Nathan

Nathan, texte, mise en scène et scénographie d’Emmanuel Schwartz.

Auteur des Chroniques, une trilogie présentée en 2009,  Emmanuel Schwartz affirme que Nathan est le « prolongement épique » de ces premières œuvres qui ont attiré l’attention  du public montréalais à l’époque. Il faut avouer que l’écriture de ce « petit frère d’armes et d’âme »  de Wajdi Mouawad, est  étonnante! Elle coule, elle est souple, elle accumule des métaphores, des références aux œuvres anciennes et modernes. Elle révèle un imaginaire débridé, tumultueux, cosmique et étourdissant. Toutefois, le texte dramaturgique que Schwartz nous propose donne souvent l’impression d’une logorrhée insupportable, un flux de mots incontrôlables qui inondent l’espace scénique et nous empêchent de cerner l’essentiel de cette œuvre mise en scène par l’auteur lui-même.

Tout commence assez bien. Une vision « schwartzienne » de la création du monde, une cosmogonie poétique d’une beauté réelle, une histoire de la terre qui semble emprunter aux mythes autochtones, qui aboutit dans une salle d’hôpital où la voix limpide de « Janvier », le narrateur et l’ami de la famille, nous oriente déjà dans la trajectoire apocalyptique que prendra la pièce. Nathan Bénédict, enveloppé de bandelettes, est un être exceptionnel, génial, victime d’une combustion spontanée. Il se retrouve sur le bloc opératoire où les médecins sont en train de réparer les restes calcinés de ce jeune homme, dont on n’a retrouvé que le cœur, le cerveau et deux poumons après ce drôle d’incendie. La survie des organes assure la survie de Nathan car les parties détruites seront reconstituées à partir d’autres corps « étrangers » pour que ce jeune homme devienne l’Incarnation d’un véritable être hybride. L’œuvre se déroule pendant l’intervention chirurgicale de Nathan alors que ce jeune homme « spécial », connecté aux systèmes de communications cybernétiques et autres, raconte la généalogie spectaculaire de sa propre famille, les Benedict, de ses origines jusqu’au moment où Nathan se retrouve à l’hôpital.

Le récit vivant de l’Histoire familiale qui est censé répondre au mystère de la combustion spontanée, est concrétisé par la présence des membres de sa famille qui attendent les résultats de l’intervention chirurgicale, tout en jouant des rôles dans cette mise en abyme familiale. Ce sont donc des retours en arrière, des sauts inattendus entre les différentes temporalités où une multitude de personnages se présentent, s’expliquent, et nous montrent les rôles qu’ils ont joués dans l’évolution de cette famille. Les passages entre la famille du père et la famille de la mère confèrent au récit une ambiance mythique, rendue évidente par la mise en scène et la scénographie de l’auteur qui place l’ensemble de la pièce dans un espace qui ressemble à un écran d’ordinateur. Les personnages apparaissent et s’effacent, les sources de lumière éclairent différentes portions de « l’écran » au fur et à mesure que les acteurs se présentent. Il faut dire que j’ai beaucoup apprécié la vision scénique de Schwartz qui s’adaptait extrêmement bien aux moments de farce, de drame, voire de mélodrame – alors que le personnage de Nathan se tord sur le bloc opératoire, prend la parole et nous transporte dans l’espace de son imaginaire débordant pour devenir la présence charismatique d’une figure christique dont la mort pourrait engendrer un nouvel ordre du monde américain.

Certains moments ont retenu l’attention : la création du monde était hallucinante! Le récit des origines autochtones de la famille et le récit problématique de l’oncle intellectuel est très bien menés. Les commentaires qui intègrent la remise en question des conventions du théâtre ainsi que les querelles de famille, hurlements, insultes, réseaux de relations rhizomatiques réalisées par des rencontres dans le monde, montrent que Nathan est autant une pièce sur le théâtre que sur la généalogie de la nouvelle famille québécoise en pleine transformation.

