La Sagesse des abeilles
La Sagesse des abeilles, un spectacle de Jean Lambert-Wild, Jean-Luc Therminarias, Michel Onfray, Lorenzo Malaguerra et François Royet.
La Sagesse des abeilles, c’est d’abord un texte poétique de Michel Onfray qui a pour sous-titre Première leçon de Démocrite. Le philosophe avait déjà confié le texte du Recours aux forêts à Jean Lambert-wild pour en faire un travail théâtral. Pourquoi Démocrite? Sans doute en hommage à son célèbre devancier du IVème siècle et à sa célébration de la connaissance, de la paix de l’âme et du plaisir de l’homme libre et indépendant, et libre de tout attache avec les dieux, c’est à dire athée. Un Démocrite ravi, dit Onfray, » de scruter le ciel pour y trouver les leçons données par le cosmos aux hommes. Cette sagesse donnée par les abeilles invite au surhumain – qui est tout simplement connaissance du rôle architectonique de la volonté de puissance, amour de ce savoir et, de ce fait, obtention d’une jubilation qui sauve du nihilisme. »
Ce cosmos étant aussi comparable au minicosmos des abeilles célébrées par Maëterlink et à leur fameuse république, dont on sait le rôle indispensable dans la pollinisation des fleurs, actuellement en danger: les colonies d’abeilles s’effondrent surtout depuis 2007. A cause de leur incapacité à rejoindre leur ruche. Mis en avant: les pesticides et les OGM produisant leurs propres insecticides vendus par de grandes firmes de phyto-sanitaires, des pollens toxiques dûs à la plantation de tilleuls exotiques dans nos villes, et les ondes wi-fi qui se baladent un peu partout.
Bref, ce mélange explosif de brillantes inventions de l’homme du 20ème siècle risque fort de se retourner contre lui… Même si les abeilles (cent millions d’années d’existence) ne sont pas les seuls insectes pollinisateurs, en termes de production alimentaire, on risque bien une catastrophe à brève échéance…
Michel Onfray commence ce long poème dramatique par la célébration de son père mort à 83 ans il y a trois ans: « Mon père est mort à minuit vingt/ sous un ciel bas/ Sans étoiles/ Sous une voûte brune/ Comme si les feux s’étaient éteints/ pour vider un ciel qu’il m’avait appris à lire » (…) » Il est mort debout/ Droit/ Vivant/ Comme il avait vécu des trente mille aurores ». Bref une leçon de vie pour l’enfant d’autrefois qui, à la maturité de sa vie, prend conscience que son père, simple ouvrier, lui a aussi donné ses première leçons de philo, avant même son cher Lucien Jerphagnon, proche de Pierre Grimal et de Jacqueline de Romilly, nos chers profs de Sorbonne, et par ailleurs spécialiste de Saint-Augustin.
Les vivants et les morts, les hommes et les étoiles, le cosmos et l’abeille, née » du ventre putride d’un animal mort » (…) « qui part vers le sexe des fleurs et s’en repaît » en se guidant sur l’étoile polaire, la grande leçon de sagesse que donne l’organisation du monde des abeilles et la grande bêtise des hommes qui ont oublié le savoir-premier des paysans. C’est tout cela que veut signifier ce long et beau poème qui se veut une leçon de clairvoyance, leçon de sérénité mais aussi leçon de politique aussi si l’on veut bien s’attarder un peu sur le rapport entre les hommes et le monde
Reste à savoir comment on le peut porter à la scène. Michel Onfray parle- et c’est sa propre voix que l’on entendra dire ce poème, ce qui ne fait pas tout. Certes la voix du philosophe bien timbrée a quelque chose d’envoûtant mais, à part quelques nuages vidéographiés au début, il a juste sur scène, derrière un tulle, et dans une profonde pénombre, un grand mannequin en polyester transparent (pas très beau), muni de deux bras noirs sur lequel est projeté un visage humain dont on aperçoit les lèvres et qui dit le texte. Donc quelque chose qui est plus proche de l’installation qui pourrait figurer dans la récente exposition du musée d’art contemporain avenue d’Iéna. Puis le corps en plastique s’éclaire davantage et l’on voit plusieurs centaines d’abeilles voler à l’intérieur. Grâce à François Menet, brillant régisseur des dites abeilles qui, chaque soir, installe le dispositif avec une ruche reliée au mannequin. Il y a aussi en accompagnement de cette projection lumineuse, et de la voix d’Onfray, la musique de Jean-Luc Therminarias avec les percussions de Jean-François Oliver.
Cela fonctionne? Oui, au début… Il y a une véritable et belle rencontre avec le texte, de Michel Onfray, et on est subjugué par cette voix intelligente et grave qui nous emmène dans une réflexion philosophique de grande qualité, tout à fait accessible à un public populaire comme on dit. Mais, au bout de quelque vingt minutes, une espèce de torpeur saisit le public, sans doute à cause du double enregistrement: son, et voix, sans présence vivante autre que celle des abeilles mais à cause aussi de cette trop belle lumière sépulcrale. Mieux éclairé et plus court, le spectacle atteindrait sans doute son but. Même si Jean Lambert-wild a raison de dire que le théâtre reste encore un espace où l’on peut tenter ce genre d’expériences…
Alors à voir? C’est selon…Nous ne vous avons rien caché; donc, à vous de décider.
Philippe du Vignal
Comédie de Caen / Théâtre des Cordes. Jusqu’au vendredi 27 avril, puis du mercredi 2 au vendredi 4 mai.T: 02 30 46 27 29. Puis au Théâtre du Crochetan à Monthey en Suisse 13 au 15 juillet; et au Festival Les Escales improbables à Montréal en septembre.