La Meilleure Part de hommes
La meilleure Part des hommes, d’après le roman de Tristan Garcia, adaptation et mise en scène de Pauline Bureau.
Tristan Garcia est un jeune (31 ans), écrivain et philosophe , à moins que ce ne soit le contraire, qui a publié en 2011 ce premier roman sur la période 1980-2000 avec ses ravages dûs au Sida. Avec trois personnages majeurs: un tout jeune homme venu d’Amiens tenté sa chance à Paris, qui se pique d’être écrivain et qui connaîtra un succès éphémère. Jean-Michel Leibowitz, un philosophe bien connu dans la capitale, Dominique Rossi, ancien gauchiste devenu l’un des combattants de la lutte contre le sida, et une jeune femme, Elizabeth, journaliste à Libé. Elle est un peu comme le pivot de cette histoire puisqu’elle est l’amante de Leibowitz, marié par ailleurs, qu’elle admire profondément, et la collègue de Dominique qui deviendra le compagnon pendant cinq ans de William, un jeune médecin qui finira par mourir du Sida.
Personnages de roman? Pas vraiment et on sent une sorte de copié-collé assez maladroit d’hommes emblématiques (par exemple, Didier Lestrade, fondateur d’Act Up) de toute une époque. Avec en toile de fond, la lutte entre entre les relations sexuelles sans préservatif au nom d’une liberté mal comprise absolument contradictoire avec une indispensable prévention. Mais les dialogues de ce roman écrit dans un style négligé, sonnent souvent faux.
Pourtant, Pauline Bureau a décidé de tenter de porter « toute une époque sur un plateau: »les nuits du Palace, le triomphe de Madona, le rose fluo, l’élection de Mitterrand, la chute du mur de Berlin, les textes d’Hervé Guibert et l’arrivée du Sida.(…) Des politiques de santé et des combats qui ont été menés , et de la séropositivité aujourd’hui. De ceux qui sont morts et de ceux qui sont vivants ». Pourquoi pas? Même si l’on sait que l’adaptation d’un roman sur un plateau est toujours chose périlleuse.
Et cela donne quoi? Du pas très bon,voire même du pas très bon du tout, mais parfois de l’excellent, surtout vers la fin. L’adaptation est signée Pauline Bureau mais, trois lignes plus loin, la dramaturgie et l’adaptation sont indiquées comme étant de Benoîte Bureau, sa sœur? Il faudrait savoir…En tout cas, on a l’impression d’avoir affaire à un exercice universitaire de dramaturgie asssez laborieux, avec de très courtes scènes, souvent surlignées de musique rock (enregistrée ou vivante) signée Vincent Hulot . Ce qui, on le sait bien, est une facilité.
Comme ces scènes sont coupées par un nombre incalculable de noirs, solution académique et radicale… pour casser le rythme d’un spectacle déjà beaucoup trop long (plus de deux heures!), et que les dialogues sont d’une pauvreté affligeante, on a l’impression d’assister à une sorte de Plus belle la vie, version milieu homos et intellos. Avec, en prime, des bouts de journaux télé pour situer les moments forts de l’époque, comme les phrases sur le Sida dénuées de vérité de Le Pen, le passage de relais entre Mitterrand et Chirac, ou la foule sur le mur de Berlin. Bref, la vidéo a encore frappé! Ce n’est pas en tout cas au Conservatoire national que Pauline Bureau aura acquis le minimum syndical en matière de dramaturgie… Là, il y a encore du pain sur la planche pour elle et/ou sa petite sœur.
C’est d’autant plus dommage que Pauline Bureau, à qui nous avions confié, elle avait vingt ans, sa première mise en scène à l’espace Kiron, fait maintenant preuve d’une solide maîtrise dans le choix et la direction d’acteurs, et il y a de très beaux moments, surtout dans les scènes où apparait Zbigniew Horoks , vraiment excellent comme dh’abitude et que le public écoute avec ravissement. Il est toujours juste et vrai, et c’est souvent lui qui porte le spectacle. Et, ce n’est pas une révélation-on l’avait déjà vue dans d’autres spectacles de Pauline Bureau-mais Marie Nicolle, elle aussi, a une belle présence et apporte une lumière et une sensibilité étonnantes, quand elle raconte l’histoire, ou quand elle joue l’amante de Leibovitz. Elle est tout à fait remarquable quand elle s’écroule en sanglotant sur son ordinateur en apprenant sa mort de son ami William. La grande classe!
Rien que pour cette scène et celle qui la précède- muette- où l’on voit William allongé sur son lit d’hôpital, il sera beaucoup pardonné à Pauline Bureau. Mais l’ensemble des comédiens est aussi de grande qualité, et elle les dirige bien et avec efficacité.
Alors à voir? Beaucoup trop long, un peu branchouille, pas assez maîtrisé, le spectacle, a quand même quelque chose d’attachant; si vous n’êtes pas trop difficile, vous pouvez tenter l’expérience. En tout cas, on aimerait que Pauline Bureau s’attaque maintenant à un texte d ‘une autre envergure, plutôt qu’à ce genre de choses approximatives…
Philippe du Vignal
Théâtre de la Tempête jusqu’au 7 avril