Culture(s) forces et défis du 21ème siècle

 Culture(s) forces et défis du 21ème siècle sous la direction de François Adibi et Christophe Galent

Culture(s) forces et défis du 21ème siècle  dans analyse de livre logoRéinventer un monde habitable: Les acteurs du secteur culturel dont plusieurs collectifs, tous statuts réunis, ont planché sur la refondation des politiques culturelles, en ces temps de rupture, alors que notre système de valeurs et nos expériences, lentement sédimentées, s’effritent.

La première partie, « Des forces de la création… », interroge les filières des industries culturelles (cinéma, musique, audiovisuel, livre et édition) et des biens culturels (spectacle vivant, arts plastiques, arts numériques et patrimoine). Le champ des industries culturelles, entre économie et art, est porteur d’emplois, un certain nombre d’études l’ont démontré. Il demande ajustements et nouvelles régulations pour s’adapter à l’ère du numérique (dont la révision de la Loi Hadopi). Du côté du cinéma, les modes de financements du film français et son soutien aux cinématographies du monde, l’engagement des réalisateurs et producteurs, le cinéma d’auteur, en font sa force et sa fragilité. Le CNC a valeur d’exemple pour la création d’un Centre National de la Musique, contrant la crise de la filière musicale.

Le collectif qui s’exprime pour l’audiovisuel reconnaît le flou des missions et la crise d’identité, dénonce la nomination des PDG par le pouvoir politique et le peu de place laissé au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, parle de redéfinition des missions.

Quant au domaine du livre et de l’édition, les auteurs relèvent le manque de vision stratégique et énoncent cinq grands défis : la pédagogie, l’indépendance (avec une focale sur l’avenir des librairies), l’innovation (et la promotion des partenariats public-privé), les droits d’auteurs, la préservation des œuvres par leur numérisation.

Comme pour les industries culturelles, le recensement des biens culturels entraîne questions et propositions. Le spectacle vivant a longtemps vécu sur l’actif des années Lang, mais sa vitalité s’est tassée, (remise en cause du statut de l’intermittence, baisse des revenus, précarisation de l’emploi). Les mots clés: mutualisation des savoirs, des expériences et des moyens, formation et qualification des acteurs, développement à l’international, financements croisés Etat-collectivités territoriales. La nécessité d’une loi de programmation pluri-annuelle devient indispensable, note le collectif, pour donner aux lieux et aux compagnies, un horizon.

Et, au-delà de la question des méthodes et de l’infrastructure, celle du sens est récurrente : redonner du sens aux actions, c’est-à-dire re-fonder le dialogue entre les artistes et la société, aller vers, travailler hors-les murs, élargir les publics, notamment dans le contexte rural et péri-urbain, dans l’espace scolaire (10% de la population fréquente les salles de spectacle), et se poser de manière permanente, la question, vitale, de la place de l’artiste dans la société.

La consultation lancée au printemps 2011 dans le domaine des arts plastiques, parent pauvre du ministère de la Culture note le collectif interrogé, avait donné espoir aux intervenants de la filière (artistes, directeurs d’institutions, commissaires d’expositions, critiques d’art, galeristes). Elle fut suivie de peu d’effets en termes de propositions, alors même que la demande des publics augmente. Le collectif demande le renforcement de l’action en région par, notamment, la création d’ateliers logements, la promotion des artistes, l’appui sur les acteurs privés, le soutien aux galeries, le développement de l’import-export, tout en remarquant l’absence d’une structure souple à la manière du British Council, pour les échanges internationaux.

Le constat d’une nécessaire évolution des pratiques culturelles due au développement des nouvelles technologies, la notion de création dans tous les domaines, majeurs et mineurs, dont les jeux vidéo, l’art des flux, l’art en réseau (internet et mobiles) qui font aussi partie de la vie quotidienne depuis une quinzaine d’années, l’effacement des frontières entre réel et virtuel, les droits d’auteurs sont  autant de thèmes énoncés dans ce tour d’horizon.

