La petite

La Petite, texte et mise en scène d’Anna Nozière

Ça commence par la fin: applaudissements (enregistrés) et saluts. En fait, c’est une suite au précédent spectacle : Anna Nozière ne croit pas que les choses se ferment, que « la vie » et « la scène » soient séparées, ni les morts des vivants. Et ce n’est pas pour rien qu’elle a placé la fiction de La Petite dans un théâtre.

Sur la scène, un phénomène : la Petite est enceinte, le fœtus va bien, mais il ne grandit plus. Débat médical, débat de société, que faire ? Le public ne vient plus que pour cela – et l’art, là-dedans ?-, tandis que sur le plateau, au milieu des querelles et de la discipline des comédiens, erre le fantôme de la mère de la Petite, morte à la naissance de celle-ci. C’est compliqué ? C’est compliqué. La pièce est faite de strates accumulées, du désir de l’auteure metteuse en scène de toucher à la transcendance tout en faisant place aux petites réalités, aux ridicules du travail de théâtre.

On pense parfois au théâtre sud-américain, du côté de Nelson Rodrigues, avec un peu plus d’humour quand même. De belles poupées jouent les enfants morts, la petite fille, le nouveau-né.

Objet non identifié, sinon comme exercice d’une jolie équipe de jeunes comédiens, La Petite est un peu comme l’enfant qui ne grandit pas, resté dans le ventre maternel…

Christine Friedel

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Théâtre de la Colline – 01 44 62 52 52 – jusqu’au 27 octobre

 


La Petite, texte et mise en scène d’Anna Nozière,

Anna Nozière conserve des  souvenirs assez peu sympathiques de son enfance, et ses spectacles  sont nés de son expérience personnelle. Dans Les Fidèles, histoire d’Annie Rozier, une jeune fille est rejetée par sa mère qui la battue et maltraitée pendant son enfance. C’était un  spectacle sombre  qui   avait remporté un prix au festival Impatience 2010 de l’Odéon. Et le texte tout à fait prometteur en avait  été publié aux Solitaires intempestifs.
La Petite n’est pas d’un genre plus réjouissant… C’est l’histoire d’une jeune fille née sur scène, d’une mère actrice qui mourut   en lui donnant le jour à l’issue d’une  représentation. La Petite, devenue actrice elle-aussi, est enceinte, mais son fœtus qui se porte bien ne grossit plus depuis plusieurs mois. Le spectacle commence par du théâtre dans le théâtre… et  les six acteurs saluent au début de la représentation.
On se perd un peu dans les dédales de cette étrange histoire encore incertaine lors de  cette deuxième représentation, l’une des actrices étant tombée malade une semaine avant la première. Mais cette douleur de l’enfant perdu, représentée par deux poupons qu’on manipule, et  le deuil impossible d’une mère inconnue, devrait pouvoir trouver une vérité théâtrale au fil des représentations…

Edith Rappoport

Théâtre de la Colline, jusqu’au 27 octobre.

www.colline.fr


Archive pour septembre, 2012

La Barque le soir

La Barque le soir de Tarjei Vesaas, traduction de Régis Boyer, mise en scène de Claude Régy.

