Je suis allé si loin dans le sang

Je suis allé si loin dans le sang, Macbeth, Richard, scènes de Shakespeare, classe de Sandy Ouvrier, aux journées du Conservatoire national supérieur d’art dramatique.

Un Shakespeare et un Macbeth peuvent en cacher un autre, et le vendredi soir peut  avoir des airs de jeudi soir jusque dans le titre/citation du texte; ainsi Shakespeare est aussi  revisité au Conservatoire avec  seize élèves dirigés par Sandy Ouvrier, comme il l’était la veille au Théâtre de l’Epée de bois avec ceux de l’Ecole du Théâtre national de Bretagne.
On vous avait déjà dit tout le bien que l’on pensait en 2009 et 2010 de son travail pédagogique, notamment sur Tchekov. Mais, cette fois, le résultat est inégal, et assez décevant.

 D’abord Macbeth: cela commence plutôt mal avec la fameuse scène du portier qui est une occasion de faire entrer tous les élèves par la porte et de les faire ressortir par la salle ( oufa!ouaf! ouaf!)où Sandy Ouvrier fait souvent jouer les élèves jusque dans les loges d’avant-scène!. C’est le genre de fausses bonnes idées, usées jusqu’à la corde et qui, malheureusement, vont plomber la soirée.
Comme dans cette scène, où Pauline Bolcatto, Hélène Rencurel et Anaïs Thomas se retrouvent ainsi en slip et soutien-gorge noirs en fond de scène. Il y a aussi une lady Macbeth en travesti pendant quelques minutes…Désolé,  mais tout cela fait gadget et n’apporte pas grand chose.  Et comme il faut quand même donner son petit morceau d’entrecôte à chacun, les Macbeth et les Lady Macbeth puis les Richard se succèdent vite, avec quelques effets lumineux pour épicer les choses.
Mais aucun de ces élèves  n’a évidemment l’âge du rôle, et n’a de toute façon pas le temps d’entrer dans le personnage, de façon à le rendre crédible: à l’impossible nul n’est tenu… Et c’est une performance que l’on n’exigerait pas d’un acteur confirmé…

 On arrive quand même à repérer Yasmine Nadifi dans la  scène où Lady Macbeth à l’acte 5 est effrayée par l’odeur du sang avec la fameuse  phrase « Tous les parfums d’Arabie ne pourront purifier cette petite main »… Là, tout d’un coup, pendant quelques minutes, il se passe enfin quelque chose. Après l’entracte,  les choses s’améliorent  un peu,  et la scène  à la Tour de Londres est assez juste; l’on y retrouve dans le personnage de Richard III, l’excellent Sylvain Levitte, qu’avait déjà employé  Lavelli,  …. Mais les juens comédiens qui jouent Richard   ont  tendance à surjouer et à crier, comme pour imposer leur personnage, ce qui n’est pas bien du tout. Qu’ils n’aient pas encore appris cela au Conservatoire est incompréhensible.
Cela dit, il y a une excellente scène,  d’ailleurs aussitôt applaudie,  où Pierre Giafferi, lui aussi excellent et tout à fait crédible, a le temps nécessaire d’avoir un véritable dialogue avec Lady Anne que joue,  avec beaucoup de force et de vérité, Hélène Rencurel (bon sang de mère, bonne actrice et de génial  grand-père, acteur, metteur en scène, et directeur exemplaire de théâtre ne saurait mentir; c’est d’ailleurs très émouvant cette même silhouette., quelque cinquante ans après..).
Mais, après encore quelques scènes, jouées par d’autres élèves, qui se succèdent sans grand relief, et de façon assez approximative, nous avons déclaré forfait. L’ensemble durait plus de trois heures!

 En fait, cette présentation de travail hésite entre la démonstration et une  mise en scène qui n’ose pas dire son nom et qui  reste souvent assez conventionnelle, (surlignage de musique d’opéra, effets de music-hall jusque dans les poursuites/lumière et les costumes  vulgaires, style BD assez facile! Sandy Ouvrier aurait pu nous épargner cela là,et  très franchement, le compte n’est  pas tout à fait!
Certes, il y a parfois de belles images, comme cette grande table autour de laquelle sont assis, dans un clair-obscur, les seize élèves, presque  une copie conforme de celle de L’Ecole du Théâtre national de Bretagne. Ou ces assassinats en direct et en gros plan, avec du sang dégoulinant du couteau qui tranche la gorge. Mais, comme hier, il est  difficile,  de repérer des acteurs, ce qui est quand même, si on a bien compris, un peu le but de l’opération.
Ce n’est pas l’enseignement de Sandy Ouvrier qui est en cause,  mais Daniel Mesguisch devrait étudier sérieusement un mode plus efficace de présentation de travaux; il faudrait en tout cas que chaque élève puisse avoir un vrai et beau moment  où il puisse montrer ce qu’il sait faire. Mais ce saupoudrage de scènes n’est absolument pas efficace et souvent  même ennuyeux…

Philippe du Vignal

Théâtre du Conservatoire jusqu’au samedi 30 juin à 20 heures. Entrée libre


Archive pour juin, 2012

Nous somme si jeunes encore dans le crime

Nous somme si jeunes encore dans le crime, mise en scène de Thomas Jolly. ( École du Théâtre national de Bretagne)

  Nous somme si jeunes encore dans le crime d48a9c7613a4ec041ef9ec342054f0e1Sur scène, pas grand chose qu’un long praticable et une sorte de mur composé de plusieurs châssis  où est inscrit,  le titre  de l’extrait de pièce adapté et une bonne épaisseur de fumigène, (cela devient une manie un peu pénible en ce moment chez les jeunes metteurs en scène)….
Le spectacle est fondé sur  des  textes  corrigés/adaptés qui se succèdent avec, comme dénominateur commun, la parodie, et bien entendu, son vieux copain: l’anachronisme qui fait toujours recette… Il y a ainsi  Macbeth, porté comme un étendard puisque le titre du spectacle est une phrase du texte,  Titus Andronicus, puis un  long extrait des  Quatre Jumelles de Copi où quatre jeunes filles en porte-jarretelles noirs et tutus blancs  s’amusent  comme des folles, puis c’est  de nouveau Titus Andronicus, Macbeth et  encore Titus Andronicus, après une parodie-encore-de théâtre dans le théâtre, trop longue et peu  convaincante…

