Mademoiselle Julie
Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Frédéric Fisbach.
Cette pièce-culte, écrite par Strindberg en 1888, d’abord interdite en Suède, fut créée au Danemark en 89, puis en France, par le grand Antoine, et dix-huit ans plus tard seulement en Suède où elle sentait encore le souffre . Elle fit l’objet depuis d’innombrables mises en scène au théâtre et au cinéma.
On avait pu la voir dans une réalisation de Christian Schiaretti en 2011 au Théâtre de la Colline (voir Le Théâtre du Blog) dans la belle traduction de Terje Sinding. La pièce se passe une nuit d’été de la Saint-Jean dans la grande demeure d’un comte que l’on ne verra pas sur scène; il est sorti, et Julie, sa fille, qui a une forte conscience de sa classe sociale, semble cependant très seule, quelque peu perdue et cherche à dominer les autres , les hommes en particulier, comme ce Jean, le valet du comte, à la fois violent, cynique et très ambitieux qui n’ a jamais accepté sa condition de domestique et a de sérieuses revanches à prendre avec la vie. La jeune cuisinière Kristin, fiancée à Jean, ivre de fatigue, s’est endormie; Julie et Jean vont donc se retrouver seuls...
Jean n’a pas une bien haute opinion de ses maîtres; dur, intransigeant, il fera payer très cher à Julie ses provocations érotiques qu’il doit subir en silence; il n’hésitera pas à faire l’amour avec elle cette nuit de la Saint-Jean pour l’abandonner ensuite et la pousser au suicide…
Lucide, il a vite vu que leur aventure était sans issue. Il ne veut pas suivre Julie qui ne s’en ira donc pas avec lui, bien qu’elle ait réussi à voler assez d’argent à son père pour aller vivre en Suisse; Jean préférera à l’aventure qu’elle lui propose, rester au service du comte. Alors même qu’il est fiancé , ou c’est tout comme, à Kristin, la jeune cuisinière qui va découvrir que Jean et Julie ont bu toute la nuit et ont fini par coucher ensemble.
Kristin, épuisée par le travail, essaye de trouver une consolation à une vie sans espoir dans la piété et la religion. Mais elle aussi méprise ses patrons mais semble résignée à mener cette vie ingrate et sans avenir de domestique. Bref, c’est la preuve par neuf selon Strindberg: c’est une illusion de croire que l’on peut échapper au destin que la société a déjà programmé pour vous. Pas des plus optimistes mais chez Strindberg, le contraire eût été étonnant!
La pièce, plus de cent ans déjà après avoir été créée, reste forte et Christian Schiaretti s’en était bien sorti. Avec une grande économie de moyens et une solide direction d’acteurs. Mais la mise en scène de Frédéric Fisbach ressemble à un concentré d’erreurs. Cela commence mal avec un série de projos dits « éblouissants « face public qui peut ainsi voir son image en miroir! Vieux procédé usé jusqu’à la corde! La scénographie prétentieuse et sans doute coûteuse-dûe à Laurent P. Berger qui avait déjà travaillé avec Fisbach et Cantarella-dessert la mise en scène.
Imaginez un grand espace blanc, avec des tubes fluo blancs au plafond et totalement fermé par de grandes baies coulissantes avec, côté jardin, un piano blanc de cuisine contemporaine et, côté cour, une sorte de fosse avec canapés blancs, entouré d’un rideau de tulle blanc où, à la fin, Julie se jette pour se suicider (???).
Au second plan, et, dès le début, (ce qui n’est pas dans la pièce mais passons!), il y a comme un bois de bouleaux où, sur une musique disco, se déhanchent treize jeunes gens, armés de bouteilles, pour une nuit de la Saint-Jean qu’ils envisagent comme bien arrosée. Il y a donc peu de véritable espace de jeu pour les trois protagonistes dotés, dans la première partie, de micros H.F. qui lissent les voix, ce qui n’est jamais agréable.
Et cette petite sauterie en fond de scène qui dure longtemps réussit quand même à parasiter visuellement l’action. Le tout dans une lumière crépusculaire, presque permanente, si bien qu’on ne voit pas toujours bien qui parle. Et, à la presque fin, on a peine à voir les trois comédiens à cause d’une espèce d’applique fort laide en fond de scène, qui éblouit le public incapable de discerner le visage des personnages. Encore sans doute une idée géniale de mise en scène!
Juliette Binoche, dans une robe en strass dorée pas très réussie pourtant signée Lanvin (histoire de dire sans doute que cette jeune aristocrate de campagne est assez riche! Voir Les Maladies du costume de théâtre du grand Roland Barthes!) a, comme Nicolas Bouchaud, à peu près le double de l’âge des personnages. C’est quand même un peu embêtant…
Et la direction d’acteurs reste bien floue: la violence de Jean comme la sensualité et la solitude de Julie… on n’en voit pas grand chose sur scène! Encore heureux quand on entend les acteurs, ce qui n’est pas toujours le cas, et, à certains moments, toute l’interprétation semble se perdre. Et on n’arrive pas à comprendre non plus ces noirs qui, à la fin, cassent le rythme déjà laborieux de cette mise en scène. Nicolas Bouchaud fait ce qu’il peut, et semble un peu plus à l’aise sur le plateau de l’Odéon que Juliette Binoche. Bénédicte Cerutti, elle, s’en sort plutôt bien.
Que peut-on sauver de ce bricolage sur Strindberg? Soyons justes: vers la fin, quand tout semble précipiter Julie dans sa chute programmée, il y a quelques beaux moments, comme un frémissement de quelque chose qui pourrait enfin avoir lieu… Frédéric Fisbach déclare non sans aplomb: » Tous les arts viennent se représenter sur la scène, je jubile »! Désolé, c’est faux, et, nous, nous ne jubilons pas du tout… Et le public qui tousse souvent pendant la représentation, ne semble pas avoir vraiment retrouvé la comédienne que l’on n’a pas vue au théâtre depuis un bon moment et qui est pourtant l’une de celles qui a glané les plus grands prix d’interprétation au cinéma.
Alors à voir? Peut-être uniquement pour le texte d’August Strindberg (mais vous pouvez aussi le lire) mais vraiment pas pour cette mise en scène aussi prétentieuse qu’inefficace. Nous n’avions pu être là aux représentations du Festival d’Avignon au Gymnase Aubanel l’an passé, mais cette reprise est bien décevante. Dommage…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 24 juin.
Le texte est édité chez Circé,Théâtre, 2006.