       La Barque le soir barqueTarjei Vesaas né en 1987, est mort en 70 à Oslo. Fils de paysans norvégiens qui ont favorisé son goût pour la lecture, il a vécu toute sa vie dans une ferme bâtie par ses grands-parents, après deux ans d’études en université populaire et un an de service militaire. Il est l’auteur de nombreux poèmes, de nouvelles et de pièces de théâtre écrits, nous dit Régis Boyer, grand spécialiste de littérature nordique, dans le dialecte chantant de sa province, le Telemark.
La Barque le soir est généralement considéré comme son chef-d’œuvre, sans doute d’inspiration autobiographique. Ce sont comme des suites de souvenirs, « des réminiscences claires d’événements qui ont marqué sa vie », où la nature, la neige, l’eau, les oiseaux, la terre, ses fleurs et ses récoltes sont autant de choses qui ne sont pas seulement des thèmes littéraires mais qu’il a vécues au plus près son existence. La Barque le soir est comme une sorte de testament, de confession très personnelle mais pleine de pudeur, d’un homme qui sait la mort qui s’approche (il a 70 ans). « Le cœur est fendu en deux et ne sait ce qu’il veut. La barque doit aller pour lui-jour et nuit ne sont qu’un rideau changeant à traverser. Avancer d’un courage farouche. Pas à cause des hommes. A cause d’énigmes embarrassantes. Le cœur est fendu en deux en grand secret. »
Claude Régy, à presque 90 ans, n’a rien perdu de son talent ni de sa passion pour adapter à la scène des textes poétiques comme ceux de Pessoa, ou de Vesaas dont il avait déjà  monté en 2010 Brume de Dieu d’après Les Oiseaux. Il signe ici dans la petite salle des Ateliers Berthier une mise en scène d’une grande exigence où il s’agit pour lui, dit-il,  » de nous introduire un peu comme par effraction, dans une une expérience intérieure à la limite du pensable. A l’extrême du vivant. Sous l’apparence d’un être en difficulté, on assiste à un ébranlement de la pensée. on entend les coups frappés et leur résonance. On capte des éclats plus loin que le savoir. »
Dès l’entrée dans le petit hall de la salle, nous sommes prévenus: une affichette indique que le silence est requis.La salle est presque obscure, juste éclairée par quelques spots de lumière rose.Puis le noir se fait pendant plusieurs minutes. Et Yann Boudaud, que l’on a vu souvent chez Régy, s’avance vers le bord de scène dans une pose hiératique, et commence à dire le long poème de Vesaas avec lenteur et concentration. Aucun décor sinon un tulle derrière lequel on aperçoit un rideau rouge foncé qui, à un moment, semble devenir une sorte de sculpture.
La remarquable scénographie,  due à Salladhyn Khatir, éclairée par les lumières de Rémi Godefroy est une sorte d’écrin d’une grande beauté plastique qui souligne la parole de l’acteur, soutenue par la musique parfois presque imperceptible mais très signifiante de Philippe Cachia qui pourtant joue ici un rôle majeur. Tout est prêt pour cette métaphore de ce long voyage vers la mort.
Bien sûr, l’approche de ce texte n’est pas des plus faciles et il y faut une concentration comparable à celle que développe l’acteur, presque immobile pendant 80 minutes, très bien dirigé par Claude Régy et soutenu vers la fin par la présence muette d’Olivier Bonnefoy et de Nichan Moumdjian. C’est un travail d’une rare exigence, tout à fait remarquable d’intelligence et de sensibilité, où la grande maîtrise d’un texte est ici portée à son plus haut niveau par Claude Régy.

Cette extrême lenteur pourrait devenir exaspérante mais on se rend compte qu’elle a quelque chose d’indispensable à la profération de la poésie de Vesaas, et on finit par trouver « normale » cette lenteur, pourtant très inhabituelle dans notre époque survoltée. Comme l’écrivait Marie-José Mondzain: « La condition sine qua non pour qu’il y ait de l’art, c’est qu’il y ait du temps. Il faut freiner. Un temps d’arrêt, une langueur c’est un gain; l’impatience mène à la catastrophe(…) Même les gens qui travaillent dans l’image mobile, dans le spectacle vivant,  travaillent avec le temps, et travailler avec le temps, c’est freiner, c’est ralentir ».
Donc, attention,  vous êtes prévenus: le spectacle est d’une approche difficile, et il faut en quelque sorte le mériter, mais, si vous trouvez une place, il mérite largement d’être vu; c’est comme une sorte d’immersion dans une vie où le silence et la poésie domine.nt.. Comme le dit Vesaas:  » Ne pas comprendre, mais être à proximité de ce qui se passe.Ne pas essayer de comprendre le grand branchage sous la terre. Là où des lacs éclatent en sources innombrables qui à leur tour éclatent en sources innombrables et finalement en sources impensablement petites – tandis que les assoiffés restent assoiffés derrière les assoiffés. Quand on a compris cela sans comprendre tout de même, que doit-on faire? ».
Merci, Claude Régy.

Philippe du Vignal

Ateliers Berthier/ Odéon (17 ème), petite salle,  jusqu’au 3 novembre.

L’œuvre de Tarjei Vesaas est en partie disponible en français: La barque le soir (1968), José Corti 2003,Le Germe (1940), Flammarion 1993,La Maison dans les ténèbres (1945), Flammarion 1993,Les Oiseaux (1957), éditions plein-chant 2000, Le Palais de glace (1963), Flammarion 1993, La Blanchisserie, Flammarion 1997, Être Dans Ce Qui S’en Va, poèmes, éditeur Editer 2006, Les Ponts (1966), éditeur Autrement 2003, Les chevaux noirs (1928), Actes Sud 1999, Le vent du nord (1952), nouvelles, Table Ronde La petite Vermillion 1993, Une Belle journée (1959), Nouvelles- éditeur Le passeur 1997, L’arbre de santal (1933), Actes Sud 1994, L’incendie, (1961), Flammarion, 1979, réédité en 1992.
Palais de glace (Flammarion), Les Oiseaux (Plein chant). Le Germe (Le Livre de poche) et l’Incendie ( L’œil d’or)

Déluge

Déluge d’Anne-Marie White, mise en scène d’Anne-Marie White et de Pierre-Antoine Lafon Simard.