  La mise en scène intelligente est du genre  inventif , bourrée d’idées et très précise; ce qui donne souvent  de belles images,  comme ces têtes coupées qui surgissent dans un halo de lumière depuis les  profondeurs du praticable, ou ces moignons de bras dégoulinants de sang figuré par un simple  amas de  ruban rouge. Ou encore ces pancartes explicatives vraiment drôles qui remplacent la parole, puisque Titus a coupé la langue de sa chère fille Lavinia.
 Thomas Jolly a sans doute pris beaucoup de plaisir à se lancer dans la parodie de ces  crimes shakespeariens avec la connivence de ces quinze jeunes  acteurs qu’il dirige plutôt bien, même s’il les  fait souvent crier sans aucune raison, ce qui ne sert à rien et, qui  à la longue, pénalise sa mise en scène: ambiance music-hall,, avec projecteurs et lumière ad hoc, costumes  délirants comme ces  maillots rayés pour les enfants ou ces  grands manteaux rouges de tragédie, belles lumières rasantes aux couleurs chaudes  qui percent les brumes, musique d’opéra et du  célébrissime  A Whiter Shade of Pale (1957) aux accents baroques du groupe rock anglais Procul Harum, inspiré  de Bach avec Matthew Fisher à l’orgue Hammond,  qui donne une  dimension onirique aux superbes images concoctées par le metteur en scène… C’est parfois facile, pas vraiment original, mais, en tout cas, singulièrement efficace, même si c’est trop long…
  Et, une fois  n’est pas coutume, on voit bien et, en détail, le travail et la personnalité de  chacun de ces jeunes comédiens  qui ont tous une belle gestuelle; mais côté diction, c’est beaucoup plus inégal…  Quant à la dramaturgie, mieux vaut oublier, c’est  du genre bâclé et c’est le point faible de ce  spectacle qui  tient un peu du fourre-tout:  le lien entre les scènes est des plus lâches,  si bien que  le rythme général  en prend un coup… Si bien aussi qu’au bout d’une heure, cela  commence à patiner, surtout après les scènes délirantes et très réussies des Quatre Jumelles, et il y a  deux fausses fins que l’on aurait pu facilement éviter. Dommage!
Thomas Jolly aurait dû prendre conscience qu’avec la parodie, il faut ,pour être efficace,   faire vite et ne pas s’étendre sans raison! Et  l’ensemble,(deux bonnes et longues  heures quand même!) fait inévitablement penser  à un travail en cours, et non au véritable spectacle qu’il  mériterait vraiment  de voir le jour, s’il a la possibilité d’être retravaillé…Allez, camarade Jolly, encore un effort, cela vaudrait le coup!

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Epée de bois.

www.theatredelaquarium.net/

Le Chasseur et le gibier

Le Chasseur et le gibier, Notes sur le théâtre de David Mamet, traduction de l’anglais de Marie Pecorari.

 

Le Chasseur et le gibier dans analyse de livre 41hVtBlZQqL._SL500_AA300_

Dans ce petit livre iconoclaste, Mamet nous met  en garde : « Un certain nombre d’observations et de suggestions présentées dans cet ouvrage pourraient passer pour hérétiques ».
Vingt-six chapitres, séquences, ou articles, appelés
essais, indépendants les uns des autres évoquent d’emblée, le théâtre (Le foyer des artistes, Mettre en scène au théâtre, La culture théâtrale, Le metteur en scène comme illusion), ou sont plus opaques  (La Vrille fatale, Instincts de Chasse, La Cabine de bains). Décodage à la libre appréciation du lecteur…


Russe, Mamet  est venu  étudier et travailler aux Etats-Unis, mais  se réfère à  Stanislavski et sa méthode, ainsi qu’à Meyerhold, et  Tchekov dont il s’est nourri. Il cite aussi son professeur américain Sandford Meisner du Group Theatre, évoque Broadway  dont le public va au théâtre comme on va au parc d’attraction. Pour lui, « L’acteur stanislavskien, l’acteur meisnerien ou l’acteur de la Méthode n’existent pas. Il y a des acteurs (plus ou moins doués) et des non-acteurs ». Il survole en cent dix huit pages l’écriture, la formation, l’acteur, la mise en scène et les publics, sa pensée est dispersée, voire pointilliste. S’il insiste sur la notion de plaisir que recherche le spectateur, il milite pour l’appel à l’imagination, démonte les mécanismes de la construction dramatique, de l’apprentissage, du jeu, du spectacle, sans grande révélation ni véritable argumentation.
Ainsi le parallèle assez nébuleux qu’il fait avec la chasse : « C’est là le paradoxe évident de l’écriture dramatique. Il ne s’agit pas de communiquer des idées, mais plutôt d’inculquer au public les instincts de chasse. Ces instincts précèdent et, dans les moments de stress, se substituent au processus verbal ; ils sont spontanés et plus puissants que l’assimilation d’une idée ». Pour lui, la fable est essentielle et le dramaturge « doit faire en sorte que le public se demande ce qui va arriver ensuite ».

Plus intéressante, sa réflexion sur les liens entre théâtre et tendances totalitaires: il rappelle que Stanislavski vécut sous la dictature du Tsar  puis des Bolcheviks et que « sa capacité à mettre en scène des œuvres douées d’un véritable contenu – c’est-à-dire des œuvres traitant des fondations de la vie humaine : la perte, le désir, la peur, l’avidité, et de leurs conséquences – était limitée par les interventions à la fois réelles et potentielles de la censure ».
Le théâtre doit-il être politique? « Absolument pas, dit-il,  le travail du théâtre, c’est d’enquêter sur la condition humaine. Celle-ci est tragique : nous sommes condamnés par notre nature même ; et comique, nous sommes condamnés par notre nature même, mais la grâce existe ». Sa recension des grandes pièces américaines « qui ont aussi en commun un attachement à la forme dramatique » est bien courte,  ce qui lui permet un mouvement de balancier entre poésies dramatiques et chefs-d’œuvre poétiques.


