La Mort de Danton
La Mort de Danton, de Georg Büchner, mise en scène Georges Lavaudant
La Mort de Danton est de ces partitions qu’on peut jouer et rejouer sans qu’elle cesse de vibrer. Chaque interprétation apporte son lot de découvertes, de défauts aussi, mais jamais d’oublis.
Cette fois encore, les discours de la première partie de la pièce, les pratiques politiques, les voltes-faces de l’opinion nous reviennent en pleine figure, avec la dialectique des “purs“ façon Khmers rouges et des opportunistes, “septembriseurs“ passés “thermidoriens“ – les mois avaient une grande importance en cette période révolutionnaire où les événements allaient si vite et où les vies étaient si courtes.
La Mort de Danton est une affaire de jeunesse, on le sait : Büchner l’a écrite à vingt-deux ans (il est mort deux ans plus tard!), et les autres héros de la Révolution étaient jeunes eux-mêmes. Tout est là, et cela suffit : la jeunesse est inscrite dans cette pièce géniale, et il est inutile d’aller chercher des comédiens ayant l’“âge du rôle“. Georges Lavaudant a remonté la pièce – dix ans après, donc ce n’est pas une reprise – avec les « anciens » de son premier Danton et une troupe de comédiens amis qui ont passé leur vie de théâtre dans une sphère proche de la sienne.
Manifestement, et même s’il y a des moments moins réussis, ils s’entendent, ils ont un langage commun. Il a surtout voulu remettre en scène deux personnes, Patrick Pineau et Gilles Arbona, deux fidèles de ses spectacles, deux corps qui imposent dans toute sa beauté tragique le duel entre Danton,le jouisseur et Robespierre, l’ascète. Vertu du « oui à la vie » et au compromis, contre vertu du « non » au désir.
Avec une ampleur, des ruptures toutes shakespeariennes, la pièce brasse les thèmes du pouvoir et de la jouissance. Dictature au nom de la liberté : le politique entre jusque sous les chemises. Danton n’est pas de ces moralisateurs, de ces niveleurs : cela suffit à créer entre la politique et lui un écart. Il n’adhère plus, même s’il soutient encore, même s’il justifie ce qu’il appelle maintenant ses erreurs (les massacres de septembre, qui n’ont pas donné de pain au peuple…). Quand il sent tout près de lui le souffle de la guillotine, il croit encore à la force de son image : « Ils n’oseront pas ! ». Mais…
La seconde partie , où l’on retrouve Danton et les siens en prison, abolit le temps. Soudain-il leur reste quelques jours à vivre-on a tout son temps. Danton sera empêché de se défendre, ce qu’il ne faisait plus que pour le principe. Il glisse presque avec soulagement vers la mort, seul dénouement possible des contradictions de ce monde, point final et justification de ses jouissances. Les femmes, c’est écrit comme ça, sont cantonnées du côté de l’amour, du plaisir ou de la folie. On a vu la figure de la prostituée Marion plus forte dans la mise en scène de Grüber, mais, peu importe, encore une fois la pièce nous emporte.
Peu d’images : elles montent et prennent leur place à mesure que s’approche la mort de Danton. C’est bien vu : en politique, le discours et le corps, la présence de l’orateur sont tout son théâtre. La mort, elle n’est pas représentable : aux images (tant pis si ce ne sont pas les meilleures) de cacher et de signaler à la fois sa présence.
Éteignez vos portables, vous allez passer bien mieux qu’une bonne soirée.
Christine Friedel
MC 93 Bobigny – 01 41 60 72 72 – jusqu’au 1er avril