L’ouvrage pose aussi la question de la pertinence, dans le domaine du patrimoine (matériel et immatériel) et celui de la validité scientifique de la restauration. Secteur porteur d’identité et de mémoire, il est difficile à médiatiser et pèse en termes financiers. Ses auteurs proposent de revisiter la répartition des compétences entre Etat, collectivités locales, particuliers, de revoir les niveaux de protection, dans un contexte de développement durable et d’écologie et compte-tenu des enjeux du tourisme.

Une seconde partie… »Aux défis du XXIème siècle… » pose la question du sens, du goût du vivre ensemble et se fait l’écho d’une fraternité retrouvée  : « Un art de la relation émerge, le onzième art , avec une référence à l’éducation populaire, à la société plurielle, au respect des cultures urbaines, à ceux que l’on n’entend pas :gens ordinaires, publics défavorisés, en souffrance. Les auteurs tablent sur le degré d’inventivité des artistes, le travail à l’échelle du quartier, la recherche de nouveaux liens, pour réinventer un espace public et « compenser par le tissage ce que l’économie déchire ».Ils proposent de mettre l’accent sur ce qu’ils appellent une troisième voie qui renvoie aux collectifs d’artistes, aux coopératives.

Une soixantaine d’acteurs culturels ont signé ces « Scénarios de refondations pour une République culturelle et la reconnaissance d’un tiers secteur culturel ». Prise en charge de micro-projets culturels d’initiative citoyenne, reconnaissance d’un espace public où s’ancre le spectacle vivant, prise en compte de l’expérience de terrain par les politiques et dans les instances représentatives, définition d’un minimum social pour les acteurs de la vie culturelle dont le postulat est « de ne pas perdre sa vie à la gagner mais plutôt produire du symbolique pour ne pas mourir », attention des pouvoirs publics au terreau que fabrique la société et ré-orientation des institutions face à la crise, telles sont les propositions les plus fortes…

Les relations Nord-Sud- et Sud-Nord enfin sont envisagées sous l’angle de la conversation des cultures. La diversité deviendrait la question centrale d’un nouvel imaginaire politique dont la clé repose sur la vérité et la réconciliation suite aux colonisations, sur l’équilibre des dispositifs et des actions,. Franz Fanon, Edouard Glissant, font figure de référence dans cette invitation à réfléchir sur une société, la nôtre, dans laquelle la laïcité est ré-affirmée.

Le dernier chapitre, « Une aventure commune », reconnaissant l’héritage de Malraux en son temps, énonce, à partir des éléments collectés par les différents groupes de réflexion, treize mesures dont une loi de programmation pour une action inscrite dans la durée, véritable chemin de fer pour une intervention publique revisitée, un manifeste.
Culture(s) forces et défis du 21ème siècle est un plaidoyer pour la culture, une interpellation pour construire une autre gouvernance et restaurer le lien social, un profil de poste pour le/la prochain/e ministre de la Culture, et des outils pour restaurer notre société fragmentée au sens où Michel Wievorka l’entend, le liant à la crise de l’Etat-Nation. Nous ne sommes pas dans le discours scientifique mais sur le terrain, recentrant le débat sur le sens, le prix des choses sans prix selon Jean Duvignaud, sociologue et poète. Pas d’unité de ton comme l’annonçait la préface, un assemblage où tout est vital, une fierté retrouvée. « Mon Art serait de vivre », disait Marcel Duchamp.

Brigitte Rémer

Editions Altaïr Think Tank cultures médias, coordination éditoriale Le Publieur

 

 


Archive pour mai, 2012

PASSAGE – ESSAT. la Salamandre

PASSAGE  la Salamandre, Place Granvelle, Besançon


Fondée en 1990 par un collectif, cette compagnie de flammes et de voix fête son 22e anniversaire dans les rue de Besançon avec un somptueux spectacle déambulatoire. Ils sont une vingtaine sur la place Granvelle,nous sommes perchés sur l’Orphéon, un étrange chariot musical pénètre suivi de porteurs de flammes, un air d’opéra retentit et nous sommes invités à les suivre dans les belles rues de la ville, avec des stations au pied des maisons et des jeux acrobatiques inouïs avec les feux. Les hommes torse nus sont vêtus de longues robes comme les femmes, on frémit devant les risques pris dans ce spectacle sans paroles, accompagnés de musiques contemporaines. On se masse au pied d’une église à la haute flèche pour voir une belle acrobate blanche de Motus Module, hissée puis redescendue, danser une chorégraphie verticale à couper le souffle.