Déluge deluge1L’auteure est une personnalité du paysage franco-ontarien!  Écume (voir le Théâtre du Blog) nous a avait déjà révélé la particularité de son écriture, à la fois dramatique, poétique, qui ne tient pas compte  des contraintes   scéniques.
Ce quasi-monologue, parfois interrompu  par des voix qui viennent du voisinage ou par des figures fantasmatiques de la famille, nous fait entendre les obsessions de Solange, une jeune femme plongée dans un trauma  provoqué par la mort d’un enfant. Obsessions qui semblent émerger des profondeurs d’une psyché blessée, et  qui possèdent alors  ce corps de femme réduit à l’abjection, au déchet, et à la pourriture.
Solange évoque des moments dramatiques de son passé: la lente déchéance de son esprit et la conscience d’un corps qui cherchait à éveiller son instinct maternel se confondent alors avec les souvenirs de Dumbo, un enfant dont elle avait la garde et qu’elle aimait. Jusqu’au moment tragique de sa mort … Les circonstances n’en sont pas claires mais les conséquences, elles, le sont. Depuis, Solange  est en proie à des images d’abus, de viol, de meurtre et de  pourriture qui la rongent et qui mettent en évidence son impuissance, sa culpabilité et l’horreur  qu’elle a d’elle-même.
La mise en scène, assurée par l’auteur et par Pierre-Antoine Lafon Simard, est remarquable. En effet, Déluge est surtout  un oratorio qui tient à peine compte d’un espace  scénique. Tout était donc  à inventer et  les deux metteurs en scène ont  trouvé des solutions visuelles et sonores surprenantes.
Une  pièce mansardée, poussiéreuse et  délabrée, avec, pour seuls accessoires, quelques  chaises, une table et un vieux matelas moisi, évoque l’esprit inerte de Solange. Et il y a un grand mur en verre, légèrement en pente qui devient un écran où les images du passé défilent et évoquent le monde enfantin qui hante la parole autodestructrice de Solange. Cela  nous aide à retrouver le fil de cette poésie baroque parfois difficile à pénétrer.
Des voix off incarnent  magistralement les obsessions de Solange. Des rencontres  avec un amant dentiste aux  allures de partenaire sado-maso, un sac à ordures libidineux, (l’humour ne manque pas malgré tout) et des  marionnettes tueuses.  on évoque des jeux enfantins. On croise aussi  des cousins barbares, un père dangereux et surtout, un hamster géant,  attiré par l’odeur de  pourriture qui ronge le corps de cette femme, comme l’incarnation d’une ultime punition…
La comédienne qui joue Solange, figure centrale, voix et  source de tout, est remarquable. Sa voix rauque incarne le monde fantasmatique du texte. Solange devient ainsi une figure ambivalente et aliénée des autres…Corps, offert, exposé, ou tout simplement inerte, gisant sur un matelas sale, paralysé, comme  désarticulé,  incarnation du trauma de cet esprit qui ne peut plus fonctionner dans le monde.
C’est un récit inquiétant et qui n’est pas évident et qu’il faut écouter attentivement. Mais la mise en scène  valorise les moments importants de la mémoire abimée d’un être en pleine déchéance et le jeu singulier de la comédienne. En effet,  Anne-Marie White et Pierre-Antoine Lafon Simard  soulignent  l’humour apparent   de cette fantaisie,  sans  nous en épargner  la nature  cauchemardesque. Un très beau travail et la découverte  d’une auteure dramatique  vraiment douée!

Alvina Ruprecht

La Nouvelle scène jusqu’au 30 septembre. T: 613-241-27 27. La pièce sera lue au Festival des Francophonies  de  Limoges .

 

Une production du Théâtre du Trillium présentée à la Nouvelle scène, Ottawa jusqu’au 30 septembre. La pièce fait l’objet d’une lecture au Festival des Francophonies en Limousin

Le Lac des cygnes

Le Lac des cygnes par l’Australian Ballet.

