Démangeaisons de l’oracle

Démangeaisons de l’oracle, texte, réalisation et mise en scène Florent Trochel

  Cet homme dirigeait l’entreprise de recyclage qu’il avait créée. Et puis – rachat, restructurations – il est mis à la porte par ses propres fils. Les temps changent, le travail ni les métiers n’ont plus d’autre sens que celui de la spéculation. Devenu aveugle, hantant les couloirs d’attente d’un hôpital, l’homme que ses parents ont nommé Œdipe,  spécule, cependant : sur une mystérieuse découverte liée à l’élevage de papillons, puis dans le pur engrenage du jeu.
Une jeune fille sans beaucoup de passé et avec moins encore d’avenir s’attache à lui. Son Antigone a pris le pseudonyme de Venezzia Mestre. Pourquoi pas ? Il fallait bien que cela sonnât évidemment faux. Cette jeune fille a un demi-frère, un demi-escroc. Pour finir, ils se retrouvent dans un désert de pierres, décor de fin du monde ou d’avant le monde. Fin d’une trajectoire allant du « monde réel » (les bouteilles en plastique) à un autre « monde réel », celui de la métaphysique.
La tragédie passe ainsi par  des fragments d’images (les arcades de l’hôpital, et du théâtre), de texte déclamé. Cet Œdipe aveugle n’est pas pour autant plus clairvoyant, pas plus que ses deux partenaires : une vision moderne et désabusée d’un tragique sauvé par l’inexplicable « care » de la jeune fille.
Cette histoire confuse (l’auteur le revendique), on la suit pourtant, emmené par un beau film narratif, dans lequel s’incrustent des scènes de théâtre jouées par les mêmes – excellents- acteurs, avec une profondeur de champ inédite. Florent Trochel a travaillé pour et avec Joël Pommerat : la parenté saute aux yeux, mais ne l’empêche pas de mettre sa griffe très personnelle.
Dans une forme très soignée, il va vers un théâtre qu’on ose rarement faire, osant la déclamation (pour le personnage d’Œdipe Werner), le « trop dire », qui tranche avec un théâtre du dialogue sec. Cette qualité a son revers : certains crescendos, vocaux et musicaux, basculent dans le procédé et dans la machine à fabriquer de l’émotion. Et là, on n’adhère plus…
À voir, pour le plaisir critique, donc à la fois sensible et intellectuel, qu’on tire de cette représentation, et pour le Théâtre Paris-Villette,  dont l’existence est aujourd’hui menacée, qui offre de telles découvertes.

Christine Friedel

Théâtre Paris-Villette 01 40 03 72 23 –

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Archive pour juin, 2012

Guns ! Guns ! Guns !

Guns ! Guns ! Guns ! par le  Blitz Theatre Group.


Venu de Grèce,  le spectacle veut être «  une rétrospective délirante du vingtième siècle ». Six acteurs présentent les moments cruciaux qui ont marqué le siècle dernier : des guerres aux révolutions, des avancées techniques (invention de l’interrupteur ou premiers pas de l’homme sur la Lune) , aux événements culturels ( un long silence devient « un petit extrait des 4’38 de silence de John Cage ; King Kong mange la banane d’Andy Wahrol).
Cette fresque habite largement le vaste plateau nu du théâtre ; elle procède par annonces et arrêts sur image, le tout ponctué  de coups de feu, d’où le titre… Les acteurs , tour à tour narrateurs et personnages du grand livre de l’Histoire, manient humour et dérision ((Hitler en héros romantique!) et provoquent la participation du public qu’ils invitent à se lever pour écouter l’hymne de la Révolution d’Octobre ou pour applaudir à la chute du mur de Berlin.
Théâtre de tréteaux efficace et loufoque, conçu et ficelé avec les moyens du bord, constitué de matériaux hétérogènes et d’astucieuses trouvailles : un drapeau levé figure l’arrivée d’Hitler au pouvoir ou la Révolution russe ; d’une estrade improvisée fuse un discours, puis on passe à une scène de la vie quotidienne. La deuxième guerre mondiale est évoquée par l’apparition en cascade de fanions : les pays s’envahissent les uns le autres. Un avion miniature passe sur une carte, éclairé par un faisceau lumineux, et c’est la guerre du Viet Nam. On raconte l’avènement de la société de consommation  avec une ménagère des années cinquante qui passe l’aspirateur…
Le spectacle est né dans la foulée des émeutes de décembre 2008 à Athènes, et convoque «  les mouvements et les personnes qui ont essayé de changer le monde ».« Nous voulons soulever la question suivante : est –il possible de changer le monde et qui peut le faire ? Question brûlante aujourd’hui alors que la Grèce et l’Europe semblent si proches de l’impasse. » explique le Blitz Theatre Group. Question à suivre avec les prochains spectacles du groupe, programmé en 2012 au Festival d’Automne et dans d’autres festivals en France, en Normandie et, en 2013, à la Schaubühne de Berlin…