Pour Mamet, le thème de la formation tourne en boucle : « Au-delà des conseils prodigués à l’acteur (corriger sa diction et sa posture, se tenir tranquille, dire son texte, éviter de gesticuler, et avoir une idée générale de la nature de la scène), un professeur ne peut rien faire et un metteur en scène pas beaucoup plus. Le professeur de l’acteur, après, c’est le public, qui dispensera des leçons rapides, brutales et sans appel ».
Et il insiste : «la majorité des apprentis-acteurs n’apprendra jamais à jouer ». L’acteur sera inné ou ne sera pas. Il reçoit un don « qu’il faut respecter et que, dans une large mesure, il ne contrôle pas ». Son vrai talent et vrai travail « c’est d’habiter – quel que soit le sens qu’ait l’expression pour lui – le rôle. Rester tranquille et dire le texte afin de parvenir à s’approcher de l’objectif indiqué par l’auteur. C’est tout ». L’art de la scène ne s’apprend donc « que sur scène, face à (devant) un public payant ». Le pédagogue conseille aux acteurs « d’enchaîner », de « ne jamais s’excuser lors des saluts », de « ne pas rire, ne pas pleurer », et de…« toujours avoir son portefeuille sur soi ».

Puis c’est au tour du metteur en scène d’être haché menu : « Les acteurs laissés à eux-mêmes sont généralement des metteurs en scène supérieurs à ceux dont c’est le métier, à quelques exceptions près. Pourquoi ? Parce que les acteurs n’oublient jamais ce dont la plupart des metteurs en scène ne prennent jamais conscience : que le but de la mise en scène est d’attirer l’attention du public sur celui qui parle ». La tâche du bon metteur en scène, dit-il, « revient alors à diriger l’attention du public à l’aide de la disposition des acteurs, de la vitesse et du rythme de la présentation ».

Le metteur en scène ressemble davantage à un entraîneur qu’à un chorégraphe, « un malaise autodestructeur s’emparera de l’acteur s’il se lance dans un discours théorique ou alambiqué », et il parle de l’inutilité générale des répétitions. « Telle qu’elle est généralement pratiquée en Occident, la répétition est une forme accoutumante de thérapie de groupe », qui renvoie à la confession collective, aspect essentiel du Parti Communiste américain ». C.q.f.d. : « Je crois que la mise en scène ressemble beaucoup à l’écriture : il s’agit de raconter une histoire. Quand on écrit, on se sert des mots. Quand on met en scène, on se sert des acteurs qui se servent des mots ».


Le public lui : « ne demande qu’à être diverti ». Et Mamet évoque deux conditions qu’il doit remplir pour qu’il y ait échange théâtral réel : (1) venir pour son plaisir (2) payer sa place. Si le public est corrompu (c’est-à-dire influencé par autre chose que sa recherche de plaisir), il n’est pas en mesure de participer à l’échange ». 

Un public d’abonnés est donc  « un public épouvantable. Il est presque toujours sinistre. Pourquoi ? On l’a traîné hors de chez lui, ce qui exclut toute aventure et toute histoire d’amour ».
Quant aux subventions, « logiquement monopolisées par les structures artistiques qui ont une tradition de succès artistique (critère subjectif) et de longévité (critère objectif) », elles « ne sont donc pas attribuées (et ne
peuvent pas l’être) dans les moments de véritable besoin, la période des débuts de la vie productive d’un individu ou d’une structure », elles sont distribuées « par des comités et les membres du comité sont choisis par des comités. Il faut donc trouver un consensus, c’est-à-dire un compromis lié à des choix ».
Mamet parle aussi des équipes d’organisation : « L’argent, aux yeux de l’administrateur et de ses partisans, a été obtenu non pas grâce à l’excellence des spectacles mais grâce aux efforts de l’équipe d’administrateurs. Les fonds attendus serviront donc évidemment à agrandir l’équipe d’administrateurs… En ce moment, dans le monde du spectacle, on assiste à la naissance et au développement de différentes actions : auprès du jeune public, en faveur de la diversité, accompagnement, école de théâtre, etc. Quel rôle est laissé au directeur artistique » ?


Bref, Mamet livre
ses vérités : « L’objectif du théâtre n’est pas d’instruire, de rendre meilleur, de disserter. C’est de divertir ». Fort en arabesques, il tire  très vite la porte sur lui avec une volonté d’originalité radicale qui se transforme, pour le lecteur, en déconvenue et ennui. Et quand il dit que « les prévenances et les manipulations de ces seconds couteaux, les théoriciens – parmi lesquels je m’inclus – qui sont les conducteurs du train mais croient en être les ingénieurs, ne servent à rien », on referme la page et on passe à autre chose.

Brigitte Rémer.

 

Editions de l’Arche, avec le soutien du CNL, mai 2012.

Les Sacrifiées

Les Sacrifiées de Laurent Gaudé, mise en scène de  Stéphanie Loïk.

