Une puce, épargnez-la

Une puce, épargnez-la, mise en scène d’ Anne-Laure Liégeois

Une puce, épargnez-la puce_siteNaomi Wallace dramaturge, scénariste et poétesse américaine, écrit un théâtre engagé. Avec une dizaine de pièces à son actif. C’est Au pont de Popelick qui l’a fait connaître en France (pièce qu’on pourra bientôt écouter en lecture au Conservatoire d’Avignon pendant le Festival. Elle est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine.

« Que fais-tu hors de ta tombe ? » : cette première phrase affolée du prologue donne le ton. Londres, 1655. la peste ravage la ville. La maison des riches marchands,les Snelgrave, est mise en quarantaine. S’y sont introduits deux intrus. Une fillette de 12 ans, Morse, qui a pris l’identité et les vêtements de sa jeune maîtresse morte de la peste et Bunce, déserteur de la marine de sa Majesté, fuyant la guerre contre les Hollandais.

Les quatre reclus de ce presque tombeau ont pour seul lien avec l’extérieur les irruptions épisodiques de Kabe (Christian Gonon) qui surveille la maison et égrène les chroniques de la peste avec une gouaille toute populaire.

Le chaos du dehors bouleverse l’ordre social du dedans, les clivages entre riches et pauvres font place à des face à face cruels ou tendres. La mort qui rode exacerbe les désirs. Les blessures intimes de chacun se dévoilent, au propre comme au figuré.

A mesure que se nouent les relations entre les protagonistes ( à l’image des nœuds auxquels excelle le marin), l’espace scénique s’ouvre, tel un tableau, sur les zones obscures des êtres, insidieusement envahi par de funestes corbeaux. Anne – Laure Liégeois réalise une mise en scène sobre, toute en nuances, dans un décor gris et blanc d’où se détachent quelques taches de couleur. La robe safran de Morse, délurée et grave, mi-ange mi-démon ( interprétée avec une subtile vigueur par Julie Sicard). Les mains rouges de Mme Snelgrave ( Catherine Sauval) ont des brûlures anciennes qu’elle expose quand, au contact des plaies de Bunce (Félicien Juttner), s’éveille sa sexualité, refoulée depuis qu’un incendie a ravagé son corps. Tandis que Monsieur Snelgrave (Guillaume Gallienne) agonise.
L’ élégance et la retenue de la mise en scène et de la direction d’acteurs tranchent avec la crudité de la situation, la férocité et la violence des affrontements entre les personnages, la puanteur et la corruption des chairs, la décomposition du corps social. Un contrepoint à la dialectique un peu trop manichéenne de Naomi Wallace dont la pièce, s’ancre dans un contexte historique, que souligne le hiératique pictural de la gestuelle et des images inspirées des tableaux de l’d’époque.
Elle parle cependant de la société de classe d’aujourd’hui, hantée par la peur des épidémies et en proie aux troubles sociaux. La langue, dense, nerveuse, pleine d’aspérités, est d’une grande fluidité ( rendue par la traduction efficace de Dominique Hollier) malgré quelques débordements verbeux.

Mireille Davidovici

Comédie Française, théâtre éphémère jusqu’au 12 juin.

Une Puce, épargnez-là et Au Cœur de l’Amérique sont parues aux éditions Théâtrales.

 

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