Démangeaisons de l’oracle
Démangeaisons de l’oracle, texte, réalisation et mise en scène Florent Trochel
Cet homme dirigeait l’entreprise de recyclage qu’il avait créée. Et puis – rachat, restructurations – il est mis à la porte par ses propres fils. Les temps changent, le travail ni les métiers n’ont plus d’autre sens que celui de la spéculation. Devenu aveugle, hantant les couloirs d’attente d’un hôpital, l’homme que ses parents ont nommé Œdipe, spécule, cependant : sur une mystérieuse découverte liée à l’élevage de papillons, puis dans le pur engrenage du jeu.
Une jeune fille sans beaucoup de passé et avec moins encore d’avenir s’attache à lui. Son Antigone a pris le pseudonyme de Venezzia Mestre. Pourquoi pas ? Il fallait bien que cela sonnât évidemment faux. Cette jeune fille a un demi-frère, un demi-escroc. Pour finir, ils se retrouvent dans un désert de pierres, décor de fin du monde ou d’avant le monde. Fin d’une trajectoire allant du « monde réel » (les bouteilles en plastique) à un autre « monde réel », celui de la métaphysique.
La tragédie passe ainsi par des fragments d’images (les arcades de l’hôpital, et du théâtre), de texte déclamé. Cet Œdipe aveugle n’est pas pour autant plus clairvoyant, pas plus que ses deux partenaires : une vision moderne et désabusée d’un tragique sauvé par l’inexplicable « care » de la jeune fille.
Cette histoire confuse (l’auteur le revendique), on la suit pourtant, emmené par un beau film narratif, dans lequel s’incrustent des scènes de théâtre jouées par les mêmes – excellents- acteurs, avec une profondeur de champ inédite. Florent Trochel a travaillé pour et avec Joël Pommerat : la parenté saute aux yeux, mais ne l’empêche pas de mettre sa griffe très personnelle.
Dans une forme très soignée, il va vers un théâtre qu’on ose rarement faire, osant la déclamation (pour le personnage d’Œdipe Werner), le « trop dire », qui tranche avec un théâtre du dialogue sec. Cette qualité a son revers : certains crescendos, vocaux et musicaux, basculent dans le procédé et dans la machine à fabriquer de l’émotion. Et là, on n’adhère plus…
À voir, pour le plaisir critique, donc à la fois sensible et intellectuel, qu’on tire de cette représentation, et pour le Théâtre Paris-Villette, dont l’existence est aujourd’hui menacée, qui offre de telles découvertes.
Christine Friedel
Théâtre Paris-Villette 01 40 03 72 23 –