Malheureusement, la pièce nous propose une telle accumulation d’idées, de situations, d’impressions, d’images, de déviations, de répétitions, qu’elle finit par nous étouffer. Il faut absolument épurer cette écriture qui cache un langage théâtral quelque part. Par moments les personnages parlent trop et on se demande pourquoi ils répètent les mêmes images, les mêmes idées tant de fois. Pourquoi faut-il tout expliquer? Le théâtre permet aussi aux artistes de montrer, d’évoquer ou de garder le silence.

Cette urgence de tout dire dans le moindre détail est parfois gênante. Par ailleurs, l’auteur aurait pu mettre davantage en évidence les éléments importants mais puisqu’il accordait la même importance à tous les énoncés, les déclarations les plus significatives se sont noyées dans le flot général des mots et le mouvement de la pièce s’embourbe dans cette inondation de paroles d’où nous ne pouvons pas toujours retirer l’essentiel. Le résultat est parfois la confusion et souvent la fatigue voire la frustration. Ce problème est surtout évident pendant la deuxième partie du spectacle où l’auteur aurait pu éliminer une bonne partie du texte.

Nathan sera présenté au Festival TransAmérique le mois prochain. Il est évident que cette création mondiale à Ottawa était aussi une manière de tester la réaction des spectateurs avant l’événement montréalais. Cette spectatrice était à la fois fascinée et agacée. Il convient de mentionner qu’un tiers du public est parti pendant l’entracte. Il n’y a pas de doute qu’il reste encore du travail à faire avant le Festival.

Nathan. Une coproduction du Festival TransAmérique et du Théâtre français du Centre national des Arts, Ottawa, est programmé au Festival TransAmérique à Montréal au mois de mai.

Alvina Ruprecht

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Archive pour 6 mai, 2012

Robert Plankett

 Robert Plankett, écriture du collectif La vie brève, mise en scène de Jeanne Candel

Peu  de choses à dire de plus  depuis les représentations au Théâtre de la Cité Universitaire en janvier 2011 ( Voir ci-dessous l’article du  Théâtre du blog janvier 2011). Toujours la même intelligence du plateau, grâce à la formidable  scénographie de Lisa Navarro. Mais… le spectacle semble, un an plus tard, semble parfois un peu usé et ses défauts( dramaturgie en roue libre, interprétation inégale) semblent s’être accentués. Comme disait -méchamment- notre prof génial et virulent,  Bernard Dort à propos du travail de  Jean-Marie Serreau:  » Les cinq premières tout va bien mais très vite ses mises en scène perdent leurs boulons en route ».
Pour Robert Plankett, c’est surtout une question de rythme pas très bien géré et cela pèse sur tout le spectacle. On a l’impression que Jeanne Candel a du mal à  choisir entre l’installation plastique de musée d’art contemporain qui aurait une parenté avec  le happening américain, l’actionnisme viennois et la performance de Michel Journiac ( la mythique messe -avec la communion  sous forme de rondelle de boudin de sang humain- dans une galerie de Saint-Germain-des-Prés avec Catherine Millet  en enfant de choeur) et un théâtre à base d’impros qui flirte parfois avec le théâtre dans le théâtre, comme ce début un peu pénible auquel on ne peut croire une seconde.
Bref, même si cette équipe  soudée sait faire les choses, on reste un peu sur sa faim, et le spectacle traîne en longueur. Il faudrait que Jeanne Candel resserre vite les choses et revoit ce travail issu d’une écriture collective qui ne constitue pas quoi qu’en dise le programme « une  approche originale qui implique les comédiens dans le travail d’écriture ». N’exagérons rien!  En tout cas,  l’énergie de départ semble s’être un peu envolée. Le Théâtre du Blog va sans doute recevoir des messages indignés des copains des acteurs qui vont crier au génie incompris mais nous persistons et signons.
Alors à voir? Oui si vous voulez découvrir de jeunes comédiens dont certains formidables,  comme celui qui joue le jeune homme silencieux très wilsonien,  mais avec les réserves indiquées plus haut…

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses jusqu’au 11 mai.

