Tokyo Bar
Tokyo Bar de Tennessee Williams, adaptation de Jean-Marie Besset, mise en scène de Gilbert Désveaux.
De T. Williams,(1911-1983) on connaît généralement les pièces les plus connues, écrites de 45 à 61 et souvent adaptées au cinéma, comme, entre autres La ménagerie de verre (1944), Un Tramway nommé désir (1947), La Chatte sur un toit brûlant (1955), La Descente d’Orphée (1957) Soudain l’été dernier (1958) ou encore La Nuit de l’iguane (1961). Puis, commencera alors pour lui, une période d’alcoolisme et de dépression. Il continuera à écrire de la poésie, deux romans, et quelques pièces peu connues en France dont « In the bar of a Tokyo, I rise in flame, cried the phoenix, The mutilated , I can’t imagine to morrow, Confessional, The frosted glass coffin, A perfect analysis given by a parrot, Lifeboat drill, Now the cats with jewelled claws ». Il mourra seul dans un hôtel de New York dans des circonstances mal élucidées, officiellement asphyxié par un bouchon de flacon qu’il aurait avalé.
Tokyo bar, c’est l’histoire de la fin d’un couple: Mark, un grand peintre expressionniste non figuratif qui peut faire penser à Jacson Pollock. Après des années de création, il est usé, et comme vidé de toute énergie, alcoolique au dernier degré . Il est parti pour le Japon et séjourne dans un grand hôtel de Tokyo avec sa femme Miriam qui a sans doute beaucoup œuvré pour la réussite de son mari. Elle n’en peut visiblement plus de protéger cet homme qu’ elle l’a sans doute aimé mais Mark est au bout du rouleau et ne lui inspire plus aucune envie, juste un peu de compassion méprisante: « Il est persuadé, dit-elle, qu’il a inventé la couleur »…En même temps, elle garde pour lui une sorte d’instinct maternel, quand elle le voit en si mauvais état.
Comme l’analyse très bien T. Williams, dans une lettre à un metteur en scène: « Au début dans sa jeunesse, sa bonne santé lui a permis de mener de front son œuvre et sa vie intime. Désormais, même s’il ne le montre pas, il a gardé un grand appétit sexuel. Il consacrera trouver pour une femme la même énergie qu’il apporte à son œuvre. Au début, la femme acceptera, feindra d’accepter, la priorité qu’il accorde à son œuvre. puis la femme n’admet plus-ça se conçoit-d’être constamment reléguée à la seconde place et le fera payer(se vengera) par de multiples aventures ou simples rencontres, parfois aussi voraces que celles de Miriam ».
Mark sait depuis pas mal d’années que Miriam le quitte la nuit pour rentrer au petit matin, après avoir passé la nuit avec un amant de hasard. Elle aussi ne boit pas que de l’eau, et a une avidité sexuelle évidente. Bref, le couple n’en est plus vraiment un et Mark, lui, reste la plupart du temps enfermé dans se chambre à essayer de peindre entre deux verres d’alcool. Mais Miriam, elle, voudrait absolument jouer les touristes et visiter le Japon.
En attendant, habillée en robe très sexy, elle est souvent au bar de l’hôtel, où elle boit sec et drague le jeune barman qui ne semble pas indifférent à ses propositions directes et à ses caresses érotiques.. Bientôt Miriam, épuisée par l’alcool et par un semblant de dévouement à une cause perdue, minée par la solitude, ne supporte plus Mark et appelle au secours son agent artistique pour qu’il le rapatrie d’urgence aux Etats-Unis par avion-ce qui, vu son état, parait impossible. Elle pourrait se dit-elle, sans trop y croire, jouirenfin d’une liberté retrouvée… Mais la vie est souvent imprévisible et Mark va s’écrouler tout d’un coup, mort subitement, dans le bar de cet hôtel international …
Ce Tokyobar, créé en 69 à Brodway, adapté par Jean-Marie Besset et mis en scène au Théâtre des Treize-Vents de Montpellier en octobre dernier, n’avait pas reçu pas un accueil des plus favorables… Mais depuis, il semble que la réalisation et la direction d’acteurs de Gilbert Désveaux aient évolué dans le bon sens. A la Tempête, on entend bien le texte qui n’a peut-être pas la puissance des grandes pièces mais le personnage de Miriam -une cousine de la Blanche Dubois du Tramway est assez fascinant. Et quand c’est Christine Boisson qui s’en empare, le résultat est fabuleux. Diction parfaite, gestuelle impeccable ( par exemple quand elle essaye de séduire le barman avec une sorte de danse très érotique). Christine Boisson sait passer d’un sentiment à l’autre avec une maîtrise incomparable: érotisme, tendresse, colère froide, désespoir, exaspération, solitude, froideur… Elle est remarquable et dit tout avec une incroyable économie de moyens.
Et ses camarades sont tous aussi très bien: Alexis Rangheard, qui a repris rapidement le rôle, incarne un Mark alcoolique titubant, tout à fait crédible, Laurent d’Olce qui joue Léonard son agent artistique, le fait avec beaucoup de retenue et d’efficacité, et le barman japonais Mathieu Lee est remarquable: d’une parfaite exactitude dans le moindre geste et la moindre réplique. Tennessee Williams qui avait été autrefois barman l’aurait beaucoup aimé...
La scénographie assez prétentieuse peut se laisser oublier et Gilbert Désveaux aurait pu nous épargner deux vidéos aussi faiblardes qu’inutiles: une peinture dégoulinante pour nous faire comprendre que l’œuvre de Mark est proche de celle de Pollock, et une sorte d’électrocardiogramme avec son visage après cette mort subite… Ah! Cette manie de tout vouloir surligner, comme si les mots de T. Williams ne suffisaient pas! C’est à se demander comment on pouvait faire quand la vidéo n’existait pas…
Ces erreurs mises à part, le spectacle mérite d’être vu.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 2 juin.