Victor ou les Enfants au pouvoir

Victor ou les Enfants au pouvoir de Roger Vitrac, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Motta/

  Victor ou les Enfants au pouvoir  Victor-ou-les-enfants%C2%A9Jean-Louis-FernandezCréée en 1928 à la Comédie des Champs-Elysées,dans une mise en scène d’Antonin Artaud, c’est sans doute la plus connue des pièces de Vitrac qui doit beaucoup à Alfred Jarry et aux dadaïstes qu’il admirait beaucoup. La pièce, sans doute trop virulente pour l’époque ne fut guère appréciée.
Nous avions rencontré il y a une quinzaine d’années l’acteur, presque centenaire, qui avait créé le rôle de Victor, et qui se souvenait avec émotion d’Artaud et de la pièce qui ne fut guère jouée par la suite jusqu’à la mise en scène d’Anouilh en 62 avec Claude Rich. La pièce jouée seulement quelque soirs  fit un certain scandale, pas autant qu’on le pense.
Mais le sujet avait quelque chose de sulfureux: le  petit Victor qui va fêter ses neuf ans et qui mesure 1, 70 m, va partir en guerre contre toutes les hypocrisies de la famille et de la société bourgeoise et il n’ y va pas par quatre chemins.
Et c’est un véritable feu d’artifice. Il commence d’abord par draguer la jeune femme de chambre, logique avec lui-même puisqu’il lui fait remarquer que Charles, son père fait déjà l’amour avec elle; Victor dénonce aussi sa liaison avec Thérèse, l’épouse d’ Antoine Magneau, assez quand il surprend le couple en flagrant délit. Charles, assez éteint et lâche, médusé par l’évolution brutale de son fils, lui flanquera une bonne paire de gifles, ce qui n’empêchera pas Victor de poursuivre son travail virulent de déminage et de séduire la belle Esther, la fille des Magneau…
Victor s’en prend aussi à l’armée dont la bêtise est symbolisée par un général que Victor va ridiculiser. Et pour enfoncer encore le clou, Victor rappelle sans arrêt le cas du maréchal Bazaine qui se méfiait d’une future République française et qui avait capitulé devant Bismarck, vendant ainsi son âme au diable; 6.000 officiers et 173.000 soldats français avaient été ainsi faits prisonniers! Bravo Bazaine! Quand la pièce a été jouée, la défaite de 1870 était encore dans tous les esprits, et la guerre de 14-18 très récente! Mais Bazaine est un nom qui ne dit plus rien à l’heure actuelle et dont il aurait fallu trouver un équivalent, ce qui n’est pas des plus faciles…
Mais la plus délirante de cette incroyable galerie de personnages est Ida Mortemart, la pétomane foldingue qui va séduire Victor. Tout a une fin et celle de Victor est des plus cruelles: Antoine Magneau qui a sombré dans la folie la plus complète, se suicide, et Victor mourra de la Mort, comme le dit Vitrac, qui aura réussi là une étonnante et cruelle entreprise de dézingage de la société à partir d’éléments autobiographiques.
Reste à savoir comment on peut monter la pièce,  90 ans après sa création; on ne peut pas le mettre en scène comme du Feydeau, même si la pièce en a parfois les apparences et si l’on a affaire au fameux trio mari/ femme/amant. Jean-Christian Grinevald en 95 n’avait pas mal réussi son coup quand il l’avait mis en scène avec les jeunes comédiens de l’Ecole de Chaillot, avec trois francs six sous, en jouant donc la carte de la sobriété et en allégeant la fin.
Emmanuel Demarcy-Motta, lui,  a préféré inscrire Victor, dit-il, dans un parcours personnel, celui du Bérenger de Rhinocéros et des jeunes amoureux de Casimir et Caroline et aller plutôt vers le côté délirant et surréaliste de la pièce en privilégiant les images que n’auraient pas désavoué des peintres comme Magritte, par exemple,  quand il fait descendre des cintres ces belles sculptures que sont ces lianes ou racines d’arbres avec leur ombres portées sur le sol blanc. Même chose pour la scénographie d’Yves Collet avec ces murs blancs qui s’écartent: c’est beau et intelligent comme un tableau surréaliste réussi avec ces feuilles mortes par terre.
Mais bon, on a la très nette impression, au fur et à mesure que le pièce avance, que le metteur en scène s’est laissé piéger par un souci de la belle image, et n’arrive pas vraiment à maîtriser cette pièce difficile qui n’en finit pas de finir.
Au début déjà, quand les comédiens jouent dans une une sorte de cube en tulle transparent, on entend mal le texte. Et, même s’il a su réunir de bons comédiens comme Thomas Durand et Anne Koemf, entre autres, la direction d’acteurs est flottante et on se demande pourquoi il fait crier Hugues Quester quand il joue la folie d’Antoine Magneau.  Emmanuel Demarcy-Motta, dans sa note d’intentions, parle de Victor, et il le fait avec finesse et intelligence, notamment en ce qui concerne le caractère poétique de la pièce mais, sur le trop grand plateau du Théâtre de la Ville, tout se perd et l’on rit peu , alors que c’est une pièce jubilatoire qui exige un rythme soutenu, ce qui est loin d’être le cas ici; tous les effets se perdent dans cette scénographie peu adaptée: c’est sans doute le défaut principal de cette mise en scène. Et, même  avec  une bonne distribution, Emmanuel Demarcy-Motta se sort quand même assez mal d’une mise en scène qui semble hésiter entre un parti-pris assez esthétisant et une volonté mettre en valeur l’esprit ravageur de Vitrac; les deux sont évidemment incompatibles…
Alors à voir? Il n’est pas certain que la révolte emblématique de l’enfant Victor assez pervers pour employer les mêmes armes que la société qu’il dénonce, trouve ici son meilleur lieu d’expression. Même si, encore une fois, les images sont souvent d’une grande beauté mais cela ne suffit pas.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville jusqu’au 24 mars

 

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