Les Sacrifiées  BD-Les_Sacrifiees_0085Laurent Gaudé,  quarante ans prochainement, est bien connu à la fois comme romancier (jeune Prix Goncourt des lycéens  avec La Mort du roi Tsongor en 2002 puis Goncourt tout court avec Le Soleil des Corta en 2004) mais aussi comme dramaturge.Il est l’auteur de plus de dix  pièces, notamment Onysos le furieux a été jouée en Allemagne puis au Théâtre National de Strasbourg et Pluie de cendres a été créée au Studio de la Comédie-Française. Laurent Gaudé a aussi écrit pour la scène Cendres sur les mains.
  Les Sacrifiées,  qui avait été montée par  Jean-Louis Martinelli en 2004, fait ici l’objet d’un travail, dirigé par  Stéphanie Loïk, avec l’atelier de seconde année (neuf garçons et six filles) de l’Académie de Limoges. C’est une plongée dans l’histoire de France et de l’Algérie, puisque la pièce commence par le débarquement du contingent chargé de mettre au pas au besoin par les armes  une population qui revendiquait l’indépendance, ce que finit par lui accorder de Gaulle. Mais cela ne fut pas sans dégâts d’un côté comme de l’autre. La France et l’Algérie allaient  sortir  meurtris de cette épreuve . Mais la guerre que les gouvernements successifs de l’époque s’acharnaient à appeler pacification, et le fanatisme vont bousculer les valeurs établies.
  Les Sacrifiées, c’est l’histoire emblématique de trois femmes. Raïssa se bat contre l’armée française et en représailles,   ce sont des soldats français qui vont la violer.  Et ce sera ensuite au tour de deux autres jeunes femmes Leïla et de Saïda d’ être les victimes indirectes de cette guerre , deux fois maudite qui  détruisait tout sur son passage et qui,longtemps après l’indépendance, pesait encore sur leur destin..Ce que dit très bien  Gaudé avec  beaucoup de lucidité et de générosité à la fois.
  Leila, la fille de Raïssa, habite  dans l’immense bidonville de Nanterre  que nous avons bien connu mais elle comprendra très vite que ni les Algériens ni les Pieds-Noirs ne retrouveront  jamais la chère Algérie qu’ils avaient connue. Les bateaux comme elle dit ,vont toujours d’Alger vers Marseille mais jamais dans l’autre sens! Il y a aussi la jeune  Saïda qui, elle, vit en Algérie dans les années 90, avec, en toile de fond, la pauvreté et le chômage, alors qu’en France l’ex-pays colonisateur, c’est la prospérité qu’il faudrait s’abaisser à aller chercher,  du côté des banlieues parisiennes ou marseillaises; elle  revendique sa liberté de femme moderne et indépendante du machisme des hommes qui voudraient lui dicter sa conduite et son habillement.
  Stépanie Loïk a choisi de le monter sous une forme chorale où la diction,les modulations des voix,le chant et une gestuelle parfois assez proche de la danse, sont prépondérantes. C’est un travail de mise en scène d’une remarquable précision et d’une rigueur absolue. Et l’on  sent un véritable engagement chez ces quinze jeunes acteurs, qui se mettent au service du groupe. Pas de véritable personnage, peu de dialogues en effet dans ce long poème dramatique mais des voix et des corps qui portent le texte de Gaudé avec humilité.
  La mise en scène de Stéphanie Loïk est à la fois sobre et efficace, même si elle est parfois un peu sèche, et elle aurait pu nous épargner aussi quelques-uns de ces déplacements de groupe un peu trop systématiques,  d’inutiles fumigènes  qui font tousser le public, et des lumières chaudes rasantes assez faciles… Mais bon!
  Et les jeunes comédiens? Rien à dire, ils savent faire et opérer de beaux déplacements sur un plateau, seuls ou à plusieurs, et il n’ y a ici aucune querelle d’ego comme c’est souvent le cas avec ces exercices de sortie d’école. Il y a  le plus souvent une belle complicité entre les élèves de cet atelier. Mais il est bien difficile de discerner de vraies personnalités  quand un texte n’est pas  fait pour cela,et le dernier quart d’heure un peu longuet de ces quatre vingt dix minutes montre que l’exercice a ses limites. Mais comment trouver une solution!  C’est toujours un véritable casse-tête de trouver un texte qui puisse offrir un véritable rôle à quinze apprentis-comédiens dans un temps qui ne peut excéder celui d’une représentation normale sans entracte si l’on veut que le public ne déserte pas. Le système des scènes variées mais réunies sous un thème unique, encore employé au Conservatoire, reste assez artificiel et, en général, n’en finit pas de finir, quelque trois heures  plus loin…
  Guy Freixes avait lui assez bien réussi son coup avec la dernière promotion de douze élèves de l’Ecole du Théâtre national de Chaillot en les faisant travailler sur trois Nôs de Mishima. Mais le choix d’un texte reste toujours des plus difficiles surtout quand il y a, comme ici,quinze jeunes comédiens. Enfin, Stéphanie Loïk avec cette mise en scène des Sacrifiées réussit à prouver que la formation dispensée à Limoges est d’une grande qualité. Ce qui n’est déjà pas si mal…

Philippe du Vignal

Spectacle  joué au Théâtre du Chaudron du 21 au 24 juin.

Le texte des Sacrifiées comme celui des autres pièces de Laurent Gaudé est édité aux Editions Acte-Sud/Papier.

Melos-tempo

Melos-tempo dirigé par Marc Togonal et Le Théâtre de l’Unité.

Aubades, sérénades, infiltrations poétiques, occupations illicites en tout genre, pas de micros, pas de sonos… avec la participation du conservatoire de musique du Pays de Montbéliard et le soutien de la Ville d’Audincourt.
“De l’aube au crépuscule, de la musique douce, douce, douce”… c’est une vraie profession de foi réalisée par  deux équipes qui ont mis toute leur énergie créatrice dans un dialogue avec les « petites gens », riches en humanité et  qui n’adorent pas le veau d’or. A 7 heures du matin, ce 21 juin, on pouvait voir les huit musiciens de Melos Tempo,  à l’arrêt des bus,  perchés sur des promontoires interpréter du Tchaïkovski, pendant que la brigade rouge d’intervention poétique du Théâtre de l’Unité s’allongeait par terre devant le flot des gens qui partaient au travail déconcertés par cette tentative de ralentissement du monde ! Pendant que les  musiciens jouaient de grands morceaux classiques, la brigade entrait dans les bus pour en sortir aussi vite, hélait les voitures pour les faire ralentir, se couchait sur des capots, quelques fumeurs goguenards écoutaient surpris, d’autres ne tournaient pas la tête sauf quand La fanfare des Grooms montait dans les cars. Ils  écoutaient alors, surpris La Petite Musique de nuit de Mozart..
La brigade partait ensuite pour une aubade à la poste centrale d’Audincourt, puis entonnait un chœur de chants orientaux et suivait le facteur Laurent Schwarz pour sa tournée en vélo dans la rue principale, pour dire des poèmes de Prévert dans des salons de coiffure, ou chanter dans une banque. On pouvait  suivre au Super U, à Intermarché et chez Grand Frais, cette brigade rouge qui conduisait une file de caddies  ou faisait la queue aux caisses en entonnant une chanson devant des clients et des caissières réjouies. À Super U, le responsable de magasin  sans doute inquiet d’une chute possible des ventes, faisait grise mine.
On partait ensuite pour le beau quartier rénové des Montanots. Beaucoup d’enfants couraient sur la belle pelouse centrale, et  Marc Togonal jouait  du violon devant les fenêtres ouvertes des maisons et pour les promeneurs assis sur les bancs. Il y  avait ensuite un bon repas  et une  maman avait apporté d’excellentes crêpes pendant  chantait un chœur d’enfants de la maternelle voisine.
Puis on partait pour l’ usine Faurecia, où 800 employés fabriquent des pare-chocs pour le monde entier; usine très surveillée:  il fallait suivre une certaine Émilie sur un parcours précis, et en ne dépassant pas  les lignes blanches !
Puis,  ce fut l’Ouverture de La Traviata de Verdi et La Valse de Chostakovitch (bien connue grâce à une pub) jouées sur une pelouse pendant la pause des chercheurs de l’usine , puis  des chansons des Beatles et d’Offenbach devant  l’atelier 60, quand  les ouvriers  faisaient eux aussi leur pause. Sur une chaîne de montage, résonnaient  les mêmes musiques; belle émotion: cela rappelait le climat des  usines occupées en 1968… Une ouvrière avouait n’avoir jamais vu ça en quarante  ans de maison !
On repartait pour la rue centrale où Marc Togonal jouait du violon en visitant des jardins . On pouvait aussi assister à un concert de clarinettes à Litrimarché, puis suivre deux violonistes  sur le bateau d’un sauveteur en mer, le long du Doubs. Le ciel devenait menaçant, il fallait repartir vers l’Hôtel de Ville où  un podium était dressé, avec un piano abrité par un auvent. L’orage éclata en effet,  et le public se réfugia dans l’entrée, pour entendre un concert de violes de gambe par l’ensemble de Belfort-Montbéliard .D’autres orchestres ont aussi joué du Borodine, etc…
Pour clore la soirée, avec le beau temps revenu, on a pu apprécier l’orchestre junior d’Audincourt accompagné d’un choeur d’adultes, puis un émouvant ensemble à cordes des enfants des Buis, (un an seulement de formation collective!), garçons et filles de moins de dix ans en grande tenue, concentrés sur leur instruments, dirigés par leur jeune chef Vincent Nommay dansant avec sa baguette. L’Alleluia de Haendel retentissait entonné par un chœur d’adultes,et les familles enthousiastes de ces enfants d’émigrés étaient enthousiastes. Melos Tempo a entamé un travail exceptionnel d’irrigation musicale dans la région,  avec un festival encore modestement soutenu à Saint-Hippolyte. Ce  travail de formation très prometteur a trouvé une belle alliance avec le Théâtre de l’Unité présent depuis 1991 dans la région. La fête de la musique avait  retrouvé ici son sens originel !

