Maman revient, pauvre orphelin
Maman revient, pauvre orphelin, de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Stéphane Valensi.
On dit qu’à l’instant de la mort chacun revoit toute sa vie. Ça pourrait bien être vrai aussi, de l’instant du réveil. À soixante deux ans, à l’hôpital, « On » se réveille. On parcourt sa vie et l’On se rend compte que l’On n’était pas fait pour le métier de tailleur, ni pour celui de comédien (à vingt ans, Jean-Claude Grumberg jouait les vieillards chez Jacques Fabbri), alors On devient écrivain par défaut, et le pire, c’est que ça marche.
Au secours, Maman ! Et comme il s’agit d’un conte, ou d’une chanson, maman revient, en effet. Pas comme l’avait rêvé son fils : jeune, mais ulcérée, grondeuse. Allons, On a droit à trois vœux au moins, et les doux dimanches de tendre incompréhension entre mère et fils peuvent enfin revenir. Arrive un quatrième vœu : je voudrais voir Papa, que je n’ai jamais connu. Exaucé. Papa a disparu trop tôt, déporté, tué. Papa aimerait que sa mort n’ait pas servi à rien : le monde a-t-il changé ? Sommes-nous sûrs que l’humanité a progressé et qu’il ne se produira « plus jamais ça » ? Ici le fils malade inverse les rôles et berce son père comme un enfant, d’un pieux mensonge : Oui, la paix règne, oui aucun enfant n’est tué pour ce qu’il est né… Terrible et bouleversante résonance.
C’est peut-être la pièce la plus intime et la plus pudique de Jean-Claude Grumberg, sobre, émouvante, drôle – pourrait-il s’en empêcher ? Un monde si désespérant impose une certaine dose d’humour…-. Et les comédiens sont à la mesure de cette écriture : Marc Berman, dans le rôle du malade qui s’éveille, en pyjama rayé (non, pas de référence directe aux camps : le pyjama emblématique est fait en pilou à rayures, c’est tout…) fait passer sur son visage d’extraordinaires moments de silence (grâces soient rendues aux jeux de lumières de Pierre Gaillardot), avec une sobriété qui rend justice à la gravité délicate de la pièce.
Marc-Henri Boisse prête sa voix et sa présence tranquille, imposante, au personnage du Tout-puissant. Successivement : Dieu, le médecin anesthésiste, le directeur de la maison de retraite de la mère… Une voix qui appelle un cortège d’adjectifs : calme, pleine, profonde et douce à la fois …, au spectateur de continuer. Guilaine Londez suggère les différents âges de la mère, un peu en retrait comme il sied à une apparition, mais avec la même justesse et le même humour. N’oublions pas l’excellent Virgil Boutellis au violon, vigoureux, très contemporain.
D’autres avaient chargé, jusqu’à l’entrée de clowns, le côté comique de la pièce. Stéphane Valensi a choisi le dessin le plus sobre et le plus délicat, ce qui n’ôte rien à l’humour, on l’a vu. La pièce est très courte, on ne s’en aperçoit pas, tant elle nous emmène hors du temps. On dit qu’à l’instant de la mort ou du réveil, on revoit toute sa vie en quelques secondes…
Christine Friedel
Studio Berthelot à Montreuil puis en tournée.