Aucun nom n’est mis en avant, dans la troupe, on peut seulement recueillir quelques informations auprès de Jean-Michel Riant dont la longue chevelure blanche est léchée par les flammes.

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ESSAT  La Salamandre, Parking de la Rhodia, Besançon


Toujours pour leur 22e anniversaire, la Salamandre présente l’ébauche d’un nouveau spectacle de flammes et de voix en frontal cette fois. Nous sommes assis sur des gradins en contrebas de l’immense citadelle illuminée qui surplombe le site. Malgré leur virtuosité et les jeux vertigineux avec les feux qui viennent lécher les comédiens, les musiques et les poèmes ne sont pas encore bien trouvés, ils doivent encore consacrer du temps à l’élaboration du spectacle. La Salamandre tourne dans le monde entier, voir la liste impressionnante de leurs tournées dans le monde sur leur site. Ils sont soutenus par la Région et le Conseil Général, mais la ville de Besançon les ignore superbement en dehors des autorisations accordées du bout des lèvres.

Edith Rappoport


http://www.la-salamandre.com

 

 

Une puce, épargnez-la

Une puce, épargnez-la, mise en scène d’ Anne-Laure Liégeois

Une puce, épargnez-la puce_siteNaomi Wallace dramaturge, scénariste et poétesse américaine, écrit un théâtre engagé. Avec une dizaine de pièces à son actif. C’est Au pont de Popelick qui l’a fait connaître en France (pièce qu’on pourra bientôt écouter en lecture au Conservatoire d’Avignon pendant le Festival. Elle est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine.

« Que fais-tu hors de ta tombe ? » : cette première phrase affolée du prologue donne le ton. Londres, 1655. la peste ravage la ville. La maison des riches marchands,les Snelgrave, est mise en quarantaine. S’y sont introduits deux intrus. Une fillette de 12 ans, Morse, qui a pris l’identité et les vêtements de sa jeune maîtresse morte de la peste et Bunce, déserteur de la marine de sa Majesté, fuyant la guerre contre les Hollandais.

Les quatre reclus de ce presque tombeau ont pour seul lien avec l’extérieur les irruptions épisodiques de Kabe (Christian Gonon) qui surveille la maison et égrène les chroniques de la peste avec une gouaille toute populaire.

Le chaos du dehors bouleverse l’ordre social du dedans, les clivages entre riches et pauvres font place à des face à face cruels ou tendres. La mort qui rode exacerbe les désirs. Les blessures intimes de chacun se dévoilent, au propre comme au figuré.

A mesure que se nouent les relations entre les protagonistes ( à l’image des nœuds auxquels excelle le marin), l’espace scénique s’ouvre, tel un tableau, sur les zones obscures des êtres, insidieusement envahi par de funestes corbeaux. Anne – Laure Liégeois réalise une mise en scène sobre, toute en nuances, dans un décor gris et blanc d’où se détachent quelques taches de couleur. La robe safran de Morse, délurée et grave, mi-ange mi-démon ( interprétée avec une subtile vigueur par Julie Sicard). Les mains rouges de Mme Snelgrave ( Catherine Sauval) ont des brûlures anciennes qu’elle expose quand, au contact des plaies de Bunce (Félicien Juttner), s’éveille sa sexualité, refoulée depuis qu’un incendie a ravagé son corps. Tandis que Monsieur Snelgrave (Guillaume Gallienne) agonise.
L’ élégance et la retenue de la mise en scène et de la direction d’acteurs tranchent avec la crudité de la situation, la férocité et la violence des affrontements entre les personnages, la puanteur et la corruption des chairs, la décomposition du corps social. Un contrepoint à la dialectique un peu trop manichéenne de Naomi Wallace dont la pièce, s’ancre dans un contexte historique, que souligne le hiératique pictural de la gestuelle et des images inspirées des tableaux de l’d’époque.
Elle parle cependant de la société de classe d’aujourd’hui, hantée par la peur des épidémies et en proie aux troubles sociaux. La langue, dense, nerveuse, pleine d’aspérités, est d’une grande fluidité ( rendue par la traduction efficace de Dominique Hollier) malgré quelques débordements verbeux.

