Culture(s) forces et défis du 21ème siècle
Culture(s) forces et défis du 21ème siècle sous la direction de François Adibi et Christophe Galent
Réinventer un monde habitable: Les acteurs du secteur culturel dont plusieurs collectifs, tous statuts réunis, ont planché sur la refondation des politiques culturelles, en ces temps de rupture, alors que notre système de valeurs et nos expériences, lentement sédimentées, s’effritent.
La première partie, « Des forces de la création… », interroge les filières des industries culturelles (cinéma, musique, audiovisuel, livre et édition) et des biens culturels (spectacle vivant, arts plastiques, arts numériques et patrimoine). Le champ des industries culturelles, entre économie et art, est porteur d’emplois, un certain nombre d’études l’ont démontré. Il demande ajustements et nouvelles régulations pour s’adapter à l’ère du numérique (dont la révision de la Loi Hadopi). Du côté du cinéma, les modes de financements du film français et son soutien aux cinématographies du monde, l’engagement des réalisateurs et producteurs, le cinéma d’auteur, en font sa force et sa fragilité. Le CNC a valeur d’exemple pour la création d’un Centre National de la Musique, contrant la crise de la filière musicale.
Le collectif qui s’exprime pour l’audiovisuel reconnaît le flou des missions et la crise d’identité, dénonce la nomination des PDG par le pouvoir politique et le peu de place laissé au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, parle de redéfinition des missions.
Quant au domaine du livre et de l’édition, les auteurs relèvent le manque de vision stratégique et énoncent cinq grands défis : la pédagogie, l’indépendance (avec une focale sur l’avenir des librairies), l’innovation (et la promotion des partenariats public-privé), les droits d’auteurs, la préservation des œuvres par leur numérisation.
Comme pour les industries culturelles, le recensement des biens culturels entraîne questions et propositions. Le spectacle vivant a longtemps vécu sur l’actif des années Lang, mais sa vitalité s’est tassée, (remise en cause du statut de l’intermittence, baisse des revenus, précarisation de l’emploi). Les mots clés: mutualisation des savoirs, des expériences et des moyens, formation et qualification des acteurs, développement à l’international, financements croisés Etat-collectivités territoriales. La nécessité d’une loi de programmation pluri-annuelle devient indispensable, note le collectif, pour donner aux lieux et aux compagnies, un horizon.
Et, au-delà de la question des méthodes et de l’infrastructure, celle du sens est récurrente : redonner du sens aux actions, c’est-à-dire re-fonder le dialogue entre les artistes et la société, aller vers, travailler hors-les murs, élargir les publics, notamment dans le contexte rural et péri-urbain, dans l’espace scolaire (10% de la population fréquente les salles de spectacle), et se poser de manière permanente, la question, vitale, de la place de l’artiste dans la société.
La consultation lancée au printemps 2011 dans le domaine des arts plastiques, parent pauvre du ministère de la Culture note le collectif interrogé, avait donné espoir aux intervenants de la filière (artistes, directeurs d’institutions, commissaires d’expositions, critiques d’art, galeristes). Elle fut suivie de peu d’effets en termes de propositions, alors même que la demande des publics augmente. Le collectif demande le renforcement de l’action en région par, notamment, la création d’ateliers logements, la promotion des artistes, l’appui sur les acteurs privés, le soutien aux galeries, le développement de l’import-export, tout en remarquant l’absence d’une structure souple à la manière du British Council, pour les échanges internationaux.
Le constat d’une nécessaire évolution des pratiques culturelles due au développement des nouvelles technologies, la notion de création dans tous les domaines, majeurs et mineurs, dont les jeux vidéo, l’art des flux, l’art en réseau (internet et mobiles) qui font aussi partie de la vie quotidienne depuis une quinzaine d’années, l’effacement des frontières entre réel et virtuel, les droits d’auteurs sont autant de thèmes énoncés dans ce tour d’horizon.
L’ouvrage pose aussi la question de la pertinence, dans le domaine du patrimoine (matériel et immatériel) et celui de la validité scientifique de la restauration. Secteur porteur d’identité et de mémoire, il est difficile à médiatiser et pèse en termes financiers. Ses auteurs proposent de revisiter la répartition des compétences entre Etat, collectivités locales, particuliers, de revoir les niveaux de protection, dans un contexte de développement durable et d’écologie et compte-tenu des enjeux du tourisme.
Une seconde partie… »Aux défis du XXIème siècle… » pose la question du sens, du goût du vivre ensemble et se fait l’écho d’une fraternité retrouvée : « Un art de la relation émerge, le onzième art , avec une référence à l’éducation populaire, à la société plurielle, au respect des cultures urbaines, à ceux que l’on n’entend pas :gens ordinaires, publics défavorisés, en souffrance. Les auteurs tablent sur le degré d’inventivité des artistes, le travail à l’échelle du quartier, la recherche de nouveaux liens, pour réinventer un espace public et « compenser par le tissage ce que l’économie déchire ».Ils proposent de mettre l’accent sur ce qu’ils appellent une troisième voie qui renvoie aux collectifs d’artistes, aux coopératives.
Une soixantaine d’acteurs culturels ont signé ces « Scénarios de refondations pour une République culturelle et la reconnaissance d’un tiers secteur culturel ». Prise en charge de micro-projets culturels d’initiative citoyenne, reconnaissance d’un espace public où s’ancre le spectacle vivant, prise en compte de l’expérience de terrain par les politiques et dans les instances représentatives, définition d’un minimum social pour les acteurs de la vie culturelle dont le postulat est « de ne pas perdre sa vie à la gagner mais plutôt produire du symbolique pour ne pas mourir », attention des pouvoirs publics au terreau que fabrique la société et ré-orientation des institutions face à la crise, telles sont les propositions les plus fortes…
Les relations Nord-Sud- et Sud-Nord enfin sont envisagées sous l’angle de la conversation des cultures. La diversité deviendrait la question centrale d’un nouvel imaginaire politique dont la clé repose sur la vérité et la réconciliation suite aux colonisations, sur l’équilibre des dispositifs et des actions,. Franz Fanon, Edouard Glissant, font figure de référence dans cette invitation à réfléchir sur une société, la nôtre, dans laquelle la laïcité est ré-affirmée.
Le dernier chapitre, « Une aventure commune », reconnaissant l’héritage de Malraux en son temps, énonce, à partir des éléments collectés par les différents groupes de réflexion, treize mesures dont une loi de programmation pour une action inscrite dans la durée, véritable chemin de fer pour une intervention publique revisitée, un manifeste.
Culture(s) forces et défis du 21ème siècle est un plaidoyer pour la culture, une interpellation pour construire une autre gouvernance et restaurer le lien social, un profil de poste pour le/la prochain/e ministre de la Culture, et des outils pour restaurer notre société fragmentée au sens où Michel Wievorka l’entend, le liant à la crise de l’Etat-Nation. Nous ne sommes pas dans le discours scientifique mais sur le terrain, recentrant le débat sur le sens, le prix des choses sans prix selon Jean Duvignaud, sociologue et poète. Pas d’unité de ton comme l’annonçait la préface, un assemblage où tout est vital, une fierté retrouvée. « Mon Art serait de vivre », disait Marcel Duchamp.
Brigitte Rémer
Editions Altaïr Think Tank cultures médias, coordination éditoriale Le Publieur