Oleanna
Oleanna de David Mamet, texte français de Pierre Laville, mise en scène de Patrick Roldez.
On connaît depuis longtemps maintenant David Mamet, auteur américain de Glengarry Glenn Ross (1982) et d’American Buffalo (1975) mais aussi, ce que l’on sait moins, du scénario des fameux Incorruptibles d’après le livre d’Oscar Fraley… Mamet a aussi réalisé plusieurs films dont Engrenages et Braquages.
Oleanna (1992) avait été montée par Maurice Bénichou avec Charlotte Gainsbourg, il y a une quinzaine d’années; c’est un huis-clos. Comme American Buffalo qui mettait en scène trois loosers qui cherchaient à voler une collection de pièces de monnaie ,mais ici, nous sommes dans un tout autre registre. Cela se passe dans le bureau, où John, un professeur d’université, reçoit ses étudiants.
Il y a juste une table aux dimensions impressionnantes, symbole du pouvoir moral et intellectuel que le professeur exerce, une chaise et un porte-manteaux. Il voudrait bien aider Carol, en proie à un mal-être évident et à une grande souffrance psychique et qui cherche un peu de réconfort auprès de son enseignant pour arriver à progresser dans ses études. Elle est issue d’un milieu défavorisé, est mal habillée, et singulièrement triste; elle pense qu’elle a peu de chances,voire même pas du tout, d’arriver à quelque chose dans la vie.
De son côté, John, lui, est à un tournant: enseignant tout proche de la titularisation sur laquelle va statuer un comité directeur, il est aussi en train d’acquérir une maison mais cet achat dépend bien sûr de l’augmentation de son salaire… une fois qu’il aura enfin titularisé. Préoccupations qui sont très loin de celles de Carol qui va l’amener gentiment mais avec un certain sadisme, à se remettre en question et à considérer que sa vie est d’une profonde vacuité.
Carol lui démontre que son enseignement n’a pas du tout la valeur qu’il lui octroie et le somme de reconsidérer les pseudo-valeurs auxquelles il est attaché. Mauvais jour décidément pour John: sa femme le harcèle au téléphone à propos de la vente de la maison qu’il doivent acquérir, ce qui exaspère évidemment de cette étudiante mal aimée qui voit dans John l’incarnation de la bêtise du pouvoir et de la hiérarchie, et un machisme certain. Et elle ne se fait pas faute de le lui dire, parfois même de façon assez crue.
Lui veut l’aider mais est-il vraiment sincère? Il est sans doute en tout cas maladroit. Surtout, quand il se rapproche d’elle et qu’il la prend par les épaules. L’erreur à ne pas commettre! On est aux Etats-Unis et les accusations de harcèlement sexuel, vont vite et les ennuis volent alors en escadrille. Il s’agit, rappelons-le d’un huis-clos,au sens strict du terme, ce dont Carol a bien conscience, puisqu’ils resteront toujours tous les deux dans ce bureau, où John, seul, désemparé, accablé, finira même par passer une nuit. Et dès lors, la machine infernale est lancée: la parole de John n’a plus grand poids, quand Carol va l’accuser de harcèlement sexuel.Et le chantage exercé sur les notes n’est pas loin…
Qui va alors manipuler qui? En trois petits actes, John, le soi-disant grand universitaire va être petit à petit laminé, anéanti par le chantage de cette jeune étudiante qui pourrait sans doute être sa fille et qui sait y faire dans le diabolique. Tout menace de s’écrouler d’un seul coup pour John…Adieu promotion, adieu maison, et peut-être même adieu famille: Carol règle visiblement ses comptes avec la société et ne lui fera aucun cadeau. Sûre d’elle, s’auto-proclamant représentante de ses camarades étudiants, elle lui tend une feuille déjà rédigée où il reconnaît ses torts, feuille qu’il n’a plus qu’à signer et qu’elle ira afficher sur les portes de l’université… Carol, de victime, devenue bourreau, a gagné. Mais Mamet a le don de placer le spectateur au centre des conflits et l’on ressent un malaise certain dans ce combat aux allures tauromachiques
Sand doute parce que tout le spectacle est remarquablement mis en scène et dirigé avec une grande économie de moyens par Patrick Roldez qui réussit un travail d’orfèvre à partir du dialogue de David Mamet. Et, dès les premières minutes, il sait rendre tout à fait crédibles ces deux personnages aussi attachants l’un que l’autre. Dans un silence oppressant, John et Carol sont vraiment là à quelques mètres de nous. Gestuelle et diction parfaite, Marie Thomas et David Seigneur possèdent une grande maîtrise du plateau, et réussissent à imposer une grande palette de sentiments, et sans le moindre pathos. Patrick Roldez avait sans doute flairé le danger… Et comme David Mamet, côté scénario, sait y faire, il nous a épargné une fin heureuse dont la pièce aurait eu du mal à se remettre. Mais c’est un texte exigeant et les deux comédiens sont obligés de réaliser un parcours sans faute et pas des plus faciles. Ils sont tous les deux impressionnants de vérité, dans cette noirceur puritaniste assez éprouvante.
Cet Oleanna est sans aucun doute un des meilleurs spectacles de cette fin de saison. Et, chose rare, il se joue en juillet et en août. N’hésitez absolument pas.
Philippe du Vignal
Théâtre du Lucernaire jusqu’au 1er septembre T: 01-45-44-57-34