Mireille Davidovici

Comédie Française, théâtre éphémère jusqu’au 12 juin.

Une Puce, épargnez-là et Au Cœur de l’Amérique sont parues aux éditions Théâtrales.

Nathan

Nathan, texte, mise en scène et scénographie d’Emmanuel Schwartz.

Auteur des Chroniques, une trilogie présentée en 2009,  Emmanuel Schwartz affirme que Nathan est le « prolongement épique » de ces premières œuvres qui ont attiré l’attention  du public montréalais à l’époque. Il faut avouer que l’écriture de ce « petit frère d’armes et d’âme »  de Wajdi Mouawad, est  étonnante! Elle coule, elle est souple, elle accumule des métaphores, des références aux œuvres anciennes et modernes. Elle révèle un imaginaire débridé, tumultueux, cosmique et étourdissant. Toutefois, le texte dramaturgique que Schwartz nous propose donne souvent l’impression d’une logorrhée insupportable, un flux de mots incontrôlables qui inondent l’espace scénique et nous empêchent de cerner l’essentiel de cette œuvre mise en scène par l’auteur lui-même.

Tout commence assez bien. Une vision « schwartzienne » de la création du monde, une cosmogonie poétique d’une beauté réelle, une histoire de la terre qui semble emprunter aux mythes autochtones, qui aboutit dans une salle d’hôpital où la voix limpide de « Janvier », le narrateur et l’ami de la famille, nous oriente déjà dans la trajectoire apocalyptique que prendra la pièce. Nathan Bénédict, enveloppé de bandelettes, est un être exceptionnel, génial, victime d’une combustion spontanée. Il se retrouve sur le bloc opératoire où les médecins sont en train de réparer les restes calcinés de ce jeune homme, dont on n’a retrouvé que le cœur, le cerveau et deux poumons après ce drôle d’incendie. La survie des organes assure la survie de Nathan car les parties détruites seront reconstituées à partir d’autres corps « étrangers » pour que ce jeune homme devienne l’Incarnation d’un véritable être hybride. L’œuvre se déroule pendant l’intervention chirurgicale de Nathan alors que ce jeune homme « spécial », connecté aux systèmes de communications cybernétiques et autres, raconte la généalogie spectaculaire de sa propre famille, les Benedict, de ses origines jusqu’au moment où Nathan se retrouve à l’hôpital.

Le récit vivant de l’Histoire familiale qui est censé répondre au mystère de la combustion spontanée, est concrétisé par la présence des membres de sa famille qui attendent les résultats de l’intervention chirurgicale, tout en jouant des rôles dans cette mise en abyme familiale. Ce sont donc des retours en arrière, des sauts inattendus entre les différentes temporalités où une multitude de personnages se présentent, s’expliquent, et nous montrent les rôles qu’ils ont joués dans l’évolution de cette famille. Les passages entre la famille du père et la famille de la mère confèrent au récit une ambiance mythique, rendue évidente par la mise en scène et la scénographie de l’auteur qui place l’ensemble de la pièce dans un espace qui ressemble à un écran d’ordinateur. Les personnages apparaissent et s’effacent, les sources de lumière éclairent différentes portions de « l’écran » au fur et à mesure que les acteurs se présentent. Il faut dire que j’ai beaucoup apprécié la vision scénique de Schwartz qui s’adaptait extrêmement bien aux moments de farce, de drame, voire de mélodrame – alors que le personnage de Nathan se tord sur le bloc opératoire, prend la parole et nous transporte dans l’espace de son imaginaire débordant pour devenir la présence charismatique d’une figure christique dont la mort pourrait engendrer un nouvel ordre du monde américain.

Certains moments ont retenu l’attention : la création du monde était hallucinante! Le récit des origines autochtones de la famille et le récit problématique de l’oncle intellectuel est très bien menés. Les commentaires qui intègrent la remise en question des conventions du théâtre ainsi que les querelles de famille, hurlements, insultes, réseaux de relations rhizomatiques réalisées par des rencontres dans le monde, montrent que Nathan est autant une pièce sur le théâtre que sur la généalogie de la nouvelle famille québécoise en pleine transformation.

