Festival Fringe d’Ottawa
Couple ouvert à deux battants de Dario Fo, mise en scène et scénographie de Jodi Sprung-Boyd et Vernus dit « surprise! de et par Ken Godmere.
Deux parmi les 52a spectacles présentés au festival Fringe d’ Ottawa, événement théâtral annuel « off » qui a lieu dans toutes les grandes villes du pays pendant l’été. Il s’agit d’une imitation du fameux Edinborough Fringe devenu le modèle par excellence de ce genre de fête théâtrale qui attirent les foules. Les compagnies jouent n’importe où : dans les parcs, les cours, les cafétérias,les salles de classe, les bibliothèques, les cafés , et même dans les théâtres – pourvu que les lieux soient tout près du centre ville et accessible sans difficulté.
Pendant dix jours, de 17h00 à minuit, les foules circulent, les opinions courent, les commentaires critiques sont postés sur les sites, les facebook et les affiches pour que les spectateurs puissent s’orienter. Cette année, la canicule nous a quelque peu ralentis mais notre site, www.capitalcriticscircle.com a pu inventorier une quarantaine de textes (en anglais). La pièce de Dario Fo et le monologue de Ken Godmere ont été des moments forts de ce festival.
Un couple vit un mariage ouvert, mais en est arrivé à se déchirer: la femme, au bord de la crise de nerfs, ne supporte plus les infidélités de son mari. Mais lui, multiplie les conquêtes sans le moindre remords. Les plans de bataille sont tirés et la méchanceté se déguise en comédie quand les personnages, comme ceux de Pirandello, décident de remettre en question leurs rôles, afin de trouver une solution par le biais du théâtre. En jouant la douleur à la manière d’une farce, la femme va faire comprendre à son mari les blessures que l’ouverture de leur couple lui inflige.
Jodi Sprung-Boyd, la jeune metteuse en scène, a remarquablement su intégrer dans son travail le concept de la lutte des classes, et une parodie de la bourgeoisie, grâce à une scénographie qui laisse deviner la situation et grâce aussi à des jeux d’ombres dans la salle de bains et à un jeu corporel que l’on associe d’habitude au théâtre de Dario Fo. La comédienne surtout, a atteint un niveau de double jeu excellent : elle passe du narrateur qui prépare un coup insidieux en nous expliquant sa ruse, au personnage blessé (prêt à se jeter par la fenêtre) et qui fait marcher le mari , toujours avec un clin d’œil théâtral, jusqu’à ce qu’il s’écroule. Les passages entre ces deux réalités scéniques sont bien rythmés , grâce à une chorégraphie à la fois précise et joyeuse. Belle découverte pour un festival de ce genre..
Ken Godmere, lui, est un comédien surprenant et très doué qui a écrit un scénario (sans paroles) pour mettre en évidence ses talents de mime. L’unique personnage sur scène: un pépé (vieilli par un maquillage très efficace) vit seul, dans un espace vide, juste meublé par un paysage sonore (18 voix enregistrées). Il possède une gestualité impeccable qui permet de deviner les objets qu’il ramasse, les dimensions de son appartement, les moindres bruits (sonnette, téléphones, ordinateurs, vendeurs à domicile).
Harcelé toute la journée par des voix humaines en direct ou par celles des répondeurs de gens qui vivent à l’extérieur de son espace, il se tait: il sait en effet que ceux qui parlent n’écoutent que leur propre voix et ne comprennent pas du tout qu’il ait des rapports au ralenti avec le monde.
Il vaque à ses occupations quotidiens, sort dans la rue où il est dépassé par les foules. Et les jeunes le bousculent dans les magasins de jouets où il cherche un cadeau pour son petit-fils. Le langage gestuel est clair mais nuancé, plein humour et, à la fin, émouvant et sans la moindre sensiblerie. La parole est devenue superflue… du moins nous le croyons.
Il y a un moment magique quand l’enfant comprend la lutte de son grand-père et exprime sa joie devant un simple cadeau. Ce moment de reconnaissance justifie le seul mot de la soirée: » surprise ». Bouleversant!
Godmere pense faire une tournée à travers le monde. La puissance de son jeu et la clarté des émotions qu’il transmet sont telles que le spectacle s’imposera sûrement dans n’importe quel pays.
Alvina Ruprecht
Festival Fringe d’Ottawa jusqu’au 24 juin, 2012.