Article du 8 janvier 2011:

Robert Plankett , écriture par le Collectif La Vie Brève, mise en scène de Jeanne Candel.

robertplanketttheatrefichespectacleune.jpgRobert Planquette , c’est peut-être un nom qui vous dit quelque chose:  celui d’un compositeur d’opérettes de la fin du 19ème siècle ( Les Cloches de Corneville) auquel on a donné celui d’une rue  du 18ème arrondissement , proche de l’appartement de Jeanne Candel; le nom lui a plu, elle l’a anglicisé et  en a fait le titre de ce spectacle.
Donc ce Robert Plankett,  metteur en scène contemporain, vient de mourir brutalement d’un  AVC, comme on dit maintenant de façon pudique.  Et ses amis, sa compagne et une cousine germaine se retrouvent dans sa maison qu’il faut vider. Ils sont tous là, un peu désemparés, avec une tonne de livres et de revues à trier, un poulet congelé que certains devaient manger avec lui, et que sa compagne ne se résout ni à cuire ni à jeter et  dont l’évocation revient en boucle, comme une métaphore de Robert Plankett, lui aussi mort mais trop présent comme ce poulet dont ils ne savent que faire et qu’ ils décideront finalement de jeter.
Le début est assez étonnant: devant un rideau tendu de papier kraft, une jeune femme demande comme d’habitude de penser à éteindre les portables; en fait, ce n’est pas une ouvreuse mais un des personnages qui se lance, en guise de préambule, dans une série d’interrogations sur le fait théâtral: « Qu’est- ce qui fait qu’un spectacle commence? Est-ce que cela commence pour tout le monde en même temps? Si je vous dis que je suis née d’un père ambassadeur et d’une mère gymnaste, vous me croyez? Est-ce qu’il y a ici des gens qui n’ont jamais été au théâtre? Puis un homme découpe au cutter des fenêtres dans le papier kraft qui laisse apercevoir la tête d’une jeune femme lisant un livre d’art sur Le Titien, ou deux jeunes femmes triant des livres et les mettant en caisse. Elle est ans cette fenêtre ( voir photo)  comme encadrée; elle raconte l’histoire d’amour qu’elle a eu autrefois avec Robert en montrant-pudiquement- quelques endroit de son corps: une épaule, un cheville… Les gestes sont lents et précis, la plupart du temps en décalage avec la réalité environnante.Puis le grand rideau de papier kraft tombe d’un seul coup, pour laisser apparaître une scène vide avec quelques objets  bien réels qui ont appartenu à Robert: un vieux fauteuil en cuir, des cartons de livres , des livres alignés des rayonnages en bois, quelques chaises tubulaires, un grand tapis, bref, la vie qui continue un peu après la vie de Robert qui a cessé d’un seul coup.  Mais,  en même temps,  l’on sent une sorte de délire  s’emparer  des personnages, même quand elles boivent du thé toutes ensemble devant un garçon aux lunettes noires qui penser à Jean-Luc Godard et qui ne dira pas un mot, s’exprimant juste par quelques gestes ennuyés… . « C’ est, dit justement Jeanne Candel,  un théâtre qui circule entre concept et métaphore ». Pas mal vu comme classement,  à mi-chemin entre ce que l’on a coutume d’appeler « performance » en arts plastiques et théâtre.
Collage sans doute, d’abord d’images , de musiques,  collage de bribes de dialogues vrais  ou inventés,  de conversations décousues agrémentées  quelques disputes comme toujours au moment de l’inventaire après décès où chacun , subitement , et par pur motif sentimental ou revanchard,  revendique parfois ce dont l’autre a envie. Et cela a rarement à voir avec la valeur réelle de l’objet.