Claude Alexandre

www.net1901.org/association/ASSOCIATION-POUR-LE-DEVELOPPEMENT-ARTISTIQUE-MELOS-TEMPO

L’art du bâton ou Tahtib en Egypte

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L’art du bâton ou Tahtib en Egypte.

Le 21 juin, nuit du solstice d’été, est devenue, à l’initiative de Jack Lang  alors Ministre de la Culture, la Fête de la musique. Dans les jardins du Louvre, démonstration du Centre des arts du bâton Medhat Fawzi de Mallawi (Moyenne Egypte), avec le soutien de l’ambassade d’Egypte qui, à l’invitation de l’Ecole du Louvre, présentait l’art traditionnel du bâton.
La rencontre, organisée par Adel Paul Boulad, professeur d’arts martiaux, directeur de l’association Seiza, est précédée d’une conférence qu’il donne en compagnie de l’égyptologue Dominique Farout. Boulad promeut le Tahtib, art martial et festif qu’il cherche à développer. Il y voit en effet un vrai défi en termes d’éducation dont pourrait s’emparer le système scolaire de son pays. Hassan El Geretly, directeur du Warsha Théâtre au Caire, travaille lui sur la tradition et la mémoire et mêle à ses spectacles le geste chorégraphié et rituel de cet art millénaire. Il a fondé, en 96, le centre des arts du bâton Medhat Fawzi qu’il soutient depuis.
On trouve sur les murs des temples de Louqsor, les tombes de la vallée des rois à Thèbes et de Beni Hassan près d’El Minya, et dans bien d’autres hauts lieux d’Egypte, fresques, bas-reliefs et ostracons qui témoignent de l’activité de jouteurs et de musiciens. Dominique Farout nous invite à un voyage historique: cet art du bâton, codifié et gravé depuis l’ère pharaonique remonte à la Vème dynastie (2.800 avant J.C.)
Au départ, sorte de liane enroulée aux arbres du Sud-Est asiatique, il est maintenant un bâton de rotin d’environ un mètre trente, acheté au marché aux chameaux que l’on redresse au chalumeau, comme le dit Adel Boulad. Le jouteur et le bâton deviennent un, symbole de l’être accompli.

Cet art du bâton s’inscrit dans le temps des campagnes et dans les rites populaires : « En Haute et Moyenne Egypte, aucun heureux événement (victoire, mariages, baptêmes), ne se déroule sans la présence du Tahtib. Le port de ce bâton légendaire est devenu le témoin incontesté de la joie de vivre ». A certains moments de l’histoire, il a aussi rythmé les fêtes religieuses ou funéraires.
Dans la tradition, l’assemblée forme un cercle, garant d’un esprit de loyauté, de dignité et de fête. Les musiciens soufflent dans leurs mizmars aux sons suraigus, battent la darbouka et le bendir. On entend parfois les cordes du rababa ou les anneaux métalliques du diouf. Les instruments dialoguent entre eux, mais aussi avec  les jouteurs et portent le geste.
Les démonstrations dans les jardins du Louvre, puis dans la cour intérieure de l’Institut du Monde Arabe, ont permis au cercle d’un public aux aguets d’entrer dans le va-et-vient des codes et des rites. Entre l’individuel et le collectif, la danse et le combat, l’art du bâton est fait de glissements et de grâce. Souplesse, rythmes et musiques ; ruse, art et énergie ; ludique, souffle et contrôle, étaient au rendez-vous. « C’est l’art du musicien que d’accorder son chant au chant du cœur du monde » écrit Attar dans La Conférence aux oiseaux. Le bâton est parfois comme un oiseau…

Brigitte Rémer

Guingamp les 23 et 24 juin, ; Région Centre du 25 juin au 1er juillet; Romans du 2 au 8 juillet ; Région de Lyon et Nevers du 9 au 15 juillet, et Gannat, Festival des cultures du monde du 16 au 29 juillet

Le Festival des Ecoles du théâtre public à la Cartoucherie

Le Festival des Ecoles du théâtre public à la Cartoucherie 65334db2bd6dce4560a69c6da2baed61

Le festival des écoles du théâtre public à la Cartoucherie du 21 juin  au 1er juillet.


