Le Maître et Marguerite

 

Le Maître et Marguerite de Mikhail Boulgakov mise en scène de Simon McBurney (en anglais surtitré en français)

Le Maître et Marguerite boulgakov » Et le Maître et Marguerite virent se lever l’aube promise … Elle succéda immédiatement à la pleine lune de minuit. Le Maître marchait avec son amie dans l’éblouissement des premiers rayons du matin, sur un petit pont de pierres moussues. Ils le franchirent. Le ruisseau resta en arrière des amants fidèles, et ils s’engagèrent dans une allée sablée. »
C’est avec ces phrases que l’auteur décrit une partie de la fin de son roman écrit de 1928 à 1940, année de sa mort. Un roman qui suscite toujours autant de controverses en Russie quant à l’interprétation de sa fin.
Pour sa mise en scène dans la cour d’honneur, Simon McBurney parle d »un roman sans conclusion, en ouverture, bien que son impressionnante scène finale soit inscrite dans un sens déterminé et marquera la mémoire du public. Il faut attendre 1973 pour que paraisse le livre en URSS et 1977 pour que le théâtre de la Taganka de Moscou l’adapte sur scène dans une mise en scène de Lioubimov. Auparavant les Polonais l’avaient déjà adapté  et Krystian Lupa l’avait montée en 2003 sur une durée de huit heures…
Ce roman complexe a trois histoires mêlées, et c’est à la fois une critique politique, sociale et un conte fantastique. Il associe la ville de Moscou rendue dangereuse par Satan sous les traits du professeur Woland et de sa bande dont le chat noir géant Béhémoth, le procès et la crucifixion du Christ et une touchante histoire d’amour entre Marguerite et le maître, le professeur.  Simon McBurney a réalisé une exceptionnelle adaptation d’une belle fluidité dans l’enchainement des scènes, ce qui améliore la compréhension de la fable. L’espace scénique de la Cour d’honneur est utilisé dans toute sa majesté et le mur devient un véritable personnage du récit, à la fois figure des différents lieux de l’action, support de projections vidéos et témoin de la fracture progressives des âmes.
Ces projections associées à la sonorisation de l’espace et des comédiens donnent une dimension cinématographique à cette mise en scène. L’ensemble du jeu d’acteurs est très juste, en particulier, Paul Rhys, (le professeur Woland), Tim McMullan (Pilate), Cesar Sarachu (Jésus) et Sinéad Matthews (Marguerite).
Dans la dernière partie de ce  spectacle de trois heures, où c’est la première fois sans doute que l’on entend de l’anglais dans la célèbre Cour d’honneur, Marguerite nue, transformée en sorcière pour pouvoir rejoindre son amant au bal de Satan, apporte par sa présence une réelle  émotion à la pièce. Auparavant, les scènes se succèdent avec intelligence  et humour mais, disons, sans excès de sensibilité…C’est d’ailleurs un des petits reproches que l’on peut faire à ce travail.
Le découpage très cinématographique fait un peu disparaître la dimension émotionnelle  de ce qui reste quand  même un roman russe! Même si le public semble très heureux à la fin de la représentation. La Russie est évoquée par le récit, mais la part slave de controverse, de mystère et de passion est un peu absente du spectacle. Pour les Russes en effet, ce roman est l’objet d’un véritable culte, et  les deux musées Boulgakov de Moscou sont les témoins d’actualités nouvelles permanentes. Les Russes s’y rendent en pèlerinage culturel, et les murs des escaliers du cinquième étage du 10 de la rue Sadovaîa (qui est d’ailleurs l’un des lieux d’action du roman et où a habité  Boulgakov de 1921 à 1924) sont maculés de graffitis évoquant le roman et ses différentes histoires.
Cette adaptation  a demandé un travail énorme au metteur en scène et à la troupe anglaise du théâtre de Complicité, mais le pari est réussi, seuls peut-être nos amis russes, et slaves en général, sont sortis de la Cour d’honneur avec un petit manque.


Jean Couturier

 Festival d’Avignon. Cour d’Honneur du Palais des Papes jusqu’au 16 juillet.


Archive pour 15 juillet, 2012

Un jeune se tue

Un jeune se tue de Christophe Honoré, mise en scène de Robert Cantarella.

