Le Sous-marin
Le Sous-marin, expérience de groupe poétique.
Le voyageur immobile , titre d’un spectacle de Philippe Genty pourrait être un juste condensé de ce qui s’est déroulé à la Gaité Lyrique pendant 48 heures… Soixante-deux volontaires y ont été enfermés privés de tout moyen de communication avec l’extérieur et de toute mesure du temps.
Cette expérience collective a été imaginée par Michel Reilhac, directeur du cinéma de fiction à Arte, inventeur de manifestations artistiques dans le noir, ancien administrateur du Théâtre National de Chaillot et ancien directeur du forum de images…
Présent avec le groupe de volontaires pour ce « temps suspendu » il était secondé par Charlotte Poupon, spécialiste du confinement, Bruno Masi, journaliste, et Laurence Giraud, chorégraphe. Il y avait aussi un médecin de garde et, un régisseur pour le contact avec l’extérieur en cas d’urgence.
Il faut souligner la remarquable coopération de la Gaité-Lyrique à cette expérience presque inédite. En 1971, un groupe d’artistes s’était déjà enfermé dans un hangar à Nanterre dans des conditions semblables mais l’initiative s’était très mal terminée à cause de l’usage de toxiques en tout genre.
Point de toxique ici: tabac et alcool étaient interdits, seul le paquetage remis aux volontaires contenait une petite fiole d’alcool avec un nécessaire de toilette et un carnet de bord. Les soixante-sept personnes en tout, disposaient de deux toilettes et trois lavabos. Pour éviter de marquer le temps par les repas, des sachets de nourritures lyophilisés étaient disponible à tout moment. La vraie différence avec un sous-marin était l’espace, assez vaste puisque le groupe disposait de la grande salle du théâtre en permanence éclairée et de deux annexes dont une plus réservée au sommeil que de nombreuses femmes ont très vite colonisés.
Ces 48 heures de vie étaient entrecoupées d’ateliers de danse ou d’hypnose, de projections de films et d’un repas dans le noir en plein milieu de l’après midi ! Et les participants devaient remplir aussi des questionnaires conçus par le journaliste. Paradoxalement , en l’absence de repère temporel, le rythme veille/sommeil a été respecté, favorisé par l’heure du début de l’expérience vers 23 heures, induisant assez vite le sommeil chez la plupart des participants.
La sensation de faim, a, elle aussi, orienté la vie des « sous-mariniers ». En fait, peu de personnes ont vécu dans un temps réellement décalé. Le groupe était très sage, du fait sans doute d’une certaine homogénéité socioculturelle: pas de conflit, peu d’anxiété liée à l’enfermement. Quatre participants seulement sont partis, dont trois à cause d’un manque estimé d’activités artistiques, et un du fait d’une impression d’’isolement. Parmi ces « sous-mariniers » étaient composés , nombreux couples et quelques groupes de gens qui se connaissaient, ce qui semblait paradoxal pour une expérience qui était prévue comme individuelle.
L’ennui fut le premier grief exprimé, que certains compensaient par une hypersomnie. Michel Reilhac a constaté que « notre expérience du temps était liée à l’expérience des autres, ce qui révèle la force du collectif » . Et chaque vécu individuel a été conditionné par le comportement collectif :« notre relation au temps, dit-il, n’est pas si différente de notre relation à l’autre ». Une des belles images parmi d’autres à retenir de cette aventure: Michel Reilhac a fait une proposition d’abandon, et le groupe a alors formé une haie d’honneur et a porté d’un bout de la salle à l’autre chacun des participants.
Comme le dit Puck à la fin du Songe d’une nuit d’été :« Sur ce, bonsoir à vous tous. Donnez-moi tous vos mains, si nous sommes amis et Robin prouvera sa reconnaissance ». Quelques minutes après, il était 18 heures, ce dimanche soir ensoleillé et le sous-marin s’est alors réouvert au monde…
Jean Couturier
Théâtre de la Gaieté-Lyrique
http://www.franceculture.fr/emission-l-atelier-interieur-numero-31-le-sous-marin-2012-03-26