L’été en apesanteur
L’été en apesanteur, Fabrication, mise en piste et en musique : Kitsou Dubois et Fantazio
Il est, pour un soir, notre Monsieur Loyal, ce filiforme Fantazio qui porte si bien son nom et que sa contrebasse parfois écrase. Entre pince-sans-rire et loufoquerie, mi-auguste, mi-clown blanc, un vrai faux guide du Château de Petorhof. Cumul des mandats, à lui tout seul ! Au début, on se demande de quoi ça cause et si c’est bien à nous, public chéri, que ce discours s’adresse. Nous serions-nous trompés de salle ? Non non, c’est bien à la Coupole de la Cité U, c’est inscrit dans le programme Paris Quartier d’été… Alors on se cale et on lâche, prêts pour les hauts sommets. Attachez vos ceintures !
Verticalité, inertie, dépression, tout est état d’apesanteur. Nous flottons, la tête au carré, au fil des images tournées par Kitsou Dubois lors de ses expériences en vol, au Centre National des Etudes Spatiales ou avec la Nasa. Nous découvrons cette voleuse, étrange oiseau d’un univers scientifique où l’on perd ses répères et le sens des limites, où la gravité s’altère. Kitsou Dubois, chorégraphe et chercheuse en danse, explore aussi dans les eaux souterraines cette notion d’apesanteur, qu’elle communique sous forme d’installations vidéo, créations in situ, films documentaires, spectacles, et au fil des rencontres, tout en poursuivant ses recherches avec le milieu scientifique.
L’invitation à ce « voyage dans le subconscient » est plein de surprises et de poésie. Avec L’été en apesanteur, Kitsou Dubois puise son écriture chez de jeunes circassiens qui, comme elle, volent, ou font voler. Solos et duos sont d’une parfaite maitrise et de grande élégance :
Arabesques d’un duo de cordes (Pauline Barboux et Jeanne Ragu, dans Attraction 1) sculpte l’espace félin sur des sons lancinants, joue de déséquilibre et de lenteur. Beaucoup de grâce, dans la fonte des corps.
Jonglerie de lancer pour diabolo endiablé perçant le ciel, envolé rattrapé (Ici il y a… l’instant, de et par Jouni Ihalainen). Jeux de figures, virtuosité, rythme, inertie, vitesse de rotation.
Solo à la corde lisse (L’échappée, par Claire Nouteau, sur des images de Fabrice Croizé) et partenaire au contrepoids, bien au sol, impression de flottement, de liquide amniotique, de magma au centre de la terre.
Les musiques de Catman (aka DJ Shalom) aux claviers électroniques et sarabandes pour contrebasse, de Fantazio, sont un langage en soi et renforcent les sens. Elles structurent les moments et, comme les marées, montent et descendent, partenaires du voyage. Notre iconoclaste M. Loyal Fantazio y va aussi de la chansonnette ou du soliloque en castillan et conduit une savoureuse leçon de fessée, vérifiant auprès des spectateurs que la leçon est bien apprise, preuves à l’appui : quelques galopins de la salle testent alors le popotin de leurs parents, donnant, donnant.
Il faut un petit moment au spectateur pour mettre en marche sa « petite chambre de l’imagination » comme le dirait Kantor et ne pas mourir d’apnée, le temps de mettre le curseur sur l’hybride et la fantaisie. Cet été en apesanteur nous emmène dans les airs et sous l’eau, passant par le terre à terre en toute extravagance. Les visuels se fondent aux corps à l’envers, d’une légéreté inouïe, sur le plateau comme sur l’écran.
Kitsou Dubois et Fantazio jouent du détournement des codes, chacun à sa manière, l’une, chorégraphe des extrêmes, entre azur et abysses, l’autre, performeur des cordes, entre langue et terre. La rencontre entre les deux est pour le moins étonnante, on ne dira pas détonnante mais plutôt baroque. On sort avec une impression d’étrangeté, comme devant des enluminures qui auraient débordé de la page.
Brigitte Rémer
Paris Quartier d’été – Théâtre de la Cité Internationale, 17 Bd Jourdan. 75014.
Du 18 juillet au 5 août, Mercredi à samedi à 20h30, Dimanche à 17h.