  Les théâtres de la Cartoucherie de Vincennes se sont mobilisés pour accueillir une nouvelle génération de comédiens, sortis des écoles nationales supérieures d’art dramatique. Onze écoles ont été ainsi labellisées: l’E.P.S.A.D. à Lille, l’Ecole du Théâtre national de Bretagne à Rennes, l’Académie à Limoges, L’Ecole du T.N.B.A. à Bordeaux, l’E.S.A.D. du Conservatoire de Montpellier, l’E.R.A.C à Cannes, l’E.N.S.A.T.T. à Lyon, l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, celle du T.N.S à Stasbourg, l’E.S.A.D. , et le Conservatoire national supérieur à Paris.
Ce festival réunit les spectacles de plusieurs de ces écoles, depuis trois ans, date de l’arrivée au Théâtre de l’Aquarium de François Rancillac, qui avait dirigé auparavant l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne.
Ont été  aussi   appelés à l’aide les apprentis techniciens du  C.F.A. du spectacle vivant et de l’Audiovisuel et du C.F.P.T.S de Bagnolet et  les étudiants du Master 2 de Paris lll, futurs administrateurs, rencontrent les acteurs pour évoquer avec eux leur projets à venir.
Et cette année, ont été invitées la Manufacture de Lausanne, et la Nord-Trondelag-University norvégienne de Verdal.Les mises en scène ont été confiés à Philippe Genty, Arpad Shilling, Stuart Seide, Stéphanie Loïk, Laurent Gutmann, Oscar Gomez Mata, Thomas Jolly …

Philippe Genty a fait, lui, le pari de reprendre, avec ses élèves norvégiens, son formidable spectacle Ne m’oublie pas( 1992) qu’il a adapté  pour eux. Située maintenant aux pays des glaces, scandée par des chants du grand Nord, la pièce joue sur la confusion des corps : hommes et femmes manipulent leur jumeau mannequin ou leur réplique simiesque (à moins qu’il ne soient manipulés par eux).
Un grand  ballet en noir et blanc, orchestré par une guenon « humanisée » mutine et haute en couleurs, donne l’occasion aux acteurs de pénétrer dans cet univers onirique et loufoque. Mais aussi d’’explorer leurs capacités physiques voire acrobatiques, d’aborder la manipulation d’objets, en se livrant à un jeu de miroir rigoureux et virtuose.
Dans un tourbillon de voiles et de battements d’ailes, de petits personnages naissent, disparaissent ou se figent, se démantibulent ou s’apparient;  les hommes sont en noir et les femmes en blanc, comédiens et poupées confondues. Et bientôt le décor du rêve fondra comme neige au soleil.
C’est une toute autre aventure que le turbulent Oscar Gomez Mata propose aux élèves de la Manufacture  de Lausanne. Entre « s’inspire de l’œuvre et de l’esprit de Cassavetes.» , dit-il,  mais aussi du vécu collectif et individuel des jeunes comédiens pendant leurs trois années d’étude. Cela commence par une parodie d’audition, où chacun est, tour à tour , membre du jury et  candidat. Et la pièce interroge le théâtre comme espace d’un jeu symbolique avec la réalité.
Mata a demandé à chacun d’être soi-même: pourquoi est-on en scène, pourquoi prend-t-on la parole publiquement, pourquoi se met-on dans la position de celui qui crée? La pièce s’aventure dans les méandres des motivations et des affects des acteurs, au moment de leur entrée dans la vie professionnelle.
Ils  entament aussi un dialogue avec le public : dix minutes de « moment démocratique » et donnent la parole aux spectateurs, dont beaucoup d’entre eux partagent ou ont partagé la même expérience de comédiens débutants. Ce travail sans filet, qui cherche le juste équilibre entre réalité et fiction, aurait pu virer au psychodrame ou tomber dans la facilité. Les protagonistes s’en acquittent avec talent, et ce rapport ludique avec le public  se fait avec une connivence sans démagogie.

Mireille Davidovici

 La Cartoucherie, route du champ de manœuvre 75012 jusqu’au 1er juillet Entrée libre : réservation indispensable. T: 01-43-74-99-61 http://www.theatredelaquarium.net

Oleanna

Oleanna de David Mamet, texte français de Pierre Laville, mise en scène de Patrick Roldez.

Oleanna 1038456881On connaît depuis longtemps maintenant David Mamet, auteur américain de Glengarry Glenn Ross (1982) et d’American Buffalo (1975) mais aussi, ce que l’on sait moins, du scénario des fameux Incorruptibles d’après le livre d’Oscar Fraley… Mamet a aussi réalisé plusieurs films dont Engrenages et Braquages.
Oleanna (1992) avait été montée par Maurice Bénichou avec Charlotte Gainsbourg, il y a une quinzaine d’années; c’est  un huis-clos. Comme American Buffalo qui  mettait en scène trois loosers qui cherchaient à voler une collection de pièces de  monnaie ,mais ici, nous sommes dans un tout autre registre. Cela se passe dans le bureau, où John, un professeur d’université, reçoit ses étudiants.
Il y a juste une table aux dimensions impressionnantes, symbole du pouvoir moral et intellectuel que le professeur exerce, une chaise et un porte-manteaux. Il voudrait bien aider Carol, en proie à un mal-être évident et à une grande souffrance psychique et qui cherche un peu de  réconfort auprès de son enseignant pour arriver à progresser dans ses études. Elle est issue d’un milieu  défavorisé, est  mal habillée, et singulièrement triste;  elle  pense qu’elle a peu de chances,voire même pas du tout, d’arriver à quelque chose dans la vie.

De son côté, John,  lui, est à un tournant: enseignant tout proche de la titularisation sur laquelle va statuer un comité directeur, il est aussi en train d’acquérir une maison mais cet achat dépend bien sûr de l’augmentation de son salaire… une fois qu’il aura enfin titularisé. Préoccupations qui sont très loin de celles de Carol qui va l’amener gentiment mais avec un certain sadisme, à  se remettre en question et à considérer que sa vie est d’une profonde vacuité.
Carol lui démontre que son enseignement n’a pas du tout la valeur qu’il lui octroie et le somme de reconsidérer les pseudo-valeurs auxquelles il est attaché. Mauvais jour décidément pour John: sa femme le harcèle au téléphone à propos de la vente de la maison qu’il doivent acquérir, ce qui exaspère évidemment de cette étudiante mal aimée qui voit dans John l’incarnation de la bêtise du pouvoir et de  la hiérarchie, et un machisme certain. Et elle ne se fait pas faute de le lui dire, parfois même de façon assez crue.