Malheureusement, la pièce nous propose une telle accumulation d’idées, de situations, d’impressions, d’images, de déviations, de répétitions, qu’elle finit par nous étouffer. Il faut absolument épurer cette écriture qui cache un langage théâtral quelque part. Par moments les personnages parlent trop et on se demande pourquoi ils répètent les mêmes images, les mêmes idées tant de fois. Pourquoi faut-il tout expliquer? Le théâtre permet aussi aux artistes de montrer, d’évoquer ou de garder le silence.

Cette urgence de tout dire dans le moindre détail est parfois gênante. Par ailleurs, l’auteur aurait pu mettre davantage en évidence les éléments importants mais puisqu’il accordait la même importance à tous les énoncés, les déclarations les plus significatives se sont noyées dans le flot général des mots et le mouvement de la pièce s’embourbe dans cette inondation de paroles d’où nous ne pouvons pas toujours retirer l’essentiel. Le résultat est parfois la confusion et souvent la fatigue voire la frustration. Ce problème est surtout évident pendant la deuxième partie du spectacle où l’auteur aurait pu éliminer une bonne partie du texte.

Nathan sera présenté au Festival TransAmérique le mois prochain. Il est évident que cette création mondiale à Ottawa était aussi une manière de tester la réaction des spectateurs avant l’événement montréalais. Cette spectatrice était à la fois fascinée et agacée. Il convient de mentionner qu’un tiers du public est parti pendant l’entracte. Il n’y a pas de doute qu’il reste encore du travail à faire avant le Festival.

Nathan. Une coproduction du Festival TransAmérique et du Théâtre français du Centre national des Arts, Ottawa, est programmé au Festival TransAmérique à Montréal au mois de mai.

Alvina Ruprecht

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Robert Plankett

 Robert Plankett, écriture du collectif La vie brève, mise en scène de Jeanne Candel

Peu  de choses à dire de plus  depuis les représentations au Théâtre de la Cité Universitaire en janvier 2011 ( Voir ci-dessous l’article du  Théâtre du blog janvier 2011). Toujours la même intelligence du plateau, grâce à la formidable  scénographie de Lisa Navarro. Mais… le spectacle semble, un an plus tard, semble parfois un peu usé et ses défauts( dramaturgie en roue libre, interprétation inégale) semblent s’être accentués. Comme disait -méchamment- notre prof génial et virulent,  Bernard Dort à propos du travail de  Jean-Marie Serreau:  » Les cinq premières tout va bien mais très vite ses mises en scène perdent leurs boulons en route ».
Pour Robert Plankett, c’est surtout une question de rythme pas très bien géré et cela pèse sur tout le spectacle. On a l’impression que Jeanne Candel a du mal à  choisir entre l’installation plastique de musée d’art contemporain qui aurait une parenté avec  le happening américain, l’actionnisme viennois et la performance de Michel Journiac ( la mythique messe -avec la communion  sous forme de rondelle de boudin de sang humain- dans une galerie de Saint-Germain-des-Prés avec Catherine Millet  en enfant de choeur) et un théâtre à base d’impros qui flirte parfois avec le théâtre dans le théâtre, comme ce début un peu pénible auquel on ne peut croire une seconde.
Bref, même si cette équipe  soudée sait faire les choses, on reste un peu sur sa faim, et le spectacle traîne en longueur. Il faudrait que Jeanne Candel resserre vite les choses et revoit ce travail issu d’une écriture collective qui ne constitue pas quoi qu’en dise le programme « une  approche originale qui implique les comédiens dans le travail d’écriture ». N’exagérons rien!  En tout cas,  l’énergie de départ semble s’être un peu envolée. Le Théâtre du Blog va sans doute recevoir des messages indignés des copains des acteurs qui vont crier au génie incompris mais nous persistons et signons.
Alors à voir? Oui si vous voulez découvrir de jeunes comédiens dont certains formidables,  comme celui qui joue le jeune homme silencieux très wilsonien,  mais avec les réserves indiquées plus haut…

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses jusqu’au 11 mai.

