Les quatre Jumelles
Les quatre Jumelles de Copi, mise en scène de Jean-Michel Rabeux.
Cela fait déjà presque 25 ans que Copi l’Argentin est mort des suites du sida; il aurait aujourd’hui 73 ans. Dessinateur et créateur reconnu, romancier, il avait aussi écrit de nombreuses pièces, dont Eva Peron où il dénonçait la dictature imposée à son pays, Une visite inopportune, assez fréquemment jouée et L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer.
Au passage, rendons à César ce qui appartient à César: c’est Jérôme Savary lui aussi, argentin, qui, le premier, avait monté de courtes pièces de lui, suivi de Jorge Lavelli, lui aussi argentin.
Copi avait aussi commis ces Quatre Jumelles, sorte de courts faux dialogues sans véritable intrigue ni personnages, qui se termine au bout de cinquante minutes, plus qu’elle ne finit. Ainsi sans doute l’avait souhaité Copi mais ce n’est pas sa meilleure pièce, et c’est un euphémisme! A la création, ces Quatre Jumelles, comme aurait dit Chirac, dans un langage plus cru, nous avaient déjà laissé perplexe..
Le texte se veut aussi provocateur qu’absurde et désespéré; cela parle sans arrêt de mort, de cocaïne ou d’héroïne que l’on s’envoie toutes les trois minutes. Les seringues, les revolvers et les couteaux s’agitent et valsent sans que l’on n’y croit un seul instant ; d’ailleurs, ce n’est pas fait pour cela, puisqu’on est dans la parodie du crime. Oui, mais cela devient vite lassant!
On est en Alaska chez les sœurs Joséphine et Leila Smith , qui rencontrent deux autres sœurs, Joséphine et Fougère Goldwashing… On s’injurie copieusement, on tue, on meurt puis on ressuscite sans difficulté aucune, dans une sorte de rituel aux attitudes stéréotypées: « Comment dire la rutilante absurdité de nos vies en assassinant toutes dix minutes, ce qui, avec Copi, provoque un rire aussi inextinguible qu’inexplicable dit Jean-Michel Tabeux(…) Pourquoi rit-on des ébats et des crimes de quatre improbables junkies, aux sexes indéfinis,aux mœurs dissolues, à la méchanceté bien établie, et qui s’entretuent avec joie et constance ».
Mais il y a un petit ennui: nous ne sommes pas obligés d’être d’accord avec Rabeux: « rire inextinguible et inexplicable », sexes indéfinis », « improbables junkies », c’est bien généreux et ce qui paraissait plutôt dérangeant et doucement provocateur il y a quelque trente ans, ne l’est plus guère du tout maintenant. Autres temps, autre mœurs! Et même pas vraiment drôle! Quand Rabeux monte La Nuit des rois de Shakespeare, c’est autrement plus comique et plus savoureux, et, dans un baroque échevelé, plus décapant…
Bien entendu , il y a comme toujours chez lui, cette formidable direction, rigoureuse et précise, avec, tous habillés et perruqués de blanc, des acteurs travestis: Georges Edmont, Marc Mérigot, et Christophe Sauger impeccables comme l’est Claude Degliame, la seule femme du quatuor.
Impeccable aussi la scénographie de Pierre-André Weitz en gradins circulaires où l’on n’est vraiment pas bien assis mais bon, cela dure 50 minutes. Avec une petite piste de jeu ronde et noire au centre du dispositif , éclairée par une grosse boule lumineuse; c’est lui qui a aussi signé les costumes et les maquillages surréalistes qui sont de grande qualité. Encore une belle installation plastique pour le Palais de Tokyo mais dont on voit mal la véritable nécessité théâtrale…
Si l’on arrive à sourire parfois, on ne rit pas vraiment, et cette loghorrée verbale et gestuelle, tout à fait répétitive, devient insupportable au bout de dix minutes., allez un quart d’heure Alors, comment ne pas s’ennuyer à ce petit jeu sans grand intérêt, où les corps des personnages s’entremêlent parfois, épuisés par une telle dépense d’énergie?
Il y a bien quelques belles images-de ce côté-là, Rabeux sait faire-et même très bien faire-mais pour le reste? Quelques spectateurs sont partis, les autres sont restés, obéissants malgré eux et bien serrés, malgré la chaleur, plutôt contraints par le dispositif à ne pas bouger de leur petite part de siège sans dossier… Mais les applaudissements sont allés aux comédiens…
Alors à voir? Oui, si vous avez encore au bout de la saison quelques réserves de masochisme, mais la vie est courte, et mieux vaut aller prendre un verre en terrasse: le théâtre est aussi dans la rue…
Philippe du Vignal
Théâtre de la Bastille jusqu’au 23 juin.