Danse à la verticale
Danse à la verticale par la compagnie Les Passagers et 8gg
Un bien bel endroit face à la Seine, au bout du bout du monde, l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Val de Seine (ENSA), construite sur d’anciens terrains industriels et ferroviaires.
Un nouveau bâtiment de neuf étages côtoie une ancienne usine d’air comprimé du XIXème siècle, dont subsistent la halle et la cheminée en briques, inscrites au titre des monuments historiques Entre les deux bâtiments aux différents volumes, une cour.
C’est là que se regroupe le public venu assister au spectacle de la compagnie de danse aérienne Les Passagers, dans le cadre de la semaine du nouveau quartier latin (NQL13). Les sept établissements publics du site : Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations, École des hautes études en sciences sociales, École nationale supérieure d’Architecture Paris-Val de Seine, Fondation Maison des sciences de l’homme, Institut national des langues et civilisations orientales et Université Paris-Diderot ont élaboré ce programme de rencontres, débats et spectacles, à l’accès gratuit. Tous promeuvent: pluridisciplinarité, pédagogies innovantes, recherche de pointe et pôle culturel de qualité.
Du haut du neuvième étage une corde est jetée, une danseuse glisse, collant noir et harnais de sécurité, sur les murs blancs. Elle s’arrête au dessus de nos têtes, au niveau du troisième. Le ballet aérien est plein de grâce. Un petit vent nous saisit.
Redescendue sur terre, la danseuse invite le public à la suivre dans un grand atelier où six écrans de quatre mètres sur quatre longent les murs et nous encerclent, où des piliers de béton armé sont autant d’espaces suspendus. Au-dessous de nous, dans la salle des machines, sous des grilles aux éclairages diffus, les danseurs bougent. On les croirait dans des fonds sous-marins, imperceptibles et lointains.
Nous traversons les océans, avant de reprendre les airs et de voler avec eux. Musiques et images se déversent sur les murs, dans la salle : cercles concentriques et écritures, fleurs carnivores et marées montantes. Images d’art vidéo, du simple au figuré. Un pas-de-deux plein de sensualité colle à l’écran, les corps s’entrelacent, se superposent. Les danseurs grimpent leur Everest tels des alpinistes, et redescendent, se faisant réciproquement contre-poids, de manière résolument répétitive et obsessionnelle, concentrés, isolés. Vous les cherchez d’un côté, ils sont de l’autre, comme des scarabées qui renaissent tous les matins à l’aube, apparitions/disparitions.
Les relais se prennent, entre eux, qui se glissent dans la danse acrobatique et s’en retirent, au fil de leur parcours. Certains moments sont de pure beauté, quand l’image coïncide exactement avec la partition du danseur et que s’instaure un dialogue : il en est ainsi dans le camion que vous conduisez, sous le tunnel, quand la vitesse donne le tournis, quand les oiseaux semblent s’abattre sur le danseur, comme chez Hitchcock. Quand il met ses pas dans ceux des danseurs, dans une déambulation libre, le public traverse les quatre éléments : terre, air, eau, feu, le minéral, le végétal, et laisse libre cours à son imagination, à ses visions.
Les Passagers avaient été invités par l’ENSA Paris-Val de Seine l’année dernière, pour une résidence artistique et deux spectacles ouverts à tous.L’originalité et le succès public de sa proposition a incité les organisateurs à les réinviter, avec une nouvelle création, sur le thème Architecture et Nature. Fondée en 1988 par Philippe Riou, metteur en scène et Christine Bernard, comédienne, Les Passagers explorent les lieux urbains, investissent espaces publics, parcs, places, monuments historiques, friches industrielles pour y faire naître diverses formes de spectacle.
La compagnie construit son langage, au fil des créations, entre univers théâtral, chorégraphique et aujourd’hui numérique, sur des scènes « verticales ». Les artistes sont issus de différentes disciplines comme le théâtre, la danse, l’acrobatie, la musique ou les arts plastiques. Echafaudages, pyramides, câbles, cordes, filets et maintenant vidéos constituent la structure scénographique de leur travail.
Sous la direction de Philippe Riou, les trois danseurs aériens explorent les formes chorégraphiques propres à la danse verticale sur mur, soutenus par deux artistes plasticiens vidéastes, du duo 8gg, Fu Yu et Jia Haiquing, originaires de Pékin, qui confrontent leurs images aux corps suspendus des danseurs. Projections et interactions vidéos, danse libre en suspension, lumières animées sur les corps en mouvement, propagation des ondes et des sons se mêlent en un tourbillon où les corps s’éveillent et se propulsent.
La dimension spectaculaire se fond alors en un chemin initiatique. On pense à Rimbaud dans ses Illuminations : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse ».
Brigitte Rémer
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Val de Seine, 29 mai au 2 juin 2012