Nié qui tamola
Nié qui tamola , mise en scène de Nicolas Chapoulier
Nié qui tamola (« l’œil voyageur « en bambara »), est une forme hybride abritée dans la cours d’un lycée un peu en dehors du centre d’Aurillac: une sorte d’exposition à ciel ouvert suivie d’un spectacle. Le tout est est présenté par la fondation Daniel Meynard dont un buste en plâtre trône à l’entrée. Le grand homme est un penseur de l’Afrique, présenté comme un grand sage, et spécialiste reconnu des relations franco-africaines « qui nous a quitté il y a trois ans ». Et sa fondation, « l’Institut de recherche disciplinaire étudiant les relations ténues et complexes entre la France et ses anciennes colonies ) a fait appel à des artistes, poètes, comédiens pour tenter de recréer l’univers et l’action de Daniel Meynard…
Accueilli chaleureusement par neuf huluberlus en pantalon et chemise blanche, le public est invité à pénétrer dans l’exposition; les murs sont faits de planches où l’on voit des peintures africaines mais aussi des images vidéo de routes dans le désert… Il y a un peu de tout dans ce monde foutraque: cela va du Guide du clandestin publié aux Editions Pil-Pil: » Ne partez plus à l’aventure, enfin un guide pour les clandestins! promet la publicité. On peut aussi en introduisant sa main dans un trou recouvert de peau de tigre synthétique serrer la main d’un authentique clandestin sans le voir, jouer au grand jeu des origines: Je suis Français 1) Parce que je mange des escargots 2) Parce que j’aime Michel Sardou, etc… Il y a, un peu plus loin un distributeur d’au non potable au coloris marron peu ragoûtant. On peut aussi regarder dans une boîte des dizaines d’yeux de poupée, imaginée par un journaliste spécialisé dans la question du regard de l’autre dans l’humanitaire, et contempler une œuvre intitulée: « Naissance de l’humanitaire ». C’est une chaussette sous verre: la monochaussette pour accidenté sur mine antipersonnelle… C’est plein d’humour et d’intelligence! Et, comme à Porto-Novo ou à Niamey, il y a de la belle musique un peu partout.
Il y a du Duchamp et du surréalisme dans l’air mais aussi, et c’est d’une approche très réussie une singulière façon de mettre les Français de 2012 le nez dans le caca de ce que l’on appelle la France-Afrique, mélange de cynisme et d’arrogance, de corruption et de chantage au plus haut niveau des Etats, de financements des plus louches dans les deux sens. (Je te tiens, tu me tiens par la barbichette), le plus souvent admis sous couvert d’ONG et d’humanitaire. Il y a aussi, à voir et à entendre des entretiens avec des Africains francophones qui parlent de leurs rapports compliqué avec la culture française.
Puis le public est invité à des jeux dont l’animateur micro en main n’arrête pas de parle pour ne rien dire comme dans certaines radios, et invite les participants à une sorte de jeu de l’oie, où l’on passer de la case indépendance à la case de la pauvreté, si du moins on n’est pas tombé dans celle du sida…
C’est souvent drôle, parfois un peu appuyé et trop long. En fait, tout se passe comme s’il s’agissait surtout de chauffer la salle, en l’occurrence des tapis de paille tissés, et trois malheureux transatlantiques. Bonjour le mal de pattes et de dos avant la vedette: Jérôme Colloud qui va retracer l’historique des relations entre la France et ses ex-colonies africaines depuis 58 quand Sekou Touré organisa un comité d’accueil à de Gaulle qui se fit huer quand il proposait un accord-franco guinéen et osa revendiquer l’indépendance de son pays. Avant de devenir un dictateur riche et cruel qui fit exécuter tous ses opposants. Mais le sinistre Jacques Foccart, aidé par le trop fameux mercenaire Bob Denard, à la tête de la cellule africaine de l’Elysée et exécuteur des basses-œuvres de de Gaulle, fit inonder le pays de faux billets qui ruina son économie.
C’est aussi cela la France de de Gaulle! que Jérôme Colloud imite à la perfection. Il est aussi question de Thomas Sankara, premier ministre du Burkina Faso, limogé à la suite d’une visite de Guy Penne, franc-maçon comme de nombreux dirigeants africains et conseiller spécial de François Mitterrand. On retrouvera peu après Sankara décédé… de mort naturelle selon un médecin militaire français, Les Présidents français se succèdent, mais les affaires continuent: et cela va du Biafra au Rwanda, sur fond d’opérations politiques des plus douteuses, impliquant la majorité des partis politiques français, soucieux de financer leurs campagnes électorales, qui ont toujours été au mieux avec la plupart des dictateurs africains.
Bref, la France-Afrique, comme la Belgo-Afrique a quelque chose de nauséeux. Et les mallettes de billets qui circulent, ce n’est pas que dans les films de fiction! Quel torrent de boue soigneusement caché aux Français comme aux Africains!
Jérôme Colloud, seul en scène ou presque, dit tout cela brillamment en jouant tous les rôles, avec, à la fois, une énergie et une intelligence scénique tout à fait remarquables. Comme il est aussi musicien, on a aussi droit à un petit air d’accordéon oude guitare électrique… Il passe ensuite à la période contemporaine avec Chirac, puis Sarkozy, que, dit-il, il ne sait pas imiter ( il prend donc un vague accent chinois; on voit l’ex-président téléphonant avec trois portables à la fois, à ses copains: Boloré, Bouygues etc… François Hollande est épargné… pour le moment!
La dernière des trois parties de ce trop long monologue (90 minutes), bien mis en scène par Nicolas Chapoulier mériterait quelques coupures. D’autant plus qu’à travers cette série de brillantes imitations de la réalité politique française, on aurait bien aimé que Jérôme Colloud souligne un peu plus pourquoi il y a eu, depuis plus cinquante ans, une permanence de l’intrusion du personnel politique français, tous partis confondus, en Afrique occidentale! Et le plus souvent, sous couvert de coopération et d’aide humanitaire. Mais cela, on ne le sait que trop. Parce que notre économie, bien après l’indépendance de ces ex-colonies, a continué à profiter des ressources naturelles, à un titre ou à un autre… Quitte au besoin, et avec le plus parfait cynisme, à bouleverser une économie rurale déjà bien fragile. Comme ces bateaux-usines européens qui pêchent, près des côtes du Bénin, au détriment des pauvres pêcheurs en pirogue! Et rappelons aussi que notre industrie, comme le plus petit des foyers français, a profité d’une électricité bon marché, grâce à l’exploitation plus que rentable des mines d’uranium du Niger, et ce n’est qu’un exemple!
En tout cas, malgré ces réserves, cette exposition-spectacle mérite d’être vue. mais munissez-vous d’un siège quelconque si vous n’avez pas l’habitude de rester assis en tailleur pendant une heure et demi. Et Il y a même demain samedi soir un bal franco-africain gratuit!
Philippe du Vignal
Festival d’Aurillac jusqu’au 25 août.
www.troispointsdesuspension.fr