Mireille Davidovici


Chantiers d’Europe Théâtre de la Ville 4-17 juin 2012. T: 01-42-74-22-77

www.theatredelaville-paris.com

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Decouflé revisite Decouflé

Panorama de Philippe Decouflé



Decouflé revisite Decouflé PANORAMA%C2%A9ChristianBerthelotÇa commence en fanfare, avant même l’extinction des lumières de la salle, par un défilé de majorettes, perruques flamme et habits chamarrés, tout droit sorties de Shazam (1998),

Ce qui donne le ton de cette revue, où Decouflé revisite ses premières pièces, et nous offre un panorama de son parcours. Avec tout d’abord Vague Café qui lui valut en 1983 le prix du concours de Bagnolet, début d’une carrière polymorphe, mêlant petites formes et grandes parades, d’Albertville à Los Angeles en passant par le Crazy Horse et l’Opéra de Paris.
Malgré des transitions théâtrales parfois un peu bavardes entre les pièces, le spectacle nous entraîne dans une mosaïque de petites formes. Le public découvre ou retrouve l’énergie de cette danse. Une rigueur géométrique (Jump) que rompt des courbes et des entrelacs (Decodex- 1995)). Des costumes qui prolongent les corps, des jeux d’ombre et de lumière qui les découpent, un décor qui s’ouvre et qui se referme sur l’immensité de la grande halle, une musique qui oscille entre le rock et flonflons, humour, bonne humeur et poésie. Tout contribue au charme d’un spectacle bigarré et hétérogène.
Les corps décollent et s’enlacent au bout de cordes élastiques, dansent dans un halo de lumière contre ou avec des ombres chinoises. La scène se peuple de personnages étranges, de monstres et chimères arrachés à l’univers des rêves enfantins, d’automates inquiétants ou mutins. Ou bien elle se transforme par la magie du son et des éclairages en juke box géant. Et ça finit en chanson et castagnettes (Sombreros-2006), sur une photo de famille, comme pour marquer l’esprit de troupe que revendique le chorégraphe.
Il ne s’agit pas d’une rétrospective muséale mais d’une relecture de ses pièces, à la lumière de nouveaux interprètes, et imprégnée d’un regard distancié. « Un ensemble de variations sur d’anciennes formes… Au final c’est une création à part entière », écrit Philippe Decouflé.
En prime, avant le spectacle, on peut visiter l’exposition Opticon conçue par le chorégraphe et ses complices de toujours. Affiches, costumes, accessoires et éléments de décor, photographies, croquis, vidéos, carnets de notes… autant de repères dans un parcours nourri de l’univers du cirque, du mime, du théâtre, de la BD. Des installations interactives invitent le public à des expériences ludiques et interactives.Certains jours, un concert prolonge la soirée.

Mireille Davidovici

Grande Halle de la Villette du 6 juin au 1er juillet . Opticon : jusqu’au 15 juillet . Solo : du 4 au 14 juillet. T : 01-40-03-75-75 www.villette.com


Festival des caves

Festival des caves  conçu par Malanoche.

Le Théâtre de Montbéliard est en travaux, et l’heure de la décentralisation a donc sonné.  Son nouveau directeur, Yannick Marzin a repris le concept du festival des Caves inventé par Guillaume Dujardin.
Six spectacles sont présentés dans des caves les plus étranges, dans l’agglomération de Montbéliard : Jaz de Koffi Kwahulé mis en scène  de Guillaume Dujardin, After the end de Dennis Kelly, mise en scène d’Olivier Werner, Chronique d’un supra sensuel d’après Sacher Masoch ,mise en scène de  R. Patout et  Corvée de bois de Didier Daeninckx.

 

Trio de nuit,  textes de Paul Valéry, musiques de Ravel et Debussy  avec l’orchestre de Besançon, mise en espace de Guillaume Dujardin.

