Contes Africains
Contes Africains d’après Shakespeare, en polonais surtitré, mise en scène de Krzysztof Warlikowski.
L’actualité violente d’aujourd’hui entre en résonance avec la cruauté des mots et des situations que l’on trouve dans ces Contes Africains. Pendant cinq heure trente de représentation, Warlikowski nous invite à vivre la chute de ces personnages emblématiques du théâtre que sont Othello, Shylock et Lear. Pour lui, Othello, Le Marchand de Venise et Le roi Lear, ces pièces fonctionnent comme des contes et l’Afrique est une métaphore. A ces fragments de pièces, ils a ajouté et entremêlé des écrits de John Maxwell Coetzee, Eldridge Cleaver et Wajdi Mouawad.
Avec ce montage de textes, Krzysztof Warlikowski reprend le principe d’une narration morcelée, qu’il avait déjà utilisée pour la création d’(A)pollonia au festival d’Avignon, (voir Le Théâtre du Blog de juillet 2009). L’ensemble de ces textes nous emportent dans la solitude de ces personnages, dans leurs déchéances et dans leurs exclusions du clan. Le metteur en scène en dit: “ Rejetés et exclus, ils vivent en marge de la société aussi bien à l’époque de Shakespeare que dans la nôtre(…) le Noir, le Juif et le Vieux suscitent aversion, haine, angoisse et peur”.
Quand il nous montre ces déchéances, il nous donne aussi à voir les nôtres potentielles. La scénographie de Malgorzata Szczeçniak rappelle celle d’ Angels in America de Tony Kushner créé en 2007, avec une cloison mobile frontale transparente qui fait varier l’espace de jeu en lui donnant une dimension cinématographique. Par bonheur, la vidéo avec reprise en gros plan des visages des comédiens, qu’il utilisait très souvent , n’est plus présente . Il n’y plus ici que deux films d’animation, au début des première et deuxième parties.
Comme toujours chez Krzysztof Warlikowski, avec ses comédiens du Nowy Théâtre de Varsovie ou de son propre groupe, le jeu est impressionnant de justesse et de force. En particulier, celui d’Adam Ferency qui joue à la fois Lear, Othello et Shylock.
Reste la durée du spectacle…Mais elle fait partie de son langage théâtral, et il la revendique: « Je ne veux pas, dit-il, m’enfermer dans une seule pièce ni dans un petit intermezzo. Si je reste metteur en scène, si je continue dans le théâtre, c’est pour me donner la possibilité, tous les deux ans -c’est le rythme de mes créations-de m’entretenir avec le monde, de donner mon point de vue et de dire ce que je ressens à un moment donné ».
Mais même pour les fidèles du metteur en scène polonais, ces Contes africains ont vraiment des longueurs, en particulier pour certains monologues. Comme pour réveiller le public et donner un peu de légèreté au spectacle, après la scène très émouvante de Cordélia au chevet de son père Lear laryngectomisé sur son lit d’hôpital, le final permet à tous les comédiens de se détendre avec un cours de salsa décalé.
Avec ce spectacle et ses précédentes créations, Krzysztof Warlikowski construit une œuvre,parfois difficile à percevoir, tant elle est riche de sens, mais est devenu aujourd’hui, un créateur incontournable de la scène contemporaine.
Jean Couturier
Théâtre National de Chaillot jusqu’au 23 mars