Kassandra/ Fukushima
Kassandra Fukushima,texte librement inspiré d’Eschyle et mise en scène de Jacques Kraemer.
Apollon avait dotée Cassandre du don de prédiction. Mais pour la punir de s’être refusée à lui, il l’avait aussi frappée de la malédiction de n’être jamais crue. Cette fille du roi troyen et de son épouse Hécube, est un personnage qui n’a cessé de fasciner les dramaturges et écrivains jusqu’à Christa Wolf en passant par Boccace et Schiller. Mais cela n’est pas nouveau: Homère dans l’Odyssée avait déjà raconté comment Clytemnestre, la reine jalouse, avait tué Cassandre qui avait été emmenée en esclavage après la guerre de Troie par son mari, Agamemnon, le roi de Mycènes qui lui faisait l’amour.
Puis dans Agamemnon d’ Eschyle, Cassandre raconte, en plein délire prophétique, le meurtre du Roi par cette même Clytemnestre, et dans Les Troyennes d’Euripide, elle n’hésitera pas à prédire à la Reine qu’elle sera tuée par son fils Orest.Toutes prédeictions effectivement réalisées.
Et puis, il y a eu, un plus d’un an déjà, la catastrophe de Fukushima dont on ne connaît pas bien encore toutes les conséquences réelles mais forcément désastreuses et qui concernent toute notre petite planète. Fukushima se rappelle à notre bon souvenir: nous avons tous, nous Occidentaux, des objets fabriqués au Japon grâce à l’énergie électrique « bon marché »(mais qui va nous coûter très cher) des 55 (sic!) centrales atomiques japonaises.
Et le rapport avec la belle Cassandre? Les Japonais ont bien eu aussi un vrai et sérieux Cassandre: le professeur Katsuhiko qui avait prévenu en 2006 les autorités de son pays que les centrales japonaises souffraient d’une «vulnérabilité fondamentale» aux séismes. Mais le gouvernement et la société Tepco avaient ignoré ses avertissements! Et ce que l’on sait moins: des séismes déjà très sérieux avaient provoqué de graves incidents, avec fuite de liquide radio-actif dans d’autres centrales, déjà en 2005 puis en 2007, du fait que ces centrales avaient été construites dans une période de faible activité sismique. Et les remarquables prédictions d’Ishibashi Katsuhiko se sont révélées malheureusement en deçà de la réalité. Comme l’a dit, à l’époque, l’étonnant Claude Allègre de service: » Pour l’instant, il n’y a pas de catastrophe nucléaire ». Sans commentaires!
Et la pièce de Kraemer dans tout cela? Il s’agit d’un long monologue, bien mis en scène par son auteur et rigoureusement interprété par Sophie Neveu, comédienne intelligente et sensible, qui a une belle présence scénique. Et puis, en off, il y a la voix, toujours formidable, de Christiane Cohendy… Kraemer veut dit-il: » exprimer la hantise d’une articulation du terrorisme mondial au nucléaire militaire et civil. « Il y a fusion du plus ancien théâtre connu avec des thèmes apocalyptiques d’aujourd’hui et de demain ».
Sur la petite scène du lieu où ont été présentés les spectacles de sa compagnie depuis cinq ans et qu’il va devoir quitter, faute de subventions refusées par la mairie de Chartres, rien qu’un praticable et des draps blancs étalés, et un peu de fumigène dont on se demande bien ce qu’il vient faire là.
Mais on ne voit pas vraiment le lien entre l’évocation du taux de césium radio actif de 500 becquerels par kilo sur du riz récolté à 56 kms de la centrale nucléaire dévastée et le sang du meurtre d’Agamemnon prédit par Cassandre. Sinon un même climat de mort annoncée. Mais cela ne suffit sans doute pas à créer une tension tragique et un vrai théâtre-documentaire aurait sans doute été plus radical que cette fiction poétique qui a parfois un parfum de devoir de khâgne, où Kraemer accumule des noms grecs du genre: ecclyclème, hoplite, skéné, thrène, etc… Ce qui n’apporte pas grand chose… Comme si Kraemer avait du mal à s’affranchir du grand Eschyle et de la tragédie grecque.
Mieux vaut peut-être oublier ce que suggère le titre de la pièce et considérer seulement qu’il s’agit d’un long poème ayant pour thème la malédiction qui frappe la race humaine quand elle se mêle de vouloir faire son bonheur au mépris de la sagesse la plus élémentaire, dans la même ligne que ce Prométhée (voir le Théâtre du Blog) qu’il avait récemment monté.
Alors à voir? Peut-être; à vous de juger…
Philippe du Vignal
Créé à Chartres et à partir du 7 juillet au Festival d’Avignon off.