Les Sacrifiées
Les Sacrifiées de Laurent Gaudé, mise en scène de Stéphanie Loïk.
Laurent Gaudé, quarante ans prochainement, est bien connu à la fois comme romancier (jeune Prix Goncourt des lycéens avec La Mort du roi Tsongor en 2002 puis Goncourt tout court avec Le Soleil des Corta en 2004) mais aussi comme dramaturge.Il est l’auteur de plus de dix pièces, notamment Onysos le furieux a été jouée en Allemagne puis au Théâtre National de Strasbourg et Pluie de cendres a été créée au Studio de la Comédie-Française. Laurent Gaudé a aussi écrit pour la scène Cendres sur les mains.
Les Sacrifiées, qui avait été montée par Jean-Louis Martinelli en 2004, fait ici l’objet d’un travail, dirigé par Stéphanie Loïk, avec l’atelier de seconde année (neuf garçons et six filles) de l’Académie de Limoges. C’est une plongée dans l’histoire de France et de l’Algérie, puisque la pièce commence par le débarquement du contingent chargé de mettre au pas au besoin par les armes une population qui revendiquait l’indépendance, ce que finit par lui accorder de Gaulle. Mais cela ne fut pas sans dégâts d’un côté comme de l’autre. La France et l’Algérie allaient sortir meurtris de cette épreuve . Mais la guerre que les gouvernements successifs de l’époque s’acharnaient à appeler pacification, et le fanatisme vont bousculer les valeurs établies.
Les Sacrifiées, c’est l’histoire emblématique de trois femmes. Raïssa se bat contre l’armée française et en représailles, ce sont des soldats français qui vont la violer. Et ce sera ensuite au tour de deux autres jeunes femmes Leïla et de Saïda d’ être les victimes indirectes de cette guerre , deux fois maudite qui détruisait tout sur son passage et qui,longtemps après l’indépendance, pesait encore sur leur destin..Ce que dit très bien Gaudé avec beaucoup de lucidité et de générosité à la fois.
Leila, la fille de Raïssa, habite dans l’immense bidonville de Nanterre que nous avons bien connu mais elle comprendra très vite que ni les Algériens ni les Pieds-Noirs ne retrouveront jamais la chère Algérie qu’ils avaient connue. Les bateaux comme elle dit ,vont toujours d’Alger vers Marseille mais jamais dans l’autre sens! Il y a aussi la jeune Saïda qui, elle, vit en Algérie dans les années 90, avec, en toile de fond, la pauvreté et le chômage, alors qu’en France l’ex-pays colonisateur, c’est la prospérité qu’il faudrait s’abaisser à aller chercher, du côté des banlieues parisiennes ou marseillaises; elle revendique sa liberté de femme moderne et indépendante du machisme des hommes qui voudraient lui dicter sa conduite et son habillement.
Stépanie Loïk a choisi de le monter sous une forme chorale où la diction,les modulations des voix,le chant et une gestuelle parfois assez proche de la danse, sont prépondérantes. C’est un travail de mise en scène d’une remarquable précision et d’une rigueur absolue. Et l’on sent un véritable engagement chez ces quinze jeunes acteurs, qui se mettent au service du groupe. Pas de véritable personnage, peu de dialogues en effet dans ce long poème dramatique mais des voix et des corps qui portent le texte de Gaudé avec humilité.
La mise en scène de Stéphanie Loïk est à la fois sobre et efficace, même si elle est parfois un peu sèche, et elle aurait pu nous épargner aussi quelques-uns de ces déplacements de groupe un peu trop systématiques, d’inutiles fumigènes qui font tousser le public, et des lumières chaudes rasantes assez faciles… Mais bon!
Et les jeunes comédiens? Rien à dire, ils savent faire et opérer de beaux déplacements sur un plateau, seuls ou à plusieurs, et il n’ y a ici aucune querelle d’ego comme c’est souvent le cas avec ces exercices de sortie d’école. Il y a le plus souvent une belle complicité entre les élèves de cet atelier. Mais il est bien difficile de discerner de vraies personnalités quand un texte n’est pas fait pour cela,et le dernier quart d’heure un peu longuet de ces quatre vingt dix minutes montre que l’exercice a ses limites. Mais comment trouver une solution! C’est toujours un véritable casse-tête de trouver un texte qui puisse offrir un véritable rôle à quinze apprentis-comédiens dans un temps qui ne peut excéder celui d’une représentation normale sans entracte si l’on veut que le public ne déserte pas. Le système des scènes variées mais réunies sous un thème unique, encore employé au Conservatoire, reste assez artificiel et, en général, n’en finit pas de finir, quelque trois heures plus loin…
Guy Freixes avait lui assez bien réussi son coup avec la dernière promotion de douze élèves de l’Ecole du Théâtre national de Chaillot en les faisant travailler sur trois Nôs de Mishima. Mais le choix d’un texte reste toujours des plus difficiles surtout quand il y a, comme ici,quinze jeunes comédiens. Enfin, Stéphanie Loïk avec cette mise en scène des Sacrifiées réussit à prouver que la formation dispensée à Limoges est d’une grande qualité. Ce qui n’est déjà pas si mal…
Philippe du Vignal
Spectacle joué au Théâtre du Chaudron du 21 au 24 juin.
Le texte des Sacrifiées comme celui des autres pièces de Laurent Gaudé est édité aux Editions Acte-Sud/Papier.