Pour le meilleur et pour le pire
Pour le meilleur et pour le pire par le Cirque Aïtal
Une Simca 1000, toute rouge, pétarade en un tour de piste. Famille, chien, maillots de bain ont embarqué. Côté gabarit, elle, la passagère, acrobate et voltigeuse, (Kati Pikkarainen), a un petit air de Gelsomina-Giulietta Masina. il, le conducteur, acrobate et porteur (Victor Cathala) est un costaud, comme Zampano-Anthony Quinn.
On est dans le registre du voyage et ça parle de vie nomade, de cirque, de vie à deux, sur les routes. La voiture, diabolique, est truquée, pleine de sons, de cachettes, de clins d’œil et de fantaisie : ouvrez une portière et la musique vous saute au nez, ouvrez l’autre, rythmes et sonos se télescopent, comme des ondes brouillées.
Clignotants, lumières intérieures, complicité des personnages, jeux, acrobaties et magie, des objets apparaissent, un chien disparaît. Vous cherchez la passagère ? Elle sort du capot, vous l’avez localisée ? Impossible, vous n’avez rien vu, elle s’est enroulée dans le coffre ou aplatie sous le châssis. Jeux d’eau et d’essuie-glace. Endiablé ce couple, magiciens extravagants, à l’imagination radiante et à l’énergie folle.
Le spectacle est de charme, enjoué, vif, espiègle comme un jeu de marelle, astucieux, détendu, burlesque, la mer est là, pas loin, on y plonge, début du main à mains, spécialité de la maison. Le pot d’échappement de la limousine rouge, se métamorphose tout-à-coup en perche, le numéro est prodigieux, elle, tel un oiseau niché, glisse de figure en figure, lui, porte à bout de force, à bout de bras.
Equilibres, saltos, plongeons, jeux de mains, fleurs à la main, balayage de piste aux étoiles, blanc de colophane, enchaînements. C’est fait de tendresse et de poésie, c’est virtuose, il y a le frisson, l’émotion et une vitalité à décorner les bœufs. Puis, de la terre au ciel, on les retrouve là-haut, perchés. Depuis une échelle jetée du ciel, elle, tel un elfe, agile, habile, légère et aérienne, se balance. Lui, est aux cordages, comme un capitaine de vaisseau.
La main, ils se la donnent, dans la vie comme sur la scène et se dessinent sur la terre-mère de la piste. Leur chapiteau, que, comme jadis, quatre mâts soutiennent, est chaleureux. Ils y dessinent toutes les figures : voltige, perche en équilibre, jeux icariens, échelle aérienne, portés acrobatiques, leur alphabet technique…
Il y a une telle dose de générosité et de grâce qu’on oublie les difficultés et la rudesse de l’entraînement, leur mise en danger, ils rendent les choses légères. « Le cirque est en quelque sorte un mariage. Partager et aimer. Dire oui. Au meilleur, ça marche. Au pire, ça ne marche pas. Une histoire d’amour est fragile, le cirque est fragile », dit-elle. Vie de cirque, cirque de la vie… Leur histoire.
Kati et Victor, jouent de leurs contraires, morphologiques et géographiques : elle, 47 kilos pour 1,53 m, blonde et de Finlande, lui, 100 kilos pour 1,87 m, brun et de Toulouse. Ensemble, ils fondent le cirque Aïtal, il y a huit ans, après leur formation au Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne. Différentes expériences, beaucoup de propositions mais, pour réponse, ils fondent leur compagnie. Première création, une forme courte, comme un galop d’essai, La table là, en 2005. Deux ans plus tard, création sous chapiteau, à trois, La piste là, qu’ils font évoluer l’année suivante avec deux autres partenaires, et tournent sur les routes de France, d’Europe, du Brésil et d’Argentine, pendant plus de quatre ans. « Pour nous, le corps raconte beaucoup plus que les mots », dit Victor.
Kati Pikkarainen et Victor Cathala signent aussi la conception du spectacle et Michel Cerda collabore à la mise en scène : «Ce que Kati et Victor ont souhaité pour leur seconde création, c’est raconter leur vie de jeunes circassiens, toujours sur la route… Raconter et mettre en jeu leur vie nomade quotidienne, où le lieu de travail est en même temps leur espace de vie et leur vie… C’est cela qu’ils ont voulu mettre à nu, cette expérience si singulière », dit-il. Autour d’eux, une douzaine d’artistes de l’ombre, sans qui ce spectacle ne pourrait exister.
On pense à Fellini ou à Chaplin, aux grands qui occupent les territoires de l’imaginaire et de l’émerveillement. Sensible, humain, virtuose et plein de vitalité, ce meilleur et ce pire est à consommer, sans se modérer.
Brigitte Rémer
Paris Quartier d’été – Chapiteau Parc de Bercy. Paris 12ème
19 juillet au 5 août, à 20h30, le dimanche à 17h