Le Lac des cygnes Amber-Scott-and-Adam-Bull-in-Swan-Lake-photo-Jeff-Busby_3141Yosvani Ramos est danseur principal (équivalent de danseur étoile) à l’Australian Ballet, qui  nous a accueilli et guidé. D’origine cubaine, il débute au Jeune Ballet de France puis après un passage à l’Opéra de Paris, il intègre l’English National Ballet comme soliste, avant de danser ici depuis cinq ans dans cette importante institution, située à proximité du Centre d’Art de Melbourne, qui comprend 70 danseurs professionnels, pour la plupart d’origine australienne, issus de son école.L’Australian Ballet joue alternativement à Melbourne et à l’Opéra de Sydney et a une renommée nationale et internationale (il est venu en 2008 au Châtelet) et danse les répertoires classique et contemporain. Waine Mc Gregor, Jiri Kylian y ont monté un ballet et Alexie Ratmansky doit y faire une prochaine création en 2013.
« Quand on pense ballet classique, on pense Lac des cygnes » dit Stephen Baynes, qui le présente dans une nouvelle version , mais dans la plus pure tradition du ballet classique. La musique de Tchaïkovski, les toiles peintes en perspective, les décors et les costumes emmènent le public dans l’univers du romantisme allemand . Yosvani Ramos danse Benno, l’ami du prince Siegfried. Le jeu et les techniques du corps de ballet (les cygnes) ont un niveau comparable à celui des solistes.

Le travail privilégie l’unité du groupe mais masque un peu les individualités, ce qui bride parfois l’émotion . Crée en 1877, au Bolchoï, ce ballet connaîtra son vrai succès avec l’adaptation en 1895 de Lev Ivanov et Marius Petipa. Le Lac des cygnes et ses danseuses en tutus, a, depuis, toujours nourri notre imaginaire; il est même devenu une des références de la culture classique et beaucoup de petites filles, après l’avoir vu, ont rêvé de devenir danseuses. C’est aussi ce ballet qui était diffusé en boucle à la télévision, quand un dirigeant de l’ex-URSS était décédé.

Le Lac des cygnes est donné à l’occasion des 50 ans de l’Australian Ballet, une histoire courte si nous la comparons à celle des grands ballets européens. Time in Motion, une exposition gratuite au centre d’Art retrace ces dernières et fameuses cinquante années, avec des coupures de presse, et des photos des deux mythes que sont Margot Fonteyn et Rudolf Noureev qui ont dansé à l’Australian Ballet .. Avec des photographies, des maquettes, des costumes et, note émouvante, les chaussons de danse des principales danseuses solistes, dans des ballets comme Coppélia,  Don Quichotte chorégraphié par Rudolf Noureev en 1972. Des vidéos, issues des archives de l’Australian ballet et du centre d’Art de Melbourne accompagnent l’ exposition.

Il existe en effet un fond très riche de costumes, dessins, programmes, photographies, affiches…qui témoigne du passé des troupes qui ont dansé en Australie. Comme la guirlande de fleurs d’Anna Pavlova lors de son passage en 1920, le costume d’Irina Baronova dans Le Coq d’or dansé en 1938, par les Ballets russes de Monte-Carlo, ou encore une veste portée par Rudolf Noureev dans Raymonda en 1965. Il existe aussi une importante collection dans les domaines du théâtre, du cirque ou de la comédie musicale qui permet à cette structure d’organiser régulièrement des expositions, parfois itinérantes.

L’Australie, certes éloignée de notre vieux continent, a une superficie de sept millions de km² soit la surface de l’Europe! Peuplée de quelque 20 millions d’Australiens, de kangourous et de koalas, cet immense pays possède aussi… un ballet national et des centres d’art importants comme celui de Melbourne.

Jean Couturier

 www.australianballet.com.au

« http://www.artscentremelbourne.com.au/

Une faille

 

Une faille Une-Faille-de-Mathier-Bauer-par-Pierre-Grosbois-2012

©Pierre Grosbois

Une Faille, feuilleton théâtral, saison 1 : Haut-bas-fragile. Episodes : 1-4 Pris au piège,mise en scène de Mathieu Bauer.

