Wasteland
WASTELAND d’Alexandra Broeder, Festival d’Aurillac
Nous sommes une quarantaine assis dans un bus qui nous emmène vers une destination inconnue. Une petite fille avec des nattes, chemisier blanc, jean et bottes est assise face à nous à côté du chauffeur, l’air sévère. Nous nous éloignons d’Aurillac et elle lance impérieusement : Open the door ! Le bus s’arrête et une deuxième fillette portant un costume identique pénètre dans les bus. Plusieurs arrêts suivent avec d’autres fillettes, elles se ressemblent étrangement, la même tenue, le même air dur. Elles viennent auprès de chacun d’entre nous et demandent impérieusement : your mobile ! Surpris, les premiers refusent, puis un par un nous leur donnons nos téléphones portables. Un silence étrange règne dans le bus, nous osons à peine chuchoter doucement avec les voisins que nous pouvons connaître.
Le bus s’arrête au pied d’une crête, les enfants nous font descendre, nous regroupent deux par deux, nous intiment l’ordre de donner la main à notre voisin. Arrivés auprès d’une grille, nous devons nous débarrasser de nos sacs, appareils photo qui sont jetés dans une grande poubelle. Les huit petites filles suivies de deux petits garçons nous guident en ligne stricte jusqu’à une grande table dressée avec des morceaux de pain et des verres remplis d’un liquide rose dont les abeilles semblent se délecter. Nous devons nous asseoir, personne n’ose souffler mot, les fillettes viennent nous dire ; your meal ! La plupart mangent leur pain, les verres vides d’abeilles sont bus et nous devons les suivre à travers champs jusqu’au pied d’une crête. Et là, dernier dépouillement, tous ceux qui avaient conservé une veste, des lunettes de soleil, une carte du festival suspendue à leur cou, doivent les donner aux enfants qui gravissent la crête lointaine. Le silence établi dans le bus ne se rompt que lentement, au terme de cette étrange déportation douce et ce repas christique.
Après le vacarme continu du festival et la saturation de spectacles improbables devant lesquels on peine à s’arrêter, il y en a trois cents, Wasteland m’a bouleversée par son silence, sa vérité et son étrange beauté.
Edith Rappoport