Lui veut  l’aider mais est-il vraiment sincère? Il est sans doute  en tout cas maladroit. Surtout,  quand il se rapproche d’elle et qu’il  la prend par les épaules. L’erreur à ne pas  commettre!  On est aux Etats-Unis et les accusations de harcèlement sexuel, vont vite et les ennuis volent alors en escadrille. Il s’agit, rappelons-le d’un huis-clos,au sens strict du terme, ce dont Carol a bien conscience, puisqu’ils resteront toujours tous les deux dans ce bureau, où John, seul, désemparé, accablé,  finira même par passer une nuit.  Et dès lors, la machine infernale est lancée: la parole de John n’a plus grand poids, quand Carol va l’accuser  de harcèlement sexuel.Et le chantage exercé sur les notes n’est pas loin…
Qui va alors  manipuler qui? En trois petits actes, John, le soi-disant  grand universitaire va être petit à petit laminé, anéanti par le chantage de cette jeune  étudiante qui pourrait sans doute être sa fille et qui sait y faire dans le diabolique.  Tout menace de s’écrouler d’un seul coup pour John…Adieu promotion, adieu maison, et peut-être même adieu famille: Carol règle visiblement ses comptes avec la société et ne lui fera aucun cadeau. Sûre d’elle, s’auto-proclamant représentante de ses camarades étudiants, elle lui tend une feuille déjà rédigée où il reconnaît ses torts, feuille qu’il n’a plus qu’à  signer et qu’elle ira afficher sur les portes de l’université… Carol, de victime, devenue bourreau, a gagné. Mais Mamet a le don de placer le spectateur au centre des conflits et l’on ressent un malaise certain dans ce combat aux allures tauromachiques
Sand doute parce que tout le spectacle est remarquablement mis en scène et dirigé avec une grande économie de moyens par Patrick Roldez qui  réussit un travail d’orfèvre à partir du  dialogue de David  Mamet. Et,  dès les premières minutes, il sait  rendre tout à fait crédibles ces deux personnages aussi attachants l’un que l’autre. Dans un silence oppressant, John et Carol sont vraiment là à quelques mètres de nous. Gestuelle et diction parfaite, Marie Thomas et David Seigneur possèdent  une grande maîtrise du plateau, et réussissent à imposer une grande palette de sentiments, et sans le moindre pathos. Patrick Roldez avait sans doute flairé le  danger… Et comme David Mamet, côté scénario, sait y faire, il nous a épargné  une fin heureuse dont la pièce aurait eu du mal à se remettre. Mais c’est un texte exigeant et les deux comédiens sont obligés de réaliser un parcours sans faute et pas des plus faciles. Ils sont tous les deux impressionnants de vérité,  dans cette noirceur puritaniste assez éprouvante.
Cet  Oleanna est sans aucun doute un des meilleurs spectacles de cette fin de saison. Et,  chose rare, il se joue en juillet et en août. N’hésitez absolument pas.

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire jusqu’au 1er septembre T: 01-45-44-57-34

Les Amants de Séville

Les Amants de Séville, Les Noces de sang de Carmen et Don Juan, opéra comique en trois actes de Gilles Roland-Manuel d’après Da Ponte, Mérimée et Sterbini, musique de Gorges Bizet, Amadeus Mozart et Giocchino Rossini, mise en scène de Laurent Petitgirard.

C’est une sorte d’opéra comique, dont on doit le livret au psychiatre Roland-Manuel, le créateur du fameux journal Le Papotin, créé avec Dris El-Kesri et de jeunes autistes. Le spectacle rassemble sur scène de jeunes et moins jeunes souffrant de handicaps mentaux, et des professionnels: chanteurs, comédiens, danseurs et musiciens d’orchestre. « Une vingtaine parmi ces jeunes chantent déjà dans la chorale et plusieurs autres jouent les rôles d’Escamillo, Leporello et Chérubin. J’ai tenté de faire une adaptation sur mesure d’opéras du grand répertoire lyrique. Carmen est sévillane mais Don Juan et Figaro, et le répertoire flamenco aussi. Catherine Boni, artiste lyrique avait fait travailler ces jeunes autistes sur des extraits de Carmen. C’était franchement pas mal, malgré une partition très difficile.Et puis, à force de travail, ils ont fait d’incroyables progrès. Il y a eu des concerts en 2011 salle Gaveau puis à Rabat, et aujourd’hui, le spectacle, parrainé par Nathalie Dessay et Laurent Naouri, est arrivé à maturité après un an d’intense travail collectif. »
Cet opéra comique déroule en trois actes: on est d’abord pendant la semaine sainte  où la feria bat son plein puis une suite de scènes qui ont  pour dénominateur commun le mythe de l’amour vu par Don Juan, Figaro et Chérubin. Au troisième acte, après bien des complications que l’on vous épargnera, on va fêter le mariage de Carmen et et Don Juan qui va se retrouver seul  avec Leporello pour un dîner avec un minotaure/taureau/ commandeur qui châtiera à la fois Don Juan mais aussi Carmen parce qu’elle a essayé de le sauver. C’est un scénario un peu compliqué mais qui, après tout, en vaut d’autres, même s’il saute allègrement les époques et les styles.
Cela ne commence pas très bien par une procession de pénitents sévillans encagoulés, entrant par la salle, et portant des  lanternes, un peu appliquée, avec l’ouverture enregistrée du Don Juan de Mozart mais, très vite les choses s’installent et surtout pour les scènes de groupe, le résultat est  impressionnant  d’intelligence et de sensibilité, même si on frôle parfois la faute technique dans les parties individuelles chantées. Mais les  danseurs et les chanteurs professionnels, avec discrétion et générosité, sont là pour les soutenir le travail et cela fonctionne… Et Laurent Petitgirard a su bien mettre en scène  ces jeunes gens (parfois plus de trente en scène!),  qui ont souvent des possibilités de mémorisation et de gestuelle que l’on n’aurait pas soupçonnées, en les faisant subtilement encadrer par leurs éducateurs et les artistes.
Le plus émouvant peut-être: les voir, heureux d’être sur scène, confiants et  donnant le meilleur d’eux-même, en parfaite osmose avec leurs collègues professionnels et avec l’orchestre.Et ils écoutent, entre autres,  l’excellent  chanteur guitariste Paco El Lobo  avec  une attention exemplaire. Ce qui donne à la scène une sacrée force. Assez étonnant mais pas évident du tout à mettre au point; et cela a dû demander un travail considérable au metteur en scène et à ses collaborateurs qui les ont dirigés avec beaucoup de finesse et de générosité. Il y a aussi notamment une jeune femme qui chante Chérubin avec puissance, sans forcer mais avec une belle sensibilité.
Sans doute, ne faut-il pas juger ce genre de spectacle comme d’autres opéras joués  et chantés par des professionnels.
Mais le travail, forcément inégal,  de cette distribution mixte, avec le soutien efficace des musiciens de l’Ensemble Calliopée sous la direction de Karine Lethiec, force le respect et procure au public aux meilleurs moments un vrai plaisir scénique. C’est un beau pari réussi que ce spectacle et les directeurs du Théâtre Monfort, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel ont bien eu raison de l’accueillir.