Article du 8 janvier 2011:

Robert Plankett , écriture par le Collectif La Vie Brève, mise en scène de Jeanne Candel.

robertplanketttheatrefichespectacleune.jpgRobert Planquette , c’est peut-être un nom qui vous dit quelque chose:  celui d’un compositeur d’opérettes de la fin du 19ème siècle ( Les Cloches de Corneville) auquel on a donné celui d’une rue  du 18ème arrondissement , proche de l’appartement de Jeanne Candel; le nom lui a plu, elle l’a anglicisé et  en a fait le titre de ce spectacle.
Donc ce Robert Plankett,  metteur en scène contemporain, vient de mourir brutalement d’un  AVC, comme on dit maintenant de façon pudique.  Et ses amis, sa compagne et une cousine germaine se retrouvent dans sa maison qu’il faut vider. Ils sont tous là, un peu désemparés, avec une tonne de livres et de revues à trier, un poulet congelé que certains devaient manger avec lui, et que sa compagne ne se résout ni à cuire ni à jeter et  dont l’évocation revient en boucle, comme une métaphore de Robert Plankett, lui aussi mort mais trop présent comme ce poulet dont ils ne savent que faire et qu’ ils décideront finalement de jeter.
Le début est assez étonnant: devant un rideau tendu de papier kraft, une jeune femme demande comme d’habitude de penser à éteindre les portables; en fait, ce n’est pas une ouvreuse mais un des personnages qui se lance, en guise de préambule, dans une série d’interrogations sur le fait théâtral: « Qu’est- ce qui fait qu’un spectacle commence? Est-ce que cela commence pour tout le monde en même temps? Si je vous dis que je suis née d’un père ambassadeur et d’une mère gymnaste, vous me croyez? Est-ce qu’il y a ici des gens qui n’ont jamais été au théâtre? Puis un homme découpe au cutter des fenêtres dans le papier kraft qui laisse apercevoir la tête d’une jeune femme lisant un livre d’art sur Le Titien, ou deux jeunes femmes triant des livres et les mettant en caisse. Elle est ans cette fenêtre ( voir photo)  comme encadrée; elle raconte l’histoire d’amour qu’elle a eu autrefois avec Robert en montrant-pudiquement- quelques endroit de son corps: une épaule, un cheville… Les gestes sont lents et précis, la plupart du temps en décalage avec la réalité environnante.Puis le grand rideau de papier kraft tombe d’un seul coup, pour laisser apparaître une scène vide avec quelques objets  bien réels qui ont appartenu à Robert: un vieux fauteuil en cuir, des cartons de livres , des livres alignés des rayonnages en bois, quelques chaises tubulaires, un grand tapis, bref, la vie qui continue un peu après la vie de Robert qui a cessé d’un seul coup.  Mais,  en même temps,  l’on sent une sorte de délire  s’emparer  des personnages, même quand elles boivent du thé toutes ensemble devant un garçon aux lunettes noires qui penser à Jean-Luc Godard et qui ne dira pas un mot, s’exprimant juste par quelques gestes ennuyés… . « C’ est, dit justement Jeanne Candel,  un théâtre qui circule entre concept et métaphore ». Pas mal vu comme classement,  à mi-chemin entre ce que l’on a coutume d’appeler « performance » en arts plastiques et théâtre.
Collage sans doute, d’abord d’images , de musiques,  collage de bribes de dialogues vrais  ou inventés,  de conversations décousues agrémentées  quelques disputes comme toujours au moment de l’inventaire après décès où chacun , subitement , et par pur motif sentimental ou revanchard,  revendique parfois ce dont l’autre a envie. Et cela a rarement à voir avec la valeur réelle de l’objet.
