Au bord de l’eau de Shi Nai-An par l’Ecole de l’Opéra de Pékin.
Une partie de go entre deux acteurs-narrateurs, ouvre le spectacle, sorte de préambule pédagogique à l’intention du spectateur : on apprend du premier (Gilles Arbona), que le roman chinois de Shi Nai-An, traduit par Jacques Dars, Au bord de l’eau, a des millions de lecteurs, en Chine comme dans d’autres pays de la région. Cette véritable saga d’une centaine de chapitres, a pour titre intégral Chroniques de loyauté et de justice aubord de l’eau. L’expression Au bord de l’eau signifiant : prendre le maquis, se cacher, devenir un bandit. On apprend du second acteur qui joue en mandarin sur-titré, l’histoire de l’école de l’Opéra de Pékin, avec son exigence, son formatage, sa discipline.
Patrick Sommier et Pascale Wei-Guinot, concepteurs du spectacle ont mêlé, de façon très intéressante, la notion de transmission et d’apprentissage, le fonctionnement de l’école de l’Opéra de Pékin à la représentation d’un spectacle. « Le métier d’acteur s’apprend ici comme celui de forgeron ou de menuisier », écrit Patrick Sommier. C’est un métier manuel. Avec les mains, il faut savoir dire 3000 mots, avec les pieds, les 360 façons de marcher, avec les bras, arrêter un cheval, lancer une armée au galop et dire la couleur des bannières ennemies, avec les yeux, faire éclater l’orage et compter les gouttes d’eau qui vous tombent sur le crâne, avec les jambes dire la hauteur des remparts. Il faut chaque matin travailler la voix, se faire un corps d’athlète, savoir le maniement du sabre et de la hallebarde, connaître cent pièces du répertoire, les dix mille pages des grands romans, Au Bord de l’Eau ou Les Trois Royaumes ».
Des tableaux qui ressemblent dans l’esprit à des travaux en cours font alterner les entraînements physiques, dansés et chantés des jeunes élèves de l’école, garçons et filles âgés de dix à vingt ans, à d’autres tableaux issus d’ Au bord de l’eau : Histoire du fantôme de Pexi, Histoire de Sagesse profonde le bonze tatoué, Histoire de Likaï le tourbillon noir, Histoire de Lei Wang le tigre volant…
Côté cour, un orchestre d’une dizaine de musiciens ponctue l’action de ses percussions, flûtes et hautbois. Les claves posent des repères et accompagnent les entraînements. Les danseurs saluent les musiciens en fin de tableau. Côté jardin, tables de maquillage et grands miroirs accentuent la notion du théâtre dans le théâtre. On suit la séance de maquillage d’un jeune acteur dont le visage s’affiche sur grand écran, en fond de scène.
Danses, combats au bâton ou à l’épée, acrobatie virtuose avec sauts périlleux, saltos avant et arrière, chorégraphies au cordeau, sous le regard d’un professeur-censeur. Rythme, vitesse d’exécution, simplicité et discipline caractérisent le travail de ces élèves de l’école de l’Opéra de Pékin.Les démonstrations alternent avec les séquences narratives, burlesques ou bouffones, romantiques parfois, toujours très colorées. Chapeaux, barbes, artifices, sens des couleurs, probablement codifiées : vert, jaune, rouge, blanc… Trois mousquetaires, sorte de Frères Jacques, s’entraînent sous l’impulsion donnée par le maître.
Les femmes ont des voix haut perchées, tradition oblige, cothurnes aux pieds. Avec juste quelques éléments de décor : arbres et murs en plastique, rochers de polystyrène. Concours de force, entraînement d’une quinzaine de danseurs devant le maître au regard sévère, entrainement vocal, apprentissage de l’épique. A la grâce des femmes, réplique la force des hommes. Tout est parfaitement réglé, chacun connaît sa place.
Les séquences se succèdent : deux vieux acteurs chinois se remémorent leur entrée à l’école, sur fond de ciel étoilé. Nostalgies ? Le premier : « Ma mère ne voulait pas que je sois acteur, car on battait les enfants. Sept ans de prison, disait-on ». Le second : « J’ai été voir les résultats en cachette, j’avais le numéro 410, j’avais préparé mes papiers, pliés dans mon mouchoir ». Moustiques, sueurs, souffrances, sont aussi rangés dans l’album des souvenirs. Un calligraphe, pinceau à la main, dessine une page d’idéogrammes avec dextérité, de haut en bas et, à l’ancienne, de droite à gauche, image reprise sur grand écran dont les mots sont traduits.
Sung Jian, héraut de justice, signe un poème : Enfant, j’ai étudié les classiques, adulte, j’ai rêvé de puissance et de gloire. Une danseuse à l’épée, guerrière, présente un solo, comme les images de propagande d’un temps pas si lointain, ou une audition pour sélection. La fin du spectacle oublie ce rapport maître/élèves et nous mène dans un kitch presque parfait : photo touristique sur petit pont de bois, lanternes rouges qui tombent du ciel, Nouvel An chinois version Paris XIIIème avec masques et échasses, strass et paillettes, scènettes de salon où la servante, beauté en fleurs, est à marier. Le comédien revient, pour une lecture au pupitre : « C’est dans la conversation que nous trouvons notre bonheur ». Le nôtre est flottant.
Mais si « une minute sur scène, c’est dix ans de travail » comme le dit le programme, alors, restons admiratif !
Brigitte Rémer
MC 93 Bobigny – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis du 22 au 27 mai 2012