Nous sommes guidés à travers un dédale de galeries obscures et humides jusqu’à une salle bien éclairée tout au fond du fort de Monbard. Un violoniste , un violoncelliste , une pianiste et un acteur nous accueillent, et s’excusent pour la mauvaise qualité du piano électrique. Mais on est vite entraînés par  L’Abeille puis par  Le Cimetière marin de Paul Valéry proférés avec une belle intensité par Maxime Kerzanet, entrecoupés par une musique somptueuse de Ravel. “Ce toit tranquille où marchent les colombes…” ”la mer, la mer toujours recommencée”…”le vent se lève, il faut tenter de vivre…”. des bribes du célèbre  poème découvert il y a bien des années, reviennent en mémoire,…
Les Pas
, un  poème que nous avions oublié, s’imprime à nouveau avec une belle intensité. Les trois musiciens font résonner ces vers qu’on entend peut-être moins bien quand on ne les a pas appris, mais on goûte le plaisir de ces musiques splendides dans ce cadre étrange, surtout Le Pantum de Maurice Ravel, qui clôture la représentation.

Au sortir de ce lieu glacé, café, soupe chaude et petits morceaux de conté nous réchauffent avant d’aller voir le deuxième spectacle de la soirée.

Edith Rappoport


Bataille intime d’après Roland Topor.

Nous pénétrons dans une salle chauffée, un joli feu flambe dans le four à pain. Un homme en slip couché sur un grabat se lève, hurle et part vérifier la fermeture des portes veut confier les clefs à un spectateur. Un deuxième personnage surgit, lui aussi en slip: Bruno Bayeux et Sylvain.Groud s’affrontent dans une danse athlétique, s’habillent.
Le premier prend la parole : Je préfère le dire à tout le monde ici, plutôt qu’à la police”…et il raconte par le menu comment il a donné le premier coup de couteau dans la gorge d’un homme qui s’est mis à gargouiller et à vomir ! “J’pouvais pas le laisser comme ça, alors j’ai continué à frapper (…) alors il a fallu le découper” (…) j’ai jamais su découper le poulet ni le gigot (…) quand j’ai réussi à décrocher la tête, on aurait dit qu’il était creux (…) j’étais complètement dépossédé, viré à la porte de chez moi par ce sang, tout ce sang…”
Ce dialogue gore est superbement dansé par Sylvain Groud. Son alter ego comédien s’est aussi fait danseur avec une grande virtuosité. On est pétrifiés d’un rire presque gêné par cette boucherie sanglante rêvée par Topor. L’assassin et la victime ne sont-ils pas un seul et même personnage ?

 E.  R.

Fort de Monbart
www.ma-scenenationale.com

Klaus Michael Grüber

 

Klaus Michael Grüber – Ouvrage publié par le Théâtre National de Strasbourg.

