Du Vent dans les branches de sassafras de René de Obaldia, mis en scène de Céline Sorin
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René de Obaldia, 94 ans, est sans doute notre plus jeune et plus ancien dramaturge, et souvent traduit et joué en France comme à l’étranger. Et Jean Vilar avait monté Génousie en 1960…
Du Vent dans les branches de sassafras a été créé en 65 par René Dupuy au petit théâtre Gramont, près de l’Opéra-Comique-aujourd’hui devenu un salon de coiffure!- avec le grand Michel Simon, et tout près du restaurant où Marcel Proust avait ses habitudes.
L’immense acteur, adulé du public, lassé du rôle après plusieurs mois, avait abandonné, et René Dupuy lui avait, fait rarissime dans la profession, intenté un procès…Le spectacle est une sorte d’hommage aux films de western sur le mode burlesque et absolument déjanté. cette comédie parodique est compliquée (mais Obaldia adore cela!) et pleine d’humour; c’est l’histoire d’une famille de colons pauvres qui essayent de s’en sortir. Mais leur ranch va être bientôt encerclé par les Indiens…
Il y a là un vieux papa, assez buté et qui n’est pas du bois dont on fait les flûtes, une mère brave et chrétienne, un fils assez loubard, une fille charmante, une belle putain au cœur généreux, un médecin alcoolo, un cow-boy solitaire et des Indiens. Comme dans tout bon western mais quand Obaldia fait dans la parodie, il vise juste et bien.
Toute la famille est unie et solidaire devant le danger: la mort rôde mais chacun montre le meilleur de lui-même. Un papa résolu à se sacrifier, même quand sa femme avoue qu’elle lui a été infidèle, et une fille aussi prête à se dévouer… Comme le dit Céline Sorin: » La base de notre travail est de décrypter tous les rouages d’un bon film et de les poser sur un plateau. Nous avons tenté de moderniser le texte pour optimiser le rythme et le propos. »
Cela commence par une scène muette où chacun pose comme pour un portrait de famille, caricaturalement maquillé mais avec beaucoup de bonheur (poussière grise et ocre) et en costumes de grande classe (Marie-Ange Sorresina). Décor magistral à transformation signé Daniel Martin.
Les Dieux savent si nous râlons assez souvent dans ces colonnes contre des scénographies approximatives. Mais ces praticables, modules indépendants sur roulettes qui se ressoudent, et que les comédiens manipulent eux-même, pour figurer successivement l’extérieur, l’intérieur d’une maison ou d’un saloon, sont vraiment de qualité.
La mise en scène au rythme exemplaire et la direction d’acteurs sont d’une grande intelligence et Céline Sorin a donné à la bande-son de Samir Dib, une place essentielle qui accompagne le jeu des comédiens avec une rare efficacité. C’est une mise en scène théâtrale au second degré, voire au troisième, d’une sorte de film burlesque à souhait, mais tout en subtilités Et même dans les inévitables anachronismes, base même de la parodie, il utilise les figures habituelles du cinéma jusque dans le montage du spectacle.
Mais Céline Sorin ne triche pas: on est bien sur un plateau de théâtre. Et il y a des images d’une grande beauté, qui font parfois penser à celle qu’inventait le grand Tadeusz Kantor, comme cette scène où toute la famille regarde derrière une fenêtre. Ne rougissez pas de bonheur à cette comparaison, Céline Sorin: nous n’en rajoutons pas…Même si les genres ne sont pas les mêmes!
Et il y a une formidable unité de jeu et un plaisir d’être là des comédiens, en parfaite osmose avec le public de tout âge, ravi du délire total -ce qui est plutôt rare dans le in comme dans le off- qu’ils réussissent à imposer sur le plateau pendant une heure et demi. Grégory Benoit , Samir Dib, François Julliard, David Marchetto, Anne Mino, Yannick Rosset et Céline Sorin sont impeccables. La compagnie Fox d’Annemasse avait déjà créé un Volpone qui lui avait valu un beau succès un peu partout en France. Mais là il faut saluer la performance de cette mise en scène de cette pièce -sans doute la plus connue de l’auteur, parfaitement rodée et qui reçoit un accueil chaleureux. Le public a du mal à quitter la salle, remercie les acteurs et regarde, intrigué le démontage du décor, ce qui est toujours bon signe… Il existe donc aussi de très bons spectacles dans le off, loin de toute prétention et osons le mot: populaires.
Après tout, Obaldia, comme on l’a dit, avait été monté par Vilar. Et il aurait sans doute bien aimé ce Vent dans les branches de sassafras. Bref, allez-y sans faire la fine bouche: c’est le genre de spectacle, intelligent et vraiment drôle, que l’on aimerait découvrir aussi dans le in mais cette année, du moins, il faudra repasser…
Philippe du Vignal
Festival d’Avignon, Théâtre La Luna jusqu’au 29 juillet à 16h 35. T: 04-90-86-96-28