Un immeuble en construction s’est effondré sur une maison de retraite. Trois mort, des blessés, et cinq disparus (plus un, qu’on découvrira ensuite). Pour les secours, en haut, ils ont peut-être péri sous les décombres. Pour nous, spectateurs, nous avons vu leur radeau de la Méduse émerger de la brume de poussière et nous allons suivre les péripéties de leur sauvetage – « ou pas », comme on a l’habitude aujourd’hui d’atténuer toute affirmation. En haut : les pompiers, le « dir-cab » (directeur de cabinet) de la Mairie (nota bene : personne n’est directement visé : on est à Montreuil (93), mais c’est Monsieur le Maire qui est en déplacement).
Ce dernier nous donne un étourdissant numéro des « éléments de langage » nécessaires pour faire face aux médias. Mais nous, nous avons à faire face au danger d’un nouvel effondrement, disent les pompiers. Et nous, nous voulons savoir, et comprendre, dit sans parler le peuple venu sur place.
En bas, les angoisses vont et viennent, entre les cinq personnages-type enfermés ensemble : le jeune homme « métis culturel » à la caméra goinfre qui fait hausser les épaules au vieux critique de cinéma, l’homme mystérieux qui en sait un peu trop sur la construction, la femme médecin désabusée, en visite ce jour-là à la maison de retraite –mauvais moment, mauvais endroit-, et la jeune fliquette tout juste « débarquée de sa province », avec les problèmes de logement afférents.
Tout cela est mis en scène comme un grand opéra cinématographique. On joue avec la série télé, avec le « menu » sur écran, le récit est interrompu comme il se doit au moment le plus palpitant (cliffhanger), avec la diffusion accélérée du – vrai – générique du spectacle, on voit les séquestrés en double, comédiens et leur image vidéo en gros plan, et parfois trois espaces simultanément, le tout à un rythme très particulier.
Le feuilleton permet d’aller très vite et aussi de prendre son temps, d’introduire une discussion, un débat – que pourraient faire de mieux nos prisonniers des décombres ? Et la foule, sur la place, et ses indignés ?- Et de faire évoluer les personnages, si possible de façon tout à fait invraisemblable : privilège des séries, on y croit, on en veut.
En veux-tu, en voilà : nous sommes gâtés par ce spectacle total. Il y a là, dans le jeu de tous les éléments scéniques, un vrai bonheur. Même s’il y a, comme on dit, des longueurs, même si la poésie fait défaut dans l’écriture (en particulier dans les scènes des enfermés). Expliquons-nous : le dialogue est juste, bien vu et bien documenté, parfois trop explicatif, en manque de quoi ? Du risque d’une perte de contrôle, sorti des efficaces figures imposées ?
Cette poésie, elle,  revient pourtant dans le langage scénique : par le jeu jubilatoire, on ne le dira jamais assez, de la fabrication du théâtre, musique, lumières, scénographie mouvante. Et avant tout par la présence et la grâce des acteurs. Joris Avodo, Pierre Baux, Michel Cassagne, Christine Gagneux, Mathias Girbig, Lou Martin-Fernet, et, à l’image, Didier Sauvegrain, enrichissent l’affaire de leur histoire de comédiens, trois générations se frottant pour le meilleur. Une dimension de plus ajoutée à ce spectacle multidimensionnel.
Avec une grande intelligence et beaucoup de joie de vivre, et un talent formidable à coordonner tant de talents divers, Mathieu Bauer a réussi un spectacle juste, pour inaugurer sa fonction de directeur du Centre Dramatique National de Montreuil.
Du théâtre populaire : pas pour la ville, mais avec la ville, dans la ville, en amour et en bagarre avec la ville, avec les musiciens du conservatoire, avec le peuple des comédiens amateurs présent sur le plateau.
Ce qui, évidemment, produit de l’universel, c’est bien la moindre des choses.

Christine Friedel

Nouveau théâtre de Montreuil CDN – 01 48 70 48 90 -jusqu’au 14 octobre.

Episodes 5 et 6 à partir du 3 décembre

De nos jours

De nos jours (Notes on the Circus) d’Ivan Mosjoukine, spectacle conçu et réalisé par Erwan Ha Kyoon, Vimala Pons, Tsihaka Hanivel, Maroussia Diaz Verbèke

