Cavale, de Yoann Bourgeois
Quartiers d’été nous régale et se joue un air de grand Paris, en partenariat avec la ville de Pantin. L’art de dénicher les endroits qui sentent bon la tartine, sur fond de flânerie et grand air, l’art surtout de trouver le lieu magique qui fait chanter les spectacles, donc réjouit les spectateurs.
Ce jour-là, le rendez-vous est déjà toute poésie : au Chemin de halage, au bord du canal de l’Ourcq, pas difficile à trouver, après les Grands Moulins. Les berges parlent d’elles-mêmes, lieux pour dériver, par excellence. On se regroupe, assis au sol, autour d’un dispositif blanc, plate-forme et escaliers qui ne mènent nulle part. Pas de projecteurs, il fera jour encore. Derrière, l’ancien bâtiment des douanes laissé à l’expression d’artistes graffeurs, invite à la rêverie. Ces tâches de couleurs sont le début, nous dit-on, d’une fresque murale géante et collective, sur le thème de la ville.
L’accès au spectacle est gratuit, ce jour-là, un cadeau. Le silence se fait quand deux silhouettes, costumes noirs et tee-shirt blanc, entrent dans l’aire de jeu et montent les marches, avec lenteur. Nous sommes en contre-plongée. Un (Yoann Bourgeois) et son double (Mathurin Bolze), ou le contraire, se détachent dans le ciel et se cagoulent. Commence alors une valse à deux temps, sauvage et maîtrisée, de la chute et de son contraire, l’élévation, sur un trampoline inséré dans le dispositif. Apparitions, disparitions, sont saisissantes, métronomiques, ensemble ou en canon, en différé ou en quinconce, on dirait qu’il en pleut du ciel beaucoup plus que deux. On pense aux mannequins des toiles de Chirico, à sa « fabrique de rêve », ou sa « nostalgie de l’infini ». Mystérieux et mélancoliques, énigmatiques et métaphysiques, ces deux-là tentent de faire le mur.
Un texte tout à coup perturbe notre méditation aérienne sur fond de musique planante. Pasolini entre en scène par son poème, la vitalité désespérée. « Je suis comme un chat brûlé vif, écrasé sous la roue d’un semi-remorque, pendu par des ados à un figuier » écrivait-il, bien avant sa fin tragique… L’ innocence rêvée, l’errance, la fuite, la mort. Avec philosophie, il disait aussi : « La vie est comme la polenta, elle prend la forme du chaudron où on la verse ».
Diplômé du Centre National des Arts du cirque de Châlons-en-Champagne, en acrobatie et jonglerie, Yoann Bourgeois s’est aussi formé au Centre national de la Danse Contemporaine d’Angers. Il fait la synthèse de ces univers artistiques en un inédit subtile, exigeant et sensible. Avec la compagnie qu’il vient de créer, il présente, en 2011, L’art de la fugue. Il offre aujourd’hui, avec Cavale, un nouveau vertige, avec la même référence à l’enfermement. Son travail fait penser au cycle des oiseaux de Brancusi, polis comme des miroirs et de couleur blanche, plâtre ou marbre. « Je n’ai cherché pendant toute ma vie que l’essence du vol » déclarait le sculpteur. On trouve ici le même élan que celui de l’Oiseau dans l’espace, avec la verticalité de l’ascension.
Brigitte Rémer
Paris Quartiers d’été , Chemin de Halage, Pantin :
Les 24 juillet à 20h30, et 25 juillet à 18h30.
Prochaine création : Wu-Wei de Yoann Bourgeois, artiste associé à la MC2, Maison de la Culture de Grenoble avec des artistes de la ville de Dalian (Chine), le Balkan Baroque Band et Antonio Vivaldi, du 9 au 13 octobre 2012
Grand Théâtre de la MC2, Grenoble.