Klaus Michael Grüber  dans analyse de livre Klaus-Michael-Grueber_illustrationAprès la soirée d’inauguration de l’Espace Klaus-Michael Grüber le 17 octobre 2010 à Strasbourg, Julie Brochen, directrice du TNS et Fanny Mentré, metteuse en scène, avec toute l’équipe du Théâtre, décident de publier un ouvrage accompagné d’un CD, illustré par les photos de Ruth Walz, consacré au grand metteur en scène allemand trop tôt disparu (1941- 2008). Lors de l’inauguration, nombre des amis artistes de Grüber se réunissent dans ce lieu portant désormais son nom; une occasion rêvée d’évoquer son travail, ou simplement d’être là pour la soirée de mémoire. Les interventions sont multiples et pertinentes, qu’il s’agisse de théâtre ou bien d’opéra. Que dire de Grüber, si ce n’est qu’il est l’un des grands metteurs en scène de la fin du vingtième siècle européen et du tout début vingt-et-unième, ses mises en scène faisant définitivement référence dans l’histoire du théâtre ? En France, on se souvient avec émotion de Bérénice de Racine avec la mystérieuse Ludmila Mikaël, avec Richard Fontana et Marcel Bozonnet, à la Comédie –Française (1984). Les images inoubliables sont revivifiées par les propos de Jean-Pierre Vincent, de Muriel Mayette, d’Éric Vigner et de Jean-Pierre Thibaudat. On se souvient également du Récit de la servante Zerline d’après Les Irresponsables de Hermann Broch aux Bouffes du Nord (1986) avec l’énigmatique Jeanne Moreau, en petite robe noire, coiffe et tablier blancs. André Marcon joue dans La Mort de Danton de Büchner au Théâtre des Amandiers de Nanterre (1989). Et André Wilms également, qui nous aide à retrouver le temps perdu dans le Faust Salpêtrière d’après Goethe à la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière (1975) et dans Le Pôle de Nabokov à la Schaubühne de Berlin (1996). Michel Piccoli quant à lui, a travaillé avec Grüber sur À propos des Géants de la montagne d’après Les Géants de la montagne de Pirandello au CNAD (1998). Les peintres Eduardo Arroyo et Francis Biras évoquent aussi leurs nombreuses collaborations avec Grüber ; de même, le scénographe et costumier Rudy Sabounghi. Quant à Luc Bondy, entre autres collaborations, il a co-produit Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès à l’Akademietheater de Vienne (2001). Et l’acteur allemand Bruno Ganz est un interprète privilégié dans les mises en scène de théâtre et d’opéra : Les Légendes de la forêt viennoise de Ödön von Horvath (1972), Les Bacchantes d’Euripide (1974), Mère blafarde, tendre soeur de Semprun (1995), Le Pôle de Nabokov (1996) et Oedipe à Colone de Sophocle (2003). Peter Stein encore, directeur de la Shaubühne de Berlin de 1970 à 1987, invite Grüber au sein de son équipe artistique, accompagnant les dramaturges Dieter Sturm et Botho Strauss, les comédiens Bruno Ganz, Edith Clever et Jutta Lampe. Enfin, Stéphane Lissner, directeur de la Scala de Milan, invite le metteur en scène allemand au Châtelet de Paris qu’il dirige pour y créer La Traviata, opéra de Verdi, sous la direction de Antonio Papano (1993). On peut lire encore les propos passionnés de Ellen Hammer, metteur en scène, longtemps assistante et dramaturge de Grüber. Pour illustrer l’ouvrage, des photos de Hannah Schygulla, de Angela Winkler, quelques musiques du violoniste et compositeur Ami Flammer, une lettre manuscrite du comédien Otto Sander et de Bruno Ganz. Avec le théâtre pour seul bagage, Grüber va de l’Italie à l’Allemagne en passant par la France où il s’arrêtera enfin, habitant de Belle-Ile-en-Mer, en proximité avec les mouvements de l’océan, les mouvements naturels de l’âme. Son monde est aussi celui de ses amis, les comédiens et les chanteurs, tous humbles mais serviteurs magistraux de la peinture, de la littérature, de la musique, de la philosophie et du théâtre. Un précieux compte-rendu de l’esprit et de l’art vivant d’un maître.

Véronique hotte

My secret Garden

My secret Garden, texte et mise en scène de Falk Richter, mise en scène de Stanislas Nordey.