“À deux, faire n’importe quoi réussit toujours !” Ils sont quatre artistes de cirque éblouissants qui semblent faire n’importe quoi avec une précision et un humour rares, en 78 vignettes dont chacune ne dure pas plus de trois minutes, et dont ils annoncent les titres. Tout d’abord,  l’ouverture des portes et les annonces en voix off un peu longuettes, puis c’est une drôle de course folle dans un capharnaüm réjouissant.
Sur une grande corde suspendue à deux poulies, une acrobate opère des figures toujours comiques dans la note sur “est-ce qu’elle va déraper ?”, celle sur le décret de 1812 qui interdit la parole au cirque, une note sur la chute des choses ou l’on voit un acrobate monter en haut d’un grand escalier et se précipiter 12 fois dans le vide en se raccrochant avec ses jambes à un poteau distant de quatre mètres.
Il y a aussi plusieurs stripteases (hommes et femmes) hilarants, un discours vigoureux et incohérent sur tous les tons.  Impossible de relater ces 78 notes…  mais on ne décroche pas une seconde…

Edith Rappoport

Le Monfort jusqu’au 27 octobre T:  01 56 08 33 88, et  du 17 au 24 novembre au Cent Quatre à Paris et au Théâtre de Cornouailles, à Boulazac, au Quai d’Angers, à Alès, Vélizy, Lille, Tournai et Gap.

Bug

Bug de Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien, mise en scène de Philippe Adrien.

Cela commence par l’arrivée d’Arthur et Charline, jeunes et brillants lauréats d’un concours international de logiciels. Mais comme rien n’est jamais acquis au royaume de l’informatique, il se produit un énorme « bug » et les voilà tous les deux, métamorphosés en chimpanzés,  alors que doit leur être bientôt remis leur prix au château de Versailles. Et ils  partent donc  à chasse ce maudit « bug », alors que se prépare un  grand dîner exceptionnel avec des invités prestigieux, célébrités d’autrefois et d’aujourd’hui, tous genres confondus.
Il sera aussi question d’Auschwitz, de la shoah et de la guerre entre les Hutus et des Tutsis, de la fin des empires et du néo-libéralisme tout au long de ces deux heures et quart… Il y a enfin une vieille dame accablée par un Alzeimer, allongée dans un lit d’hôpital… Dieu reconnaîtra les siens  au milieu de ce fatras dramaturgique
 » Sommes-nous indemnes du projet génocidaire? De la razzia néo-libérale, de la société du spectacle et de la consommation …) Le web et les pratiques qu’ils génèrent ouvrent sur le monde dans toutes ses dimensions et sans aucune limite? Savoir si, après tout, si nous ne sommes pas des mutants? Et si c’était une comédie? » Ajoutent doctement les auteurs de la chose.
Eh! Bien non, ce n’est pas une comédie, ce n’est ps vraiment drôle, voire m^me franchement estouffadou et ce mille-feuilles bourratif de petites scènes sans grand intérêt qui dure quand même deux heures et quart. Ce qui pourrait être  encore visible s’il s’agissait d’une farce enlevée en une un peu plus d’une heure… Pour bien montrer l’emprise de la communication et de l’informatique, il y a pratiquement sans arrêt des projections d’ images vidéo, tout à fait remarquables, dûes à Olivier Roset,  qui servent de décor, et pour rappeler que l’on est  au théâtre, il y a un double plateau tournant , et de fréquents envois de fumigènes. Les petites séquences se succèdent aux petites séquences, . et l’on s’ennuie vite à ce mélange réalité/virtuel que l’on a déjà vu un partout!
Avec parfois quand même,  et heureusement,  quelques scènes de franche comédie, comme, celle assez drôle, où une attachée de communication, est obligée de revoir son plan de table à cause de l’arrivée non prévue de Jean Genet au dîner officiel de la remise du prix du concours. Même s’il est mort depuis longtemps, il dînera en compagnie de Michel Houellebecq. Jef Koons sera aussi de cette remise du prix du meilleur logiciel.
Cela est évidemment une fois de plus influencé par la BD, et flirte souvent le boulevard. Mais malheureusement, le second degré, revendiqué, rejoint souvent le premier. Avec un dialogue des plus faciles et des plus racoleurs que l’on soupçonnerait fort d’avoir été écrit à l’arrache sur un coin de table et qui dessert le propos. Et cela ne suffit pas du tout à constituer un spectacle…
Les acteurs font ce qu’ils peuvent, et c’est plutôt habilement mis en scène mais cela Philippe Adrien a prouvé depuis longtemps qu’il savait opérer. On est en droit de se demander pourquoi il est allé s’aventurer dans une aventure au scénario et au dialogue aussi indigents. Cela ne lui ressemble vraiment pas! Enfin allez-y si vous voulez,  mais on vous aura prévenu…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Tempête jusqu’au 27  octobre.

