My secret Garden, texte et mise en scène de Falk Richter, mise en scène de Stanislas Nordey.
« J’ai tout de suite compris que c’était exactement cette écriture-là dont j’avais envie. Elle relevait autant d’une écriture proche du théâtre-documentaire, fais de fragments ancrés dans la vie, l’actualité et le politique, que des pièces de théâtre construites autour de personnages de fiction » dit Stanislas Nordey à propos de ce spectacle créé au Festival d’Avignon en 201. Deux ans après l’emballement de certains, cela donne quoi?
Sur la grande scène nue, il y a au fond, un haut mur de huit mètres de long environ ,fait d’un empilement de caisses en aluminium, et sur chaque côté, des projecteurs sur pieds .Nordey , en survêtement bleu, seul face au public sur un long praticable/estrade, les pieds bien campés au sol, s’empare du texte remanié pour le théâtre de Richter, écrivain et metteur en scène allemand. » Désolé, je n’ai pas de titre pour cette pièce », dit-il en préambule à cet interminable monologue de plus d’une demi-heure.
L’écrivain y parle de l’époque nazie qu’ont vécue ses parents, mais aussi de la surveillance permanente qu’ils exerçaient sur sa vie personnelle en fouillant sa chambre; il parle aussi du pouvoir capitaliste et des méfaits permanents du libéralisme économique qui empoisonne la vie sociale de ses contemporains. Il n’a aucune indulgence et pas de mots assez durs pour dénoncer un mode de vie où tout est programmé et où les banquiers sont les maîtres absolus. Mais il apprécie beaucoup la douce France avec ses arts, ses bons repas et Jean-Luc Godard.
Mais, petit ennui et non des moindres, Nordey vitupère sans arrêt et, par moments, sans que l’on comprenne pourquoi, se met à chuinter un texte qui est souvent conventionnel, et faussement provocateur, avec des audaces à un centime d’euro. Il faudrait être bien naïf pour penser que c’est la dernière avant-garde. Comme le son qui nous parvient, via son micro HF, est immonde, cela n’arrange pas les choses et c’est, passées les cinq premières minutes, d’ un ennui irréversible à couper au couteau.
D’ailleurs, Nordey/Richter le proclame: « Toute cela est ennuyeux et déprimant ». On ne le lui fait pas dire, et c’est très vite la première hémorragie de spectateurs ,dont le médecin de garde, qui ira sagement attendre dans le hall.
Heureusement, arrive alors sur scène Anne Tismer, que l’on avait pu déjà pu voir chez Ostermeier; l’actrice affublée d’une triste jupe à carreaux, réussit à réveiller un public passablement sonné par cette logorrhée engourdissante qui n’en finit pas de ne pas dire grand-chose. Anne Tismer a une indéniable présence dans une scène érotique: c’est sans doute le seul moment du spectacle où il y a un petit frémissement de vie.
Puis arrive Laurent Savage; il parle, il parle même beaucoup, et en particulier d’un jeune metteur en scène Stanislas Nordey qui va monter Lohengrin… Décidément, rien ne nous sera épargné, même pas cette vielle tarte à la crème du théâtre dans le théâtre. Seconde et plus forte hémorragie de public, dont un homme qui part en sifflant le spectacle. Nordey ne dit rien mais, cela se sent, il accuse quand même le coup et continue avec une énergie que l’on ne peut lui nier…
On ne nous épargnera pas non plus un film muet amateur (?)projeté sur le mur de métal ; ce sont des images palichonnes de ville allemande, avec, de temps en temps le visage d’un petit garçon allemand. Peut-être celui de Richter lui-même. Drôlement novateur comme idée!!! Et pour finir en beauté, Nordey va nous assommer définitivement avec une petite performance/ happening assez pathétique: avec Laurent Savage, il descendre les caisses du haut du mur, et Anne Tsimer ira en disposer le contenu à l’avant-scène: une série de robots ménagers. Puis Laurent Savage installe un barbecue électrique où vont griller trois grosses saucisses. C’est-y-pas quand même gonflé et de la dernière avant-garde de faire cela, dans un théâtre officiel, tout proche de chez M. Hollande? Enfin, cela remplacera symboliquement la petite sauterie du 14 juillet à L’Elysée…
En attendant que cela cuise, c’est comme dans les happenings, il faut bien s’occuper, et occuper aussi l’espace et le temps, et Anne Tsimer se verse un verre de vin qu’elle fait déborder! C’est Laurent Savage, en Français plein de savoir-vire, qui a débouché la bouteille! Nordey a été bien éduqué et on a dû lui montrer ce gag (mais c’était un verre de lait) dans Le Regard du sourd, (1970) , spectacle mythique, du grand Bob Wilson.. .
Après encore un autre monologue de Nordey, ce chef-d’œuvre du théâtre contemporain s’arrête un peu brutalement comme une performance. Mais il aura fallu attendre deux heures et quart. La vie est un long fleuve tranquille, avait déjà prévenu la Bible! Heureusement, la vie est quand même tout mais, en général, moins ennuyeuse…
Une partie de la salle qui s’était déjà un peu vidée, applaudit quand même à cette chose aussi prétentieuse que faussement provocatrice, et qui atteint les sommets de l’ennui qui pourtant n’aura pas manqué cette saison. Mais on ne saura pas très bien quels sont les auteurs, de ce My secret Garden, puisque le programme mentionne d’abord Richter puis Nordey comme metteurs en scène. En tout cas, comme dirait Jacques Livchine: trois mois de prison avec sursis!
Mais si vous voulez vous faire une idée de ce que peut être une fausse avant-garde estampillée pur porc Allemagne-France, arrivez avec 40 minutes de retard, le temps que le premier monologue soit fini (et seulement bien sûr, si vous avez une invitation), et restez-y un quart d’heure, le temps quand même de voir Anne Tismer, et de contempler les saucisses en train de cuire mais en ayant toujours en mémoire l’impérissable phrase de Nordey: « Le matériau final est comme un arbre avec Falk comme tronc et racines, et les personnages d’Anne, Laurent et moi, comme prolongements ». Il fallait oser l’écrire!
Côté Richter, aller voir plutôt l’exposition de l’autre Richter (Gerhard) à Pompidou, ou bien allez rire un bon coup dans la petite salle du Rond-Point avec Patrice Thibaud, vous serez au moins sûr de ne pas perdre votre soirée!
Philippe du Vignal
Théâtre du Rond-Point jusqu’au 24 juin