Le spectacle est bourré d’idées visuelles comme  la présence tout à fait dérangeante de cette cervelle de veau ( au fait, pourquoi dit-on : cervelle pour les animaux et cerveau pour les êtres humains. curieuse pudeur! ). Une des filles commence à décrire le fonctionnement du cerveau et à expliquer comment et pourquoi s’est produit l’AVC de Robert Plankektt convoqué justement pour montrer in vivo sa chute en ramassant des pommes , et il refait les gestes avec de vraies pommes. C’est aussi juste que poignant. Il y a aussi un formidable moment dont il faut parler: un des trois garçons emporte la masse de papier kraft  qu’il essaye de faire passer par une porte: cela fait un énorme bruit qui recouvre petit à petit la parole d’une des filles. Et puis tourne un  petit jouet/ vélo lumineux qui tourne autour des pieds des acteurs, comme le fameux petit grain imaginé par Strehler pour sa fabuleuse Cerisaie, pendant qu’ils mangent tous leur pomme en silence au moment du salut final.
On l’aura compris: le spectacle doit beaucoup à la très intelligente  scénographie de Lisa Navarro; cela ne parait rien mais  il y a des idées aussi intelligentes que  soigneusement réalisées , comme cette idée géniale de  faire découper au centimètre près ces petites fenêtres pour faire apparaître des visages et des petites scènes, ou cette dispersion des cendres de Robert sur le corps d’une des filles : quand elle se relève , on voit par terre l’empreinte en négatif d’un  corps qui pourrait être aussi celui de Robert.
Cette scénographie exemplaire- ce qui est loin d’être le cas dans le théâtre contemporain! -est en parfaite adéquation avec la mise en scène de Jeanne Candel qui est, par ailleurs, une bonne directrice d’acteurs.  Pas de cris, pas d’effets gratuits ou de minauderies, mais une gestuelle  précise et une très bonne utilisation du plateau par les comédiens ou plutôt les six comédiennes, puisque les garçons ne sont que trois!
C’est aussi une idée formidable dans un monde théâtral où les acteurs comme les directeurs ,sont toujours beaucoup plus nombreux.( Saluons au passage l’arrivée de Macha Makeieff au Théâtre de la Criée à Marseille mais cela ne fait toujours que trois directrices ….  Les comédiens se déplacent tous un peu comme dans une chorégraphie sur des musiques  de Rossini,  Bach , Schubert mais aussi de The Coasters, le fameux groupe de Los Angeles fondé en 57 … Pina Bausch  mais aussi Antoine Vitez avec son idée de pouvoir faire de faire du théâtre de tout, et Tadeusz Kantor ne sont jamais très loin: ces trois phares du théâtre contemporain  auraient sûrement aimé ce spectacle qui met en abyme la notion de spectacle, sans refaire du théâtre dans le théâtre, thème usé jusqu’à la corde et que Jeanne Candel a évité de justesse. Et c’est un spectacle qui peut parler à tous.
Mais il faudrait  que cette écriture collective ( cela revient à la mode et nous rajeunit! ), fasse l’objet d’une véritable dramaturgie: il y a beaucoup trop de longueurs,de temps morts mal gérés, trop de clichés habituels aux groupes d’anciens élèves d’école  comme ces morceaux de tirades classiques, et il faudrait que ce travail en cours fasse l’objet d’une révision par endroits drastique. Ce que ,visiblement, on ne leur a pas appris au Conservatoire national! En tout cas,  Jeanne Candel prouve qu’elle a su réunir autour d’un projet  de jeunes acteurs au métier solide, une créatrice lumière comme Sylvie Mélis et une directrice de la musique comme Jeanne Sicre: quand on sait quelles difficultés il y a à construire une véritable équipe de travail, c’est assez remarquable et  Jeanne Candel doit aller  plus loin, avec plus d’audace, si elle est   financièrement aidée. Alors à voir ? Oui, malgré les défaut signalés plus haut, ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à la naissance d’une compagnie aussi inventive et capable d’un véritable travail scénique, à mi-chemin on l’a dit, entre la performance et le théâtre-théâtre.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 29 janvier.

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