Hernani
Hernani, de Victor Hugo, mise en scène de Margaux Eskenasi.
Plus de bataille d’Hernani: la modernité de Victor Hugo est manifeste. Pas loin de deux siècles après la dite bataille – scandale, cris, bagarres, gilets rouges, tout au long des représentations – qui s’est jouée (on est avant tout et au bout du compte au théâtre) entre supposés classiques et romantiques militants, la querelle se serait plutôt déplacée du côté d’un Victor Hugo « pompier », « mélo », emphatique, grandiloquent, pour ceux qui ne le connaissent pas. Qui sont en recul : voir le succès de Ruy Blas monté récemment par Christian Schiaretti.
La très jeune compagnie Nova, cherche la bagarre au nom de sa jeunesse,Elle fait, avec son inexpérience, ses maladresses et sa conviction, voir et entendre Hernani. Rappelons l’affaire : amour, vengeance et honneur. Le chef de bande Hernani – prince de sang royal, on le saura à la fin, dont le père a été banni et dégradé par le roi – aime Dona Sol et est aimé d’elle. La pure et vaillante jeune fille (elle a nettement plus de caractère qu’une Cosette) doit épouser son oncle, Don Ruy Gomez de Silva. Un troisième homme est sur les rangs : Don Carlos, futur Charles-Quint, encore jeune et sans scrupules, qui veut enlever Dona Sol.
Voilà pour l’amour. Pour la vengeance, elle sera rendue impossible. Quant à l’honneur, les trois hommes en font assaut, chacun à son tour, jusqu’à ce que le drame tourne à la tragédie : Hernani doit sa vie à Silva, une dette est une dette. Silva, jaloux de son jeune rival réhabilité et restitué dans ses droits, exige cette dette le soir même du mariage des deux purs amants. Nuit de noces dans les bras de la mort, avec le tombeau pour lit nuptial : la jeunesse triomphe quand même du vieillard amoureux, à qui il ne reste qu’à mourir à son tour, seul.
C’est traité avec une belle énergie, le spectateur s’attache à l’affaire. « Il est à l’escalier/dérobé » et le « lion superbe et généreux », la « force qui va » passent à leur juste place, sans ironie, dans le texte et dans le mouvement. Le vers audacieux de Victor Hugo fonctionne à merveille, parfois inutilement “sur-bousculé“. L’important y est : on rit parfois, on tremble-un peu- et surtout on entend la parole du poète qui ne se gêne pas pour faire du théâtre une tribune : non au service d’une thèse, mais déjà au service d’une interrogation humaniste. Le pouvoir ne peut-il être que tyrannique ? La révolte hors la loi ? La parole donnée indépassable ? L’amour écrasé ?
Mais la compagnie Nova est restée un peu à mi-chemin de ses ambitions : la scénographie, quoique réduite, est empêtrée d’objets inutiles. La bonne idée – économique et scénique – d’en faire apporter les éléments par les comédiens eux-mêmes n’est pas assez jouée, et devient donc casse-gueule. En même temps, une idée forte, quoique pas très bien réalisée, montre un sens intéressant de la dramaturgie : l’armoire où se cache Don Carlos mauvais garçon, gosse de riche, sera plus tard le tombeau de Charlemagne d’où-il s’est encore caché- il ressort homme d’Etat.
Même chose pour le jeu : le comédien qui joue Don Carlos, s’améliore au fil de la représentation, comme celui qui incarne Silva, trop occupé au début à jouer le vieillard pour faire entendre les enjeux du personnage, qu’on perçoit très bien ensuite. Ainsi, le fameux: » J’en passe et des meilleurs » prend toute la richesse de son sens. Les filles sont bien, sans chichis, avec une Dona Sol en Agnès de cour, un peu brute de décoffrage. Hernani serait presque un peu cabot, mais c’est écrit comme ça.
Peut-être, à la fin, la mise en scène appuie-t-elle un peu trop sur le contraste entre son désir viril à lui et la pudeur effrayée de la jeune vierge qui s’offre et retarde… Pas de quoi bouder. Mais la troupe n’arrive pas encore à l’invention de ses prédécesseurs ( Stuart Seide pour la scénographie ou Brigitte Jaques-Wajeman pour la liberté et l’exigence dans le traitement du vers), mais on appréciera son ambition… et donc le spectacle.
Christine Friedel
Théâtre de Belleville – 01 48 06 72 3 4 – jusqu’au 3 juin.