My secret Garden mysecretgarden-300x195« J’ai tout de suite compris que c’était exactement cette écriture-là dont j’avais envie. Elle relevait autant d’une écriture proche du théâtre-documentaire, fais de fragments ancrés dans la vie, l’actualité et le politique, que des pièces de théâtre construites autour de personnages de fiction » dit Stanislas Nordey à propos de ce spectacle créé au Festival d’Avignon en 201. Deux ans après l’emballement de certains, cela donne quoi?
  Sur la grande scène nue, il y a au fond, un haut mur de huit mètres de long environ ,fait d’un empilement de caisses en aluminium, et sur chaque côté, des projecteurs sur pieds .Nordey , en survêtement bleu, seul face au public sur un long praticable/estrade,  les pieds bien campés au sol,  s’empare du  texte  remanié pour le théâtre de Richter, écrivain et metteur en scène allemand.  » Désolé, je n’ai pas de titre pour cette pièce », dit-il en préambule à cet interminable monologue de plus d’une demi-heure.
  L’écrivain y  parle  de l’époque nazie qu’ont vécue ses parents, mais aussi de la surveillance permanente qu’ils exerçaient sur sa vie personnelle en fouillant sa chambre; il parle aussi du pouvoir capitaliste et des  méfaits permanents du libéralisme économique qui empoisonne la vie sociale de ses contemporains. Il n’a aucune indulgence et pas de mots  assez durs pour dénoncer un mode de vie où tout est programmé et où les banquiers sont les maîtres absolus. Mais il  apprécie beaucoup la douce France avec ses arts, ses bons repas et Jean-Luc Godard.
  Mais, petit ennui et non des moindres, Nordey vitupère sans arrêt et,  par moments, sans que l’on comprenne pourquoi, se met à chuinter un  texte qui est  souvent conventionnel, et faussement provocateur, avec des audaces à un centime d’euro. Il faudrait être bien naïf pour penser que c’est la dernière avant-garde. Comme le son  qui nous parvient,  via son micro HF, est immonde, cela n’arrange pas les choses et c’est, passées les cinq premières minutes, d’ un ennui irréversible à couper au couteau.
  D’ailleurs,  Nordey/Richter le proclame: « Toute cela est ennuyeux et déprimant ». On ne le lui fait pas dire, et c’est très vite la première hémorragie de spectateurs ,dont le médecin de garde, qui ira sagement attendre  dans le hall.
Heureusement,  arrive alors sur scène Anne Tismer, que l’on avait pu déjà pu voir chez Ostermeier; l’actrice affublée d’une triste jupe à carreaux, réussit à réveiller un public passablement sonné par cette logorrhée engourdissante qui n’en finit pas de ne pas dire grand-chose. Anne Tismer a une indéniable présence dans une scène érotique: c’est sans doute le seul moment du spectacle où il y a un petit frémissement de vie.
  Puis arrive Laurent Savage; il parle, il parle même beaucoup, et en particulier  d’un jeune metteur en scène Stanislas Nordey qui va monter Lohengrin… Décidément, rien ne nous sera épargné, même pas cette vielle tarte à la crème du théâtre dans le théâtre. Seconde et plus forte hémorragie de public,  dont un homme qui part en sifflant  le spectacle. Nordey ne dit rien mais, cela se sent, il  accuse quand même le coup et  continue avec une énergie que l’on ne peut lui nier…
 On ne nous épargnera pas non plus un  film muet amateur (?)projeté sur le mur de métal ; ce sont des images  palichonnes de ville allemande, avec, de temps en temps le visage d’un petit garçon allemand. Peut-être celui de Richter lui-même. Drôlement  novateur comme idée!!! Et pour finir en beauté, Nordey va nous assommer définitivement avec une petite performance/ happening assez pathétique: avec Laurent Savage, il descendre les caisses du haut du mur, et  Anne Tsimer ira en disposer le contenu à l’avant-scène:  une série de robots ménagers. Puis Laurent Savage installe un barbecue électrique où vont griller trois  grosses saucisses. C’est-y-pas quand même gonflé et de la dernière avant-garde de faire cela, dans un théâtre officiel, tout proche de chez M. Hollande? Enfin, cela remplacera symboliquement la petite sauterie du 14 juillet à L’Elysée…
  En attendant que cela cuise, c’est comme dans les happenings, il faut bien s’occuper, et occuper aussi l’espace et le temps,  et  Anne Tsimer se verse un verre de vin qu’elle fait déborder! C’est Laurent Savage, en Français plein de savoir-vire, qui a débouché la bouteille!  Nordey a été bien éduqué et on a dû lui montrer ce gag (mais  c’était un verre de lait) dans Le Regard du sourd,  (1970) , spectacle mythique, du grand Bob Wilson.. .
Après encore  un autre monologue de Nordey, ce chef-d’œuvre du théâtre contemporain s’arrête un peu brutalement comme une performance. Mais il aura fallu attendre deux heures et quart. La vie est un long fleuve tranquille, avait déjà prévenu la Bible! Heureusement, la vie est quand même tout mais, en général,  moins ennuyeuse…

Une partie de la salle qui s’était déjà un peu vidée, applaudit quand même à  cette chose aussi prétentieuse que faussement provocatrice, et qui atteint les sommets de l’ennui qui  pourtant n’aura pas manqué cette  saison. Mais  on ne saura pas très bien quels sont les auteurs, de ce My secret Garden, puisque le programme mentionne d’abord Richter puis Nordey comme metteurs en scène. En tout cas,  comme dirait Jacques Livchine: trois mois de prison avec sursis!
  Mais si  vous voulez vous faire une idée de ce que peut être une fausse avant-garde estampillée pur porc Allemagne-France, arrivez avec 40 minutes de retard, le temps  que le premier monologue soit fini (et seulement bien sûr, si vous avez une invitation), et restez-y un quart d’heure, le temps quand même de voir Anne Tismer, et  de contempler les saucisses en train de cuire mais  en ayant toujours en mémoire l’impérissable  phrase de Nordey: « Le matériau final est comme un arbre avec Falk comme tronc et racines, et les personnages d’Anne, Laurent et moi, comme prolongements ».  Il fallait oser l’écrire!
  Côté Richter, aller voir plutôt l’exposition de l’autre Richter (Gerhard) à Pompidou, ou bien allez rire un bon coup dans la petite salle du Rond-Point avec Patrice Thibaud, vous  serez au moins sûr de ne pas perdre votre soirée!

