversaires réels ou présumés tels, dans le domaine militaire, industriel ou financier.
Cette politique sécuritaire, parfois efficace dans le cas de menaces terroristes, revendiquée comme indispensable par tout gouvernement, a évidemment un coût, financier bien sûr auquel chaque citoyen des pays industrialisés doit participer mais aussi psychologique et moral. La vie privée, l’intimité,les libertés les plus élémentaires sont souvent malmenées et font l’objet de bien des convoitises…
Et ce que montre bien Eric Sadin, cette fuite en avant permanente vers de nouvelles technologies les plus pointues, pour le plus grand bien… du commerce, doit nous obliger à être vigilants quant aux plus petites des traces que nous semons dans notre vie quotidienne. Souriez, payez par carte bancaire, réservez une place de train, envoyez un message, déplacez-vous: vous êtes de toute façon fliqués, et pas seulement par les services de M. Guéant mais aussi par les plus importantes firmes françaises et mondiales. Tout cela, bien entendu, grâce aux réseaux informatiques . Et c’est d’autant plus anxiogène qu’ invisible et, dans le meilleur des cas, dévoilé pour une infime partie, comme pour justifier ces opérations de basse police.
Interconnexions plus ou moins avouées de fichiers, géolocalisation des véhicules donc des employés, puces disséminées un peu partout, vidéo-surveillance des lieux privés et publics, constitution de bases de données secrètes: avec la connivence de ripoux, pourquoi se gêner? Bienvenue dans le club de » l’horizontalité de la surveillance » comme dit Sadin,
Le spectacle se passe dans un amphi du très grand bunker en béton brut de la nouvelle école supérieure d’arts et médias toute neuve de Caen. Assez sinistre l’endroit ! Mais bien adapté au propos. Soit sur un grand plateau tout noir, une sorte de sculpture de métal avec caméras, rayons lumineux, bref toute cette indispensable technologie que l’on aurait à peine imaginée il y a quelque cinquante ans.
Comment ces dispositifs peuvent-ils modifier le rapport au monde de nos existences à nous, pauvres petits citoyens. C’est que recherche à montrer Eric Sadin et son équipe ; en une heure, ils arrivent à nous immerger dans cet univers aussi glacial qu’efficace. Difficile de raconter cet ovni théâtral mais ces graphiques , ces images vidéo projetées se succèdent à un rythme rapide dans la salle plongée dans une presque obscurité, et cette voix off soutenue par une musique électronique dans une zone spatiale non identifiée ne peuvent laisser indifférent.
Il y a aussi quelques extraits de ses textes dits par Laure Wolf et Gurrshad Shaheman: là c’est moins convaincant, comme si Eric Sadin avait eu quelque mal à les diriger et à intégrer des acteurs. Ce décalage nuit évidemment à l’unité de l’ensemble qui est un peu long vers la fin. Reste quand même, sur le plan plastique et dramatique, un jeu permanent entre visible et invisible assez angoissant et d’une rare efficacité; on peut considérer ce travail comme en cours, mais Eric Sadin a réussi, là en coproduction avec la Comédie de Caen et en partenariat avec l’ESAM, une belle création visuelle et sonore.
Philippe du Vignal
Spectacle présenté à l’ ESAM les 29 février et 2 mars.