La nouvelle saison de la Comédie de Caen

La nouvelle saison de la Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie

La nouvelle saison de la Comédie de Caen dans actualites vitrinewharf2__016475800_1532_24042009-300x199La Comédie de Caen regroupe la salle de la rue des Cordes, La Halle aux granges, plateau technique de costumes et d’accessoires et la grande salle de 700 places du Théâtre d’Hérouville où se trouve aussi l’administration et les services techniques avec 14 permanents. C’est l’un des rares centres dramatiques à abriter un atelier de décors. Jean Lambert-Wild, metteur en scène et écrivain en assure la direction depuis 2007 avec beaucoup d’efficacité et en prenant souvent des risques.
Et c’est à Hérouville que s’est tenue la conférence dite de presse dans un salle plus que pleine, de tous les amis spectateurs du centre dramatique- l’un des plus anciens en France- qui fête cette année ses quarante ans, comme d’ailleurs Jean Lambert-Wild… Impossible de tout citer mais la programmation de la nouvelle saison est riche et diversifiée.
Cela va du Festival Les Boréales avec, notamment, Corps de Walk, un spectacle de de danse de la compagnie norvégienne Carte blanche, Le Cirkus Undermän de la compagnie suédoise Cirkus Cirkör, ou encore Long Life, spectacle sans paroles letton…

De son côté, la Comédie de Caen reprend à Hérouville War Sweet War de Jean Lambert-Wild, spectacle fondé sur un fait divers terrible: un couple qui assassine ses enfants, dans une atmosphère de guerre impitoyable et sans aucune parole. (voir Le Théâtre du Blog). Le metteur en scène et auteur créera aussi en novembre au Théâtre national de Chaillot une sorte de fable pour tout public à partir de sept ans Mon amoureux pommier qu’il jouera ensuite à Caen. Et il accueillera Dominique Dupuy, le grand chorégraphe et introducteur de la danse contemporaine en France, avec Actes sans paroles de Beckett, spectacle créé aussi à Chaillot.
Il y a aura en février l’arrivée d’un des épisodes du fameux Mahabharata mis en scène par Statoshi Miyagi avec 26 comédiens japonais. Et Madeleine Louarn viendra de Bretagne avec sa troupe de comédiens professionnels handicapés mentaux jouer Les Oiseaux d’Aristophane. Et il y aura aussi Solness le constructeur d’Ibsen mise en scène de Jean-Christophe Blondelune, spectacle coproduit  entre notamment Le Volcan du Havre, le Théâtre des Deux-Rives de Rouen. Et pour la troisième année consécutive, le Colloque international de la critique ne partenariat avec l’Université de Caen aura lieu du 4 au 8 février 2013. La Comédie de Caen offre aussi des week-ends artistiques gratuits dirigés par des artistes associés à la saison.
Après une pause, Marcel Bozonnet interpréta, dix sept ans après sa création, La Princesse de Clèves, d’après le célèbre roman de Marie-Madeleine de La Fayette. La salle était sans doute beaucoup trop grande; et pour une fois, un discret appui de micro HF n’aurait pas été superflu. Sinon, quel bonheur d’entendre cette langue du 17 ème siècle aussi précise que juste! Aux meilleurs moments, il y avait comme une sorte d’état de grâce et le public était suspendu à la voix et à la gestuelle de Marcel Bozonnet.
Rappelons que c’est à une femme de 45 ans, c’est à dire déjà âgée pour l’époque, que nous devons en 1678, ce premier roman psychologique français, sur deux  thèmes inoxydables :  l’amour impossible et une certaine jouissance du désespoir. N’en déplaise à M. Sarkozy qui ne portait guère La Princesse de Clèves dans son cœur…

Philippe du Vignal

Comédie de Caen: 02-31-46-27-29 www.comediedecaen.com

Pour une contemplation subversive

 

 

Pour une contemplation subversive, lecture/performance par Christophe Pellet, dirigée par Christophe Lemaître.

 

 

Pour une contemplation subversive ChrisCela se passe à La Loge, lieu  dédié à la jeune création à Paris, ouvert depuis trois ans rue de Charonne, qui accueille concerts, spectacles, performances, mélangeant les genres et les publics…

« Lorsque j’écris, je me compromets », ainsi commence la lecture que donne Christophe Pellet de sa dernier ouvrage), faisant écho à La Conférence, où il donnait libre cours à une pensée critique sans concession, fustigeant « l’esprit français » qui règne notamment au théâtre.

