Cent ans dans les champs
Cent ans dans les champs, écriture Hélène Mathon et Benoît di Marco, mise en scène d’Hélène Mathon.
C’est comme une sorte de théâtre-documentaire sur cent ans de vie agricole qui prend la suite de Les restent, spectacle qui témoignait d’une ruralité disparue depuis quelques quarante ans, élaboré à partir du Journal de Josiane, gouvernante dans le domaine agricole des grands-parents d’Hélène Mathon qui avait aussi réalisé ensuite. Les Côteaux du Gers, film documentaire rassemblant des portraits d’agriculteurs à la retraite. Donc, l’attachement des agriculteurs à leur terre, le passage de la traction animale- bœufs ou vaches suivant le degré de pauvreté de la ferme, ou chevaux- puis l’arrivée des tracteurs dans les années cinquante, puis, dans les années 80, de très puissants tracteurs et de technologies pointues pour contrôler l’amientation animale et les récoltes de céréales, l’arrivée aussi de tonnes d’engrais chimiques et produits phyto-sanitaires, mot élégant pour désigner des saloperies dangereuses pour la santé des utilisateurs. Et la course permanente à la productivité, avec le recours systématique aux engrais chimiques, encouragée par les tous les gouvernements de façon à diminuer le coût de l’alimentation,au mépris des précautions les plus élémentaires;un nombre de vaches toujours de plus en plus important si un agriculteur veut tout simplement survivre dans un monde sans pitié, totalement contrôlé par les banques et par l’industrie des engrais. Un remembrement trop vite élaboré avec destruction sans pitié de vieux bâtiments et de haies et le recours systématique aux normes mais aussi aux subventions européennes… La diminution du nombre de petits agriculteurs trop endettés et incapables de résister aux pressions financières étatiques. La mise en place de PAC successives au nom d’un sacro-saint progrès, et quand même enfin une prise de conscience récente chez les consommateurs et l’arrivée de la culture bio. Bref, des choses que l’on connaît bien maintenant et depuis un bon moment.
Et cela se traduit comment sur le plateau? Pas très bien. Au sol, des rouleaux de gazon à moitié déroulés, un grand écran où sont projetées des archives de l’I.N.A. sur l’agriculture des années cinquante. Images fascinantes d’un monde d’hier. Il y a aussi des jouets modèles réduits de tracteurs animés par les comédiens et filmés par une petite caméra… On les regarde, avec passion , comme des enfants, et on repense aux fameuses pages de Lévi-Strauss sur le modèle réduit. Benoît di Marco, Marion Barché, Elsa Bouchain, Karl Eberhard font leur boulot et, bien dirigés, sont heureusement toujours justes. Mais cela ne suffit pas… » Nous sommes là, dit Hélène Mathon, avec un peu de naïveté, dans un espace réaliste où les acteurs incarnent les personnages ».
Avec, entre autres, des extraits de La France rurale, un formidable livre dirigé en 77 par Georges Duby, des interviews d’agriculteurs qui sont d’ une lucidité remarquable quant à l’avenir. Il y a comme cela, surtout à la fin des prises de parole fortes et intelligentes. Mais, pour le reste, cet empilement de strates: images, paroles, gestuelles, imitation de Giscard d’Estaing, n’a rien de très convaincant, et l’on se demande souvent si l’on est dans le premier ou le second degré. Hélène Mathon n’évite pas les stéréotypes du genre coup de rouge bu à la bouteille ou rondelles de saucisson mangées sur le pouce… A moins que que ce ne soit un rappel historique proche de la caricature, dont on aurait pu faire l’économie…
En fait, c’est tout le spectacle qui souffre d’une dramaturgie insuffisante et qui distille rapidement un ennui de premier ordre, avec un souci de pédagogie un peu laborieuse et pleurnicharde . Le plus gênant dans ce théâtre-documentaire, c’est l’absence de prise de position politique quant à l’avenir de l’agriculture française, tous secteurs confondus. Du coup, cela devient vite gentillet et sans grand intérêt.Ces quelque cent minutes sont longues comme un jour sans pain, bio ou pas!
Alors à voir ? Non, pas vraiment, ou bien, ne venez pas vous plaindre ensuite, on vous aura prévenus…
Philippe du Vignal
Théâtre de L’ Echangeur 59 av. du Général de Gaulle Bagnolet Métro Galliéni jusqu’au 15 avril.
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100 ans dans les champs (bis), d’Hélène Mathon et Benoit Di Marco
Pour ceux qui ont presque oublié ce que c’est que la campagne. Pour ceux qui aiment qu’on passe de la vidéo au théâtre, du cabaret au jeu d’enfants. Par exemple, voir se dérouler un tapis de terre qui redessine les champs “remembrés“ et privés de leurs haies, bosquets et autres refuges de la diversité des espèces naturelles ? Se souvenir que “remembrer“, autrefois, signifiait précisément se souvenir, alors qu’aujourd’hui c’est effacer au bouteur (nom académique du bulldozer) la mémoire des siècles passés d’agriculture. Voir l’arrivée d’un mini-tracteur (le mini-cheval de trait étant impossible à réaliser)…
Autour d’un lever du jour, de la parole et de quelques visages de paysans, agriculteurs et non “chefs d’entreprise“ comme le voudrait la PAC – Politique agricole commune ( ?) dont on entend parler parfois le matin à la radio, mais ce qu’elle est vraiment…, on ne découvre pas l’Amérique, comme le fait observer notre ami Duvignal, ni la France Profonde, mais on se la “remembre“, en effet, de façon ludique, en se posant de bonnes questions. Questions qui nous regardent tous : manger est politique, eh oui. Selon que vous serez servis pas une agriculture conventionnelle (merci pour les pesticides toxiques pudiquement nommés “phytosanitaires“), productiviste et sans doute toxique, raisonnée (des toxiques, on en met moins) ou bio (on joue le naturel)… Vous voyez les conséquences. Ce n’est pas un sujet pour le théâtre ? Quel sujet politique et collectif n’est pas pour le théâtre ?
À voir, donc, et avec plaisir !
Christine Friedel
Au théâtre de l’Echangeur, à Bagnolet, jusqu’au 14 avril