Philippe du Vignal

Monfort Théâtre jusqu’au 24 juin.T: 01 56 08 33 88

http://www.dailymotion.com/video/xrecuf

Kassandra/ Fukushima

Kassandra Fukushima,texte librement inspiré d’Eschyle et mise en scène de Jacques Kraemer.

  Kassandra/ Fukushima cJJ-Kraemer113Apollon avait dotée Cassandre du don de prédiction. Mais pour la punir de s’être refusée à lui, il l’avait aussi frappée de la malédiction de n’être jamais crue. Cette  fille du roi troyen et de son épouse Hécube, est un personnage qui n’a cessé de fasciner les dramaturges et écrivains jusqu’à Christa Wolf en passant par Boccace et Schiller. Mais cela n’est pas nouveau: Homère dans l’Odyssée avait déjà raconté comment Clytemnestre, la reine jalouse, avait tué Cassandre qui avait été emmenée en esclavage après la guerre de Troie par  son mari,  Agamemnon, le roi de Mycènes qui lui faisait l’amour.
Puis dans Agamemnon d’ Eschyle, Cassandre raconte, en plein délire prophétique, le meurtre du Roi par cette même Clytemnestre, et  dans Les Troyennes d’Euripide, elle  n’hésitera pas à prédire à la Reine qu’elle sera tuée par son fils Orest.Toutes prédeictions effectivement réalisées.

Et puis, il y a eu, un plus  d’un an déjà,  la catastrophe de Fukushima dont on ne connaît pas bien encore toutes  les conséquences réelles mais forcément désastreuses et qui concernent toute notre petite planète. Fukushima se rappelle à notre bon souvenir: nous avons tous, nous Occidentaux, des objets fabriqués au Japon  grâce à  l’énergie électrique « bon marché »(mais qui va nous coûter très cher) des 55 (sic!) centrales atomiques japonaises.
Et le rapport avec la belle Cassandre? Les Japonais ont bien eu aussi un vrai et sérieux Cassandre:  le professeur Katsuhiko qui avait prévenu  en 2006 les autorités de son pays que les centrales japonaises souffraient d’une «vulnérabilité fondamentale» aux séismes. Mais le gouvernement  et  la société Tepco avaient  ignoré ses avertissements! Et ce que l’on sait moins: des  séismes  déjà très sérieux avaient  provoqué de graves incidents, avec fuite de liquide radio-actif dans d’autres centrales,  déjà en 2005 puis en 2007, du fait que ces centrales avaient été construites dans une période de faible activité sismique. Et les remarquables prédictions d’Ishibashi Katsuhiko se sont révélées malheureusement en deçà de la réalité. Comme l’a dit, à l’époque, l’étonnant Claude Allègre de service:  » Pour l’instant, il  n’y a pas de catastrophe nucléaire ». Sans commentaires!
Et la pièce de Kraemer dans tout cela? Il s’agit d’un long monologue, bien mis en scène par son auteur et rigoureusement interprété par  Sophie Neveu, comédienne intelligente et sensible, qui a une belle présence scénique. Et puis, en off, il y a la voix, toujours formidable, de Christiane Cohendy…  Kraemer veut dit-il: » exprimer la hantise d’une articulation du terrorisme mondial au nucléaire militaire et civil. « Il y a fusion du plus ancien théâtre connu avec des thèmes apocalyptiques d’aujourd’hui et de demain ».
Sur la petite scène du lieu où ont été présentés les spectacles de sa compagnie depuis cinq ans et qu’il va devoir quitter, faute de subventions refusées par la mairie de Chartres, rien qu’un praticable et des draps blancs étalés, et un peu de fumigène dont on se demande bien ce qu’il vient faire là.

Mais on ne voit pas vraiment le lien entre l’évocation du taux de césium radio actif de 500 becquerels par kilo sur du riz récolté à 56 kms de la centrale nucléaire dévastée et le sang du meurtre d’Agamemnon prédit par Cassandre. Sinon un même climat de mort annoncée. Mais cela ne suffit sans doute pas à créer une  tension tragique et un vrai théâtre-documentaire aurait sans doute été plus radical que cette  fiction poétique qui a parfois un parfum de devoir de khâgne, où Kraemer  accumule des noms grecs du genre: ecclyclème, hoplite, skéné, thrène, etc… Ce  qui n’apporte pas grand chose… Comme si Kraemer avait du mal à s’affranchir du grand Eschyle et de la tragédie grecque.
Mieux vaut peut-être oublier ce que suggère le titre de la pièce et considérer seulement qu’il s’agit d’un long poème ayant pour thème la malédiction qui frappe la race humaine quand elle se mêle de vouloir faire son bonheur au mépris de la sagesse la plus élémentaire, dans la même ligne que ce Prométhée (voir le Théâtre du Blog) qu’il avait récemment monté.
Alors à voir? Peut-être;  à vous de juger…

Philippe du Vignal

Créé à Chartres et à partir du 7 juillet au Festival d’Avignon off.

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