Oncle Vania
Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Benedetti
C’est l’histoire d’un été qui dure une heure, au milieu de la vie. Voilà : chez Tchekhov (et dans « la vraie vie »?) , on est toujours au milieu de la vie, exactement entre sa naissance et sa mort, et provisoirement éternel.
Vania, l’homme qui a renoncé à une carrière pour faire valoir le domaine familial-et pour combien peu de profit au regard des efforts déployés-, Astrov, le médecin toujours en route, même la raisonnable Sonia ont perdu leurs illusions, leur courage.
Détonateur de cette implosion ? Eléna, la belle et ô combien désabusée seconde épouse du père de Sonia, éminent universitaire retraité. Lui aussi pourrait bien n’avoir plus aucune illusion, mais il n’ose pas.
Et il continue à croire dur comme fer à son génie, à sa maladie, à la vie citadine, à ce qui lui est dû. Il lui reste une admiratrice inconditionnelle : la mère de sa première femme et de Vania, son beau-frère.
Une seule n’a pas besoin d’illusions mais de routine : c’est Marina, la vieille Nounou, la maman de tous. Torrents d’amour : les hommes-à l’exception de son mari-sont amoureux d’Eléna, Sonia est amoureuse du docteur Astrov, Eléna n’aime personne, et l’on s’en tiendra là.
Voilà que l’on se prend à parler de ces figures comme de nos voisins de campagne. Pourtant, Christian Benedetti, qui joue lui-même Astrov, fait tout pour ôter au spectateur non pas ses illusions, mais l’illusion théâtrale, et le mettre au travail. Scénographie réduite au minimum utile, texte dépêché « à la vitesse de la pensée » – bien vu : les mots échappent -, moments de suspens où tout s’immobilise. Les plus justes de ces silences (tous ne le sont pas) se peuplent de l’âme des personnages, c’est-à-dire de la rencontre entre la pensée du spectateur et ce qui se passe sur scène.
C’est beau, ça ne déjoue jamais le texte, et n’anticipe pas, mais… on aimerait repérer un peu moins le procédé et ne sentir que sa capacité de vérité, pour ne le décrypter qu’après. Mais ce serait peut-être retomber dans l’illusion ? Ne chipotons pas : ça marche. Cela donne, par exemple, un éclairage rare sur Sonia, la travailleuse, la positive, qui rattrape vite ses écroulements émotionnels (Judith Morisseau) ; sur l’amour de Vania et d’Astrov pour Eléna (Florence Janas) : désir sans phrases pour la belle citadine, envie de bousculer l’idole. Du concret.
Benedetti avait réuni pour sa Mouette une troupe provisoire qui continue avec Oncle Vania le travail sur Tchekhov: Isabelle Sadoyan, Daniel Delabesse, Brigitte Barilley, Philippe Crubezy, Laurent Huon et lui-même: ils apportent avec eux, en surimpression, les rôles qu’on leur a vu jouer, des inflexions de voix, des présences. Et cette mémoire nourrit plus que jamais le spectateur, dans cette mise en scène presque puritaine.
On rit parfois, on s’émeut de ces animaux de laboratoire qui se cognent devant nous, comme nous, à leurs impasses. On s’étonne une fois de plus de la vision prophétique de Tchekov sur la destruction des forêts, de sa modernité. On a envie, encore et encore, de dire lui merci …
Christine Friedel
Théâtre-studio d’Alfortville – 01 43 76 86 56 – jusqu’au 7 avril
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