Un Ennemi du peuple
Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas Ostermeier, (en allemand surtitré en français).
C’est à un théâtre sans artifice que nous convie le metteur en scène, avec un texte certes adapté, mais qui garde tout son sens, une scène, des comédiens sans micro et… pas de vidéo.
Thomas Ostermeier redonne de la valeur à l’art du théâtre, tant dans sa forme que dans son contenu. Aux murs sur lesquels sont dessinés les éléments de décor, auquel s’ajoutent un canapé, quelques chaises et une table. Décor repeint en blanc au milieu du spectacle , comme pour mieux marquer le changement d’espace, puis maculé de couleurs qui le transforme en une véritable peinture contemporaine. L’action se déroule aujourd’hui. Les comédiens, tous très justes , répondent à une direction d’acteurs qui a fait la réputation du metteur en scène.
C’est une adaptation intelligente du texte d’Ibsen. La fable met en lumière le docteur Stockman qui vient de découvrir l’existence d’eaux souillées mettant en danger la population curiste d’une petite ville, qui a comme seul poumon économique, une station thermale! Il va affronter les autorités politiques locales (son propre frère est maire de la ville) ainsi que la presse (ses amis personnels), afin de pouvoir faire éclater la vérité.
Et pour dire cette vérité, une réunion publique est organisée, et quoi de mieux que le théâtre pour cette rencontre.
Grâce au théâtre justement, Thomas Ostermeier transforme l’espace de jeu, en un lieu de prise de parole publique, ou personnages et spectateurs peuvent s’exprimer et dialoguer. Deux traductrices servent d’intermédiaire.
Le docteur Stockman prend alors la parole derrière un pupitre et déclare, acclamé par le public: « Ce n’est pas l’économie qui est en crise, mais que c’est l’économie qui est la crise ». Ainsi, de la mise en jeu des intérêts financiers et politiques pour une question de santé publique, le comédien nous fait passer de son histoire à notre vécu d’aujourd’hui.
Les spectateurs vont prendre la parole en s’adressant aux personnages, et le comédien n’existe plus: Thomas Ostermeier a gagné son pari. Le docteur Stockman attaque l’hypertrophie du moi personnel de nos contemporains, « Ce qu il faut des prothèses pour tenir un moi », ainsi que la notion de famille judéo-chrétienne. Il met en évidence l’impossible coexistence des « moi » multiples et d’une vie en société démocratique.
Des spectateurs s’opposent à lui quand il parle de la notion de morale, et, à chaque moment, la parole est tendue. Bien sûr, les autres personnages participent aussi à la discussion. Cette prise de parole cesse par un subterfuge: le docteur Stockman est bombardé de peinture par ses opposants, et la pièce reprend son cours.
La fin du spectacle est ambigüe, puisque le médecin se retrouve dépositaire d’actions des thermes, et que son beau-père, le principal pollueur a racheté l’établissement au moment ou éclatait le scandale. Thomas Ostermeier souligne ici la difficulté de la coexistence, dans une démocratie, entre intérêts de santé publique et pouvoirs économiques, politiques et médiatiques. Mais il oublie la puissance du pouvoir judiciaire parfois d’ailleurs liés aux autres .
Il suffit de se souvenir et de relire la circulaire du 20 juin 1983 relative à la prévention du SiDA (D.G.S/3B num 569) signé par le Directeur général de la Santé de l’époque, qui alertait des risques de transmission du SIDA par transfusion sanguine. Cela se passait en France, il y a bien longtemps, et ce n’était pas une fiction. Rappelons-nous l’issue de cette affaire !
Jean Couturier
Festival d’Avignon , Opéra-Théâtre jusqu’au 25 juillet.