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point jusqu’au 24 juin

Le Fils

Le Fils de Jon Foss, traduction de Terje Sending, mise en scène de Jacques Lassalle.

Le Fils LE-FILS-M.Aumont-C.Hiegel-Photo-dunnara-MEAS-DSC_0130-bdJacques Lassalle met au jour la saveur éloquente et légèrement acide de cette pièce sombre et lunaire.  C’est  un huis-clos tiré au cordeau qui s’installe entre un père et une mère, couple mature, tonique et désenchanté, comme il sied à nos temps post-modernes, êtres miniaturisés dans le cadre dressé d’un paysage tourmenté de falaises et de cavernes, évoquées par les fresques  de Jean-Marc Stehlé  qui interprète aussi  un voisin alcoolique. Elle et lui (magnifiques Catherine Hiégel et Michel Aumont), écrasés et éprouvés devant les hauteurs naturelles des reliefs nordiques sont pourtant grands et intenses dans l’âme, responsables à jamais d’un fils qui ne vient plus guère rendre visite à leur solitude.
  Ce fils (Stanislas Roquette) arrive toutefois un jour, sans qu’on n’en sache davantage sur lui… Mauvaises fréquentations, délinquance, fêtes à l’excès,  ou bien simplement musicien fidèle à son art qu’il ne peut exprimer que dans les bals du samedi soir ? Les spectateurs, comme les parents, ne pourront élucider ce mystère existentiel qui fait la marque de fabrique de chacun, marque d’autant plus fragile et douloureuse dans sa récente inscription que le sujet est jeune.
  Et c’est là que la faille s’inscrit dans les gouffres du temps, les écarts de générations, les vertiges que déchaînent les changements d’époque, les variations d’humeur, les sautes de point de vue et les renouvellement des valeurs bousculées, que l’on croyait figées à vie ou reliées à sa seule compréhension du monde. Jon Fosse invite à cette réflexion sur le sentiment d’être, une expérience humaniste à l’écoute de l’autre, différent et encore soi-même, que l’on soit jeune ou vieux.
  Le fils apprendra la leçon au cours d’une existence qui s’ébauche et dont il serre jalousement auprès de lui l’énigme farouche et coupante pour le milieu parental blessé. Comme à son habitude, Lassalle tient de main de maître les ressorts d’une morale de vie lourde, riche et belle à la fois qui s’engage loin dans l’épreuve absolue, cette sensation simple du temps qui passe avant l’échéance définitive mais lointaine encore.

Véronique Hotte

Le Fils de Jon Fosse, traduction Terje Sinding, mise en scène de Jacques Lassalle, Théâtre de la Madeleine jusqu’au 15 juin 2012.

Vente de Folie

Vente de Folie

Vente de Folie dans actualites FBA un moment où les hommes politiques, plus déprimants les uns que les autres, vous demandent de renforcer leurs pouvoirs en déposant votre bulletin de vote, on pourra revivre la frivolité et le superflu des Folies-Bergère, aussi léger qu’une plume, à l’occasion de l’exposition-vente qui aura lieu dans l’ancien temple de la finance, le Palais Brongniart à Paris. Des crinolines, des robes à paillettes: en tout,  6000 costumes, mais aussi  des affiches, des programmes de spectacle, des dessins d’Erté (estimés de 500 à 2.000 euros), et des partitions musicales seront donc mis en vente.
Mes Nuits sont plus belles que vos jours de Raphaëlle Billetdoux, est en quelque sorte le résumé de la vie d’Hélène Martini, ancienne directrice de cabarets parisiens et maîtresse du lieu de 1974 à 2011 qui met donc en vente son patrimoine. Durant trois jours, le public pourra venir respirer l’âme d’un lieu unique, dont  la scène accueillit Maurice Chevalier, Mistinguett, Fernandel ou l’unique Joséphine Baker qui, en 1926, y fit scandale en dansant habillée d’une simple ceinture de bananes.
Corsets, chapeaux, chaussures fabriqués à la main sont accessibles dès vingt euros. L’exposition se poursuivra pendant la vente; ce qui nécessitait un grand et bel espace, d’où le choix de l’ancien Palais de la Bourse. Jules Renard disait « Ajoutez deux lettres à Paris: c’est le paradis »; les Folies-Bergère faisaient partie de ce lieu mythifié par les poètes il y a bien longtemps …

