Les Travaux et les jours
Les Travaux et les jours de Michel Vinaver, mise en scène de Valérie Grail.
La pièce de Michel Vinaver qui reprend le titre du texte d’Hésiode a été écrite en 77 par quelqu’un qui connaît bien le monde l’entreprise privée puisqu’il a été longtemps PDG de Gillette, et créée par Alain Françon. Trente cinq ans déjà: un autre monde sur le plan social et économique… L ‘ordinateur n’existait pas, les services après-vente réparaient les appareils défectueux ou en panne, et de nombreuse petites entreprises françaises fonctionnaient encore comme une famille, avec ses passions et ses jalousies entre les personnes comme entre les services. On ne parlait pas encore de mondialisation mais il y avait déjà des « restructurations », comme on disait pudiquement, avec des regroupements d’entreprises.
Quelques armoires à rideaux, trois bureaux avec de gros téléphones jaunasses à cadran , montés sur bras télescopiques. On est dans le service après-vente de l’entreprise familiale Cosson, synonyme de tradition et de qualité, qui fabrique et vend des moulins à café électriques. Mais les temps commencent à être durs et Beaumoulin, une grosse boîte concurrente va sans doute bientôt racheter Cosson.
Il y a là, vivant ensemble depuis pas mal d’années, les deux cadres: Jaudiard, le chef de service un peu autoritaire qui supervise, et Guillermo, qui s’occupe des appareils envoyés pour réparation. Et les secrétaires: Yvette,la plus âgée, Anne et Nicole, toutes les deux amoureuses de Guillermo qui gèrent les appels des clients.
Bien entendu, ce microscosme est fait de relations à la fois professionnelles mais aussi plus personnelles, avec ses amours et ses nostalgies à un moment où l’entreprise va être profondément bouleversée. La pièce, qui n’a guère vieilli, est parfois un peu longue mais très intelligemment faite de répliques qui partent dans tous les sens, avec une rare qualité d’écriture , où le comique et la tendresse se croisent sans arrêt, puisque l’on est à la fois dans les relations de travail et dans le plus intime de chaque personnage.
Le texte, sans véritable dialogue, ne comporte guère de didascalies pour éclairer le metteur en scène. Mais Valérie Grail sait faire et remplit le contrat ; Cédric David, Luc Ducros, Agathe L’Huillier, Julie Ménard, Mireille Roussel sont tout à fait crédibles dans ces personnages de petits employés, à la fois touchants dans leur maladresse, et profondément drôles, mais les comédiens ne tombent jamais dans la caricature . De ce côté-là, Valérie Grail les a bien dirigés.
Mais il y a pendant ces 90 minutes, une sorte d’uniformité dans la représentation quelque peu gênante, un ton qui reste le même et qui va davantage du côté du comique. C’est peut-être un parti pris mais on semble parfois égaré chez les Deschiens, alors que Vinaver met aussi l’accent sur la violence inhérente aux restructurations qui vont bouleverser inévitablement les relations dans le personnel au sein de l’ entreprise Cosson.
Valérie Grail aurait intérêt à resserrer les boulons de ce côté-là et à nuancer les choses . Mais cela devait aussi aller mieux quand elle aura quitté le grand plateau du Théâtre Jean Vilar où tout se perd un peu, pour la scène plus intime du Lucernaire où la pièce devrait être davantage mise en valeur.
On devrait aussi mieux entendre aussi la diversité des langages, insérés les un dans les autres, dans le superbe travail d’orfèvrerie de Vinaver . Les Travaux et les Jours, c’est aussi en effet une formidable plongée poétique dans le monde de l’entreprise: c’est plutôt rare au théâtre et cela vaut donc le déplacement.
Philippe du Vignal
Création au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine puis reprise au Lucernaire du 25 avril au 2 juin du mercredi au samedi à 21h 30.