Le spectacle est bourré d’idées visuelles comme  la présence tout à fait dérangeante de cette cervelle de veau ( au fait, pourquoi dit-on : cervelle pour les animaux et cerveau pour les êtres humains. curieuse pudeur! ). Une des filles commence à décrire le fonctionnement du cerveau et à expliquer comment et pourquoi s’est produit l’AVC de Robert Plankektt convoqué justement pour montrer in vivo sa chute en ramassant des pommes , et il refait les gestes avec de vraies pommes. C’est aussi juste que poignant. Il y a aussi un formidable moment dont il faut parler: un des trois garçons emporte la masse de papier kraft  qu’il essaye de faire passer par une porte: cela fait un énorme bruit qui recouvre petit à petit la parole d’une des filles. Et puis tourne un  petit jouet/ vélo lumineux qui tourne autour des pieds des acteurs, comme le fameux petit grain imaginé par Strehler pour sa fabuleuse Cerisaie, pendant qu’ils mangent tous leur pomme en silence au moment du salut final.
On l’aura compris: le spectacle doit beaucoup à la très intelligente  scénographie de Lisa Navarro; cela ne parait rien mais  il y a des idées aussi intelligentes que  soigneusement réalisées , comme cette idée géniale de  faire découper au centimètre près ces petites fenêtres pour faire apparaître des visages et des petites scènes, ou cette dispersion des cendres de Robert sur le corps d’une des filles : quand elle se relève , on voit par terre l’empreinte en négatif d’un  corps qui pourrait être aussi celui de Robert.
Cette scénographie exemplaire- ce qui est loin d’être le cas dans le théâtre contemporain! -est en parfaite adéquation avec la mise en scène de Jeanne Candel qui est, par ailleurs, une bonne directrice d’acteurs.  Pas de cris, pas d’effets gratuits ou de minauderies, mais une gestuelle  précise et une très bonne utilisation du plateau par les comédiens ou plutôt les six comédiennes, puisque les garçons ne sont que trois!
C’est aussi une idée formidable dans un monde théâtral où les acteurs comme les directeurs ,sont toujours beaucoup plus nombreux.( Saluons au passage l’arrivée de Macha Makeieff au Théâtre de la Criée à Marseille mais cela ne fait toujours que trois directrices ….  Les comédiens se déplacent tous un peu comme dans une chorégraphie sur des musiques  de Rossini,  Bach , Schubert mais aussi de The Coasters, le fameux groupe de Los Angeles fondé en 57 … Pina Bausch  mais aussi Antoine Vitez avec son idée de pouvoir faire de faire du théâtre de tout, et Tadeusz Kantor ne sont jamais très loin: ces trois phares du théâtre contemporain  auraient sûrement aimé ce spectacle qui met en abyme la notion de spectacle, sans refaire du théâtre dans le théâtre, thème usé jusqu’à la corde et que Jeanne Candel a évité de justesse. Et c’est un spectacle qui peut parler à tous.
Mais il faudrait  que cette écriture collective ( cela revient à la mode et nous rajeunit! ), fasse l’objet d’une véritable dramaturgie: il y a beaucoup trop de longueurs,de temps morts mal gérés, trop de clichés habituels aux groupes d’anciens élèves d’école  comme ces morceaux de tirades classiques, et il faudrait que ce travail en cours fasse l’objet d’une révision par endroits drastique. Ce que ,visiblement, on ne leur a pas appris au Conservatoire national! En tout cas,  Jeanne Candel prouve qu’elle a su réunir autour d’un projet  de jeunes acteurs au métier solide, une créatrice lumière comme Sylvie Mélis et une directrice de la musique comme Jeanne Sicre: quand on sait quelles difficultés il y a à construire une véritable équipe de travail, c’est assez remarquable et  Jeanne Candel doit aller  plus loin, avec plus d’audace, si elle est   financièrement aidée. Alors à voir ? Oui, malgré les défaut signalés plus haut, ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à la naissance d’une compagnie aussi inventive et capable d’un véritable travail scénique, à mi-chemin on l’a dit, entre la performance et le théâtre-théâtre.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 29 janvier.