Jean Couturier

Palais de la Bourse du 8 au 11 juin
http://www.art-et-communication.fr

Fatzer Framents

Getting Lost Father de Bertolt Brecht mise en scène de Fabrizio Arcuri

  Fatzer Framents fatzer1_2_Le spectacle est présenté dans le cadre des chantiers d’Europe-cette année: Grèce et Italie-un belle initiative d’Emmanuel Demarcy-Motta; il résulte d’un travail qui a réuni le Teatro Stabile de Turin et la Volksbühne am Rosa-Luxemburg Platz à partir d’une pièce de Brecht La Chute de l’égoïste Johann Fatzer, plus connue sous le titre de Fragment Fatzer qu’ Heiner Muller considérait avec beaucoup de respect. Ce texte écrit par Brecht entre 1926 et 1931 et laissé à l’état d’ébauche,   ne deviendra jamais une véritable pièce épique. A mi-chemin entre la théorie et la pratique théâtrales, s’il ne possède pas de véritable narration, pas de fable qui serait garante d’un sens, il  est parfois d’une belle violence poétique et  peut être un tremplin pour parler de théâtre et politique, et pour repenser une autre forme dramatique. Avec, en toile de fond, la tragédie grecque. Mais Brecht  accorde ici une grande importance à la représentation donc au jeu des comédiens qui vont alors  constituer le spectacle comme une sorte de rituel et qui lui donneront donc tout son sens.
Ce qui, quelque 40 ans avant, de façon tout à fait prémonitoire, préfigure déjà ce que l’on appellera le happening puis la « performance » qui auront influencé une bonne partie du théâtre contemporain, que ce soit aux Etats-Unis, en particulier avec le Living Theatre, dirigé par Julian Beck et Judith Malina. Rappelons que celle-ci sous l’influence de Brecht,  via son professeur, le metteur en scène de  Piscator,  a toujours prôné l’abandon des formes narratives traditionnelles. La boucle était bouclée avec un théâtre qui se ferait essentiellement dans l’instant même où il serait joué.
Autrement dit, pas d’invention possible de nouvelles formes théâtrales sans un jeu qui ne produirait pas de véritable sens. Ce qui était tout à fait novateur dans le théâtre moderne…

  Fatzer a comme point de départ, la  désertion de quatre soldats en 1918 qui vont alors se cacher à Mülheim dans la Rühr où ils attendent une révolution qui tarde à venir; le plus intelligent mais aussi le plus égoïste des quatre, c’est Johann Fatzer. Pour essayer de trouver de qui nourrir ses camarades, Fatzer va les mettre en danger, faute impardonnable puisqu’il risquent fort d’être repérés. Il finira par être tabassé à mort par des policiers. Mais ses copains, comme cela avait été décidé en commun, feront semblant de ne pas le reconnaître et ne lui porteront donc pas secours.
  Reste, comme toujours, à recréer un texte, ou plutôt une ébauche de texte,  porté par une dimension esthétique et presque utopique, dont le metteur en scène devient ipso facto le co-écrivain… Fabrizio Arcuri a tenté de relier avec intelligence ce Fatzer à la situation socio-politique de l’Italie et de l’Europe qui vit  des heures décisives, et l’on a bien  conscience qu’aucun des pays concernés ne pourra faire l’économie d’une profonde remise en question, qu’il y a aura désormais un avant et un après, même s’il n’est pas directement touché.
Le spectacle commence plutôt mal: sur le plateau vide,  une vieille fausse carcasse de voiture est retournée avec fracas, envahie de fumigènes que viennent éteindre deux pompiers avec deux lances  à eau qui font un bruit d’enfer, tandis que deux écrans montrent  un incendie et des images en direct et en gros plan du visages des comédiens, munis de de micros H.F. qui , ensuite, vont aller discuter avec le public dans la salle éclairée… Peu crédible et surtout pas très nouveau!
Deux autre petits-trop petits- écrans diffusent la traduction du texte de Brecht, tandis qu’un  orchestre, percussion, clavier, basse (Luca Bergia et Davide Ameodo) accompagnent, avec beaucoup d’efficacité les images. C’est bien propre mais assez conventionnel: c’est ce qu’on voit un peu partout depuis déjà une bonne vingtaine d’années, et un peu prétentieux.Il y a déjà un hémorragie de spectateurs qui, visiblement, n’y trouvent pas leur compte et qui s’ennuient. Malgré la beauté de la langue italienne…