Un jeune se tue  honor%C3%A9Le texte du spectacle a fait l’objet d’une commande à l’auteur par l’École de la Comédie de Saint-Etienne, à l’occasion de ses trente ans d’existence.  Dans une des très belles salles du premier étage du cloître Saint-Louis, deux rangées de gradins pour une cinquantaine de spectateurs sagement alignés. Sur un sol de tourbe, des débris et un siège qui ont appartenu à une voiture, et plus loin, sur le côté, un canapé noir et une table basse en verre où est posé un ordinateur. Dans le fond, une grande table où l’on devine des jeunes gens en train de travailler. Un jeune homme barbu, en complet noir et cravate, ratisse doucement la tourbe puis l’arrose avec un vaporisateur de jardin, pendant que le public arrive.
Ariane, vient de perdre sa sœur  Gaëlle, morte dans un accident de voiture sur une route de campagne une nuit d’été -fait divers malheureusement d’une grande banalité- et on aperçoit son corps allongé sous un siège de voiture. Il y a aussi, Laura et Alice, ses amies; on voit Gaëlle arriver, le bras arraché, couverte de sang. Un garçon actionne un appareil à fumigène et les raies de lumière de deux projecteurs traversent cette brume artificielle.
   Deux garçons et une fille apportent un bouquet de fleurs blanches, un  portrait de Gaëlle, deux  nounours et un petit rosier rouge en pot, à l’endroit où va être enterrée Gaëlle, et on entend aussi la voix de sa mère au téléphone : c’est plutôt réussi dans le genre et cela fait un peu installation, et ne déparerait pas dans un musée d’art contemporain.  Et comme en écho au magnifique hommage rendu à sa mère par Sophie Calle dans l’église des Célestins deux cent mètres plus loin. Décidément cette année au Festival, la mort est au rendez-vous… Dans une sorte d’exorcisme, ces jeunes filles disent souvent: putain, merde, salope… Une fille séduit un garçon sur le canapé noir et lui fait l’amour. Il y a aussi quelques projections d’images. A un moment, les personnages enfilent tous un tee-shirt où est imprimé le visage de Gaëlle. Bon…
Le jeune homme barbu  revient avec plusieurs grandes feuilles de portrait de Gaëlle. Un autre raconte, dans un beau monologue, une histoire d’amour compliquée qui lui est arrivée il y a quelques années.
Un autre jeune homme complètement nu, se roule dans la tourbe. Gaëlle, avec de nouveau son bras intact, chante Barbara, avec presque la même  voix : « J’entends les clairons, le chant des amours mortes ». Belle émotion pour une pièce qui s’arrête plutôt qu’elle ne finit, un peu trop subitement.
  Il est difficile, et sans doute sans grande importance, de résumer cette fiction protéiforme, qui vole en éclats et où se mêlent: récit monologué, dialogues, instants de vidéo, moments de performance dans la mesure où le corps est aussi  sans cesse  en question, danse et  chant. Avec, comme dénominateur commun, la présence/absence de cette jeune fille disparue de la vie de ces jeunes gens.
  Sans que le résultat soit très convaincant: on n’a jamais l’impression d’avoir affaire à une texte vraiment fort mais plutôt à une sorte de démonstration.  » Cette pièce, dit Robert Cantarella,  est l’histoire de l’effort partagé en commun pour répondre à la souffrance d’une jeune fille en deuil ». On veut bien mais ce texte/collage a quelque chose d’assez prétentieux dans sa forme et vole un peu dans  tous les sens, comme si l’auteur avait eu peur de rater le train de la modernité.
Christophe Honoré a répondu, comme on l’a dit, à une commande, et ceci explique peut-être en partie cela, puisque il a dû tenir compte des contraintes imposées. Soit élaborer un scénario et écrire un texte pour un groupe de six comédiennes: Katell Daunis, Clémentine Desgranges, Kathleen Dol, Maud  Lefebvre, Lucile Paysant, Béatrice Venet et… seulement trois garçons: Arthur Fourcade, François Gorissen et René-Albert Turquois.  

 
Humbles et très justes, souvent émouvants, jusque dans le côté parfois un peu gauche de leur jeu, ils sont tous impeccables: aucune criaillerie, aucun cabotinage mais des voix bien posées, une diction et une gestuelle précise, une véritable unité et une solidarité dans le jeu: la mise en scène et la direction d’acteurs de Robert Cantarella qui les a dirigés sont sans concession aucune et d’une rare qualité. Pour un  travail de fin d’école, ce n’est déjà pas si mal et c’est même, dans le genre, une belle réussite; c’est  toujours en effet  la quadrature du cercle que de trouver la solution pour un « spectacle » de sortie d’école….
 C’est sans doute la dernière fois que ces très jeunes comédiens se retrouvent tous ensemble,  avant que la vie professionnelle ne les disperse, et, surtout à la fin, on n’a pas trop envie de les quitter. Et, quelles que soient les faiblesses du texte, ces quelque cent minutes passent vite.

Philippe du Vignal

Cloître Saint-Louis, Avignon, le 15 juillet à 15 h et à 19 h et le 16 juillet à 12h et à 15h. Gratuit sur réservation indispensable.

Le texte est publié chez Actes Sud-Papiers.

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