Electr et Prot, Roméo et Juliette du Cosmos

Electr & Prot, Roméo et Juliette du Cosmos, de Georges Bonnaud.

Electr et Prot, Roméo et Juliette du Cosmos dans analyse de livre 9782296568754r-193x300Le livre regroupe plusieurs  pièces qui ont pour objet la « vie et la transposition théâtrale d’un électron et d’un proton » : Patience dans l’azur, L’animal de l’aube et Tête à tête. Le couple Electr-Prot représente ainsi le premier atome d’hydrogène léger, évoluant sur scène sous le regard attentif du professeur Lastro et de son assistant Neut (pour Neutron, bien sûr!) … Tout ce beau monde s’évertue à raconter au spectateur les règles scientifiques qui régissent l’univers.
La première pièce est l’adaptation théâtrale d’un ouvrage d’ Hubert Reeves qui porte le même titre Patience dans l’azur et  qui fut créée en 1983. Les autres tirent leur inspiration d’ouvrages scientifiques traitant de l’origine de l’espèce humaine (L’animal de l’aube),  ou du cerveau humain (Tête à tête).
Pour mener à bien son entreprise de vulgarisation scientifique, Georges Bonnaud utilise les outils du cirque : Electr et Prot sont acrobates, jongleurs, avec un jeu fondé sur les techniques du clown. Ces déambulations burlesques sont volontairement en décalage avec le sérieux du discours scientifique, que l’auteur tente d’estomper à grand renfort de jeux de mots.
C’est un peu facile et finit par alourdir la farce; et la simplification du discours par l’élision des pronoms sonne faux. Les dispersions acrobatiques, la bêtise des clowns et leur bouffonnerie agacent et font perdre à la pièce tout fil directeur et toute structure logique. Si bien que le lecteur est vite épuisé. Victimes de répétitions et de déconstructions incessantes, les mots, loin de clarifier le discours, en viennent à perdre leur sens.

La formule a pu-et encore!- fonctionner dans les années 1980, mais plus aujourd’hui.
Le livre rassemble aussi d’autres pièces qui ont le même but de vulgarisation scientifique mais avec d’autres personnages et dans un style qui se veut plus inspiré de la tragédie et du théâtre historique : Dionysos 238, La Mesure en tout droit et Orion lumières.
Mais la méthode reste la même… et n’entraîne pas plus le lecteur!

Elise Blanc

Editions de L’Harmattan 30 euros

THE BEST OF LÉO BASSI

 

The best of Léo Bassi 

THE BEST OF LÉO BASSI  leobassiLéo Bassi, aujourd’hui installé en Espagne, mais né aux Etats-Unis d’un père italo-français et d’une mère anglo-italienne , a aussi du sang autrichien et polonais). Il est  issu d’une grande famille de cirque  milanaise, et a écumé depuis plus de trente ans toutes les places publiques du monde,  en déclenchant une hilarité bienfaisante… Mais,  pour le festival des arts de la rue organisé par l’Espace Jemmapes, on le voit pour la première fois sur un  grand plateau comme celui de l’Alhambra.
Il a  des lunettes noires, et tâtonne comme un  aveugle, en  traînant un petit landau jusqu’à une grande structure gonflable jaune et rouge, simulant un château.Il s’assied, enlève ses lunettes et commence : “J’ai toujours eu certaines difficultés pour me définir. Au mot clown, j’ai toujours préféré le mot bouffon. Vous avez gâché 15 € pour voir un spectacle de merde”. Léo Bassi se situe comme un intellectuel de gauche, visionnaire aveugle, dans la lignée de Rabelais. “Ça fait vingt ans que j’habite en Espagne, nous sommes 45 millions qui risquons de tomber dans un trou économique !”
Il raconte ses frasques d’enfant dans les années 50, où la seule distraction était d’aller nourrir les pigeons sur la place du Dôme, il les haïssait encore plus que les enfants et avait enflammé un gros pétard qui leur avait fait déserter la place pendant plusieurs jours, au grand dam des visiteurs.
Impossible de rendre compte  de tout ce monologue hilarant, un peu trop long, qui se termine par un soi-disant numéro d’hypnotisme sur des spectateurs complices, avec de la mousse à raser, numéro qui en a abusé plus d’un, et le gonflage d’un grand  canard jaune. Joanna Bassi sa soeur, elle aussi artiste et Maman Bassi étaient à la sortie, qui regrettaient le Papa “le vrai Léo Bassi” disparu !

Edith Rappoport

 

Le Temps des rues à l’Alhambra du 29 avril au 1 er mai. Puis en tournée.


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