   Et il faudra attendre une bonne heure pour que les choses évoluent positivement, surtout à partir du moment  où Alessandra Lopano, qui possède une belle présence,  entre en scène ou plutôt dans un des trois cubes/cellules de jeu  qui tournent sur eux-même. C’est une réussite scénographique incontestable, qui apporte beaucoup au spectacle. Explosions, coup de feu: Fabrizio Arcuri sait créer la surprise et réveiller le public qui a tendance à somnoler: s’il y a de beaux moments, et même si les comédiens font leur boulot, il faut souvent se pincer pour croire à ces scènes de violence, comme ce tabassage mal réglé.
On peut penser que c’est  parfois comme une sorte de parodie-la marge de manœuvre dans la mise en scène est importante avec ce type de texte  mais ces deux heures et quart, même bien réglées, paraissent quand même  longues et souvent répétitives..

  Alors à voir? Oui, malgré ces réserves,c’est toujours bon, pour des professionnels, de voir ce qui se passe chez nos voisins les plus proches et qui ont tous les deux un grand passé théâtral. Mais, ici, la gestion du temps, en partie sans doute à cause d’un indispensable surtitrage et d’une sur-dose sonore dûe aux micros H.F., n’est pas vraiment convaincante.Et ce qui aurait pu être, en une heure et quelque un spectacle fort et dur,  donne souvent l’impression que le metteur en scène, en deux heures et quart, va un peu à la ligne… Mais les étudiants en théâtre et arts de la scène pourront aussi y trouver matière à réflexion: Brecht décidément, soixante ans après sa mort, n’en finit pas de nous surprendre!

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses les 6 et 7 juin donc ce soir!

Swan

Swan de Luc Petton

Konrad Lorenz, fondateur de l’éthologie, quand il travaillait avec des oisillons et des canetons, décrit en 1930 le phénomène dit d’empreinte ou d’imprégnation. Au moment de sa naissance, en l’absence de sa mère naturelle et  grâce à des stimuli sonores et visuels, l’oiseau prend comme mère de substitution tout être vivant à proximité de son œuf.
On peut voir dans  les films tournés par le zoologue, le montrant avec des oisillons qui le suivent comme une mère. Ce phénomène s’estompe quand l’animal devient mature sexuellement. C’est ce  que Jacques Perrin a montré dans  Le Peuple migrateur, et que Luc Petton nous montre aussi dans Swan. Il a réuni six danseuses et sept cygnes, chacune des danseuses a suivi la naissance et la croissance des jeunes cygnes.
Une belle aventure qui,  malheureusement, sur scène est un peu décevante. Il faut attendre 45 minutes avant que cinq cygnes blancs, accompagnés des danseuses occupent le plateau avec une relative liberté. Auparavant, sur une musique électronique et avec, au saxophone, en direct, le compositeur Xavier Roselle, se succèdent des danses qui  peuvent  rappeler les mouvements naturels des cygnes.
Au début du spectacle, un cygne noir batifole sur l’eau avec une des danseuses dans une vasque assez laide.  Puis, dans  le fond de scène, un plan d’eau illuminé  accueille deux cygnes noirs et des danseuses qui glissent  dans l’eau comme  Ophélie après son suicide. Bien sûr, le travail avec un animal sur le plateau est difficile, mais on peut s’étonner de la nécessité pour les danseuses de devoir nourrir en permanence ces  oiseaux “ imprégnés”, comme le ferait n’importe quel dresseur de cirque ! L’ensemble casse l’harmonie naturelle qui pourrait exister entre danseuses et cygnes.
Malgré ces réserves, c’est un spectacle audacieux et on peut rendre hommage au travail de Luc Petton et des danseuses qui seront, elles,  imprégnées à vie  par cette expérience.

Jean Couturier

Théâtre National de Chaillot jusqu’au 14 juin.

http://www.dailymotion.com/video/xirlnc

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