En marge de ses pièces, dont Loin de Corpus Christi qui se joue au Théâtre des Abbesses, (voir prochainement Le Théâtre du Blog), l’auteur dévoile le moteur de son écriture et la posture d’homme et d’artiste qu’il a choisie : la contemplation.
Non pas celle du mystique, se retirant du monde, qui « 
évacue tout combat, toute lutte pour ne s’attacher qu’aux seules forces de l’esprit et de l’intellect avec comme recherche principale le bien-être, la sérénité et une forme de profit ». Mais une contemplation  active. Celle d posture qui consiste à ne rien faire, mais tout traverser, se laisser traverser : « le contemplateur, tel que je le définis s’affirme par une présence physique en lutte avec la matière, une lutte qui n’est pas un conflit mais un corps à corps »  Un état qui lui permet de trouver sa place, en dehors des lois du marché de l’art ou du commerce des hommes.
Espace de liberté, espace de résistance contre l’Etat, la société de consommation, et l’emprise de l’amour. Car « l’amour n’est qu’une aliénation de plus ». L’amour est un obstacle à contourner pour se trouver au plus près de soi et de l’autre… Mais
la contemplation de Christophe Pellet n’est pas une fuite mais une confrontation avec le réel. Et il compte les « indignés » au rang des « contemplateurs »,  et considère l’ immolation comme le comble de la contemplation subversive…
Livrant ses mots à lui avec l’ardeur feutrée et fiévreuse qui caractérise son écriture, Christophe Pellet nous entraîne dans les méandres de sa pensée, souvent paradoxale, mais toujours sincère et juste. Au plus près de ses convictions…

Et il nous incite à réfléchir, comme et avec lui sur notre place dans le monde car, pour lui, « notre capacité à contempler s’est perdue, dissoute au cœur de ce temps productif ».
Cinéaste, il accompagne cette performance d’images fugaces et lit aussi des extraits de textes qui ont nourri sa démarche : Pierre Clastres, (
La société contre l’Etat), Victor Hugo (Les Contemplations), Sade, ou Fernando Pessoa. « Il existe des âmes contemplatives qui ont vécu de façon plus intense, plus vaste et plus tumultueuse que d’autres qui ont vécu à l’extérieur d’elles-mêmes, écrit Pessoa dans Le Livre de l’intranquilité). Pour finir, Pellet cite un récit de Thomas Bernhard : Oui . Ce «oui » étant, paradoxalement encore, le mot de la fin !

Mireille Davidovici

La Loge , 77 rue de Charonne, Paris. www.lalogeparis.fr

Pour une contemplation subversive, suivi de Notes pour un cinéma contemplatif et subversif, et le Théâtre de Christophe Pellet sont publiés par l’Arche Éditeur.

 

Coma

Coma de Pierre Guyotat, lecture  par Patrice Chéreau, mise en scène Thierry Thieû Niang

 Coma xQJIAPKZ5We61P82kGSNfjl72eJkfbmt4t8yenImKBVaiQDB_Rd1H6kmuBWtceBJ« Ressentir le monde comme le sent l’acarien », « penser comme l’animal » voir « comme voient les animaux «  et faire sonner la langue par l’écriture comme « un bouvreuil chantant » pour exprimer le monde, l’animal humain, jusqu’à «  donner à voir la rotation de la terre »… L’incipit du spectacle annonce le projet démiurgique de l’écrivain Pierre Guyotat,  la dépression qui le génère et qui  l’accompagne , jusqu’au coma et ensuite sa  lente renaissance à la vie.
En 1981, Pierre Guyotat sombre en effet dans le coma après des mois d’errance artistique et existentielle. Coma publié en 2006, s’inscrit en marge de son œuvre, ouverte par Tombeau pour Cinq cent mille soldats (1967) mis en scène cette même année 1981 par Antoine Vitez au Théâtre national de  Chaillot.
Seul sur le grand plateau, avec une chaise et parfois un faible halo de lumière, pieds nus, Patrice Chéreau donne voix et corps au récit autobiographique de Guyotat. On est à mi-chemin entre la lecture et le théâtre, c’est un spectacle dépouillé en noir et gris,  où la langue s’incarne avec la densité et l’ampleur d’une toile de Soulages. Guidé par la mise en scène minutieuse et discrète du chorégraphe Thierry Thieû Niang,  Chéreau habite l’espace de son corps puissant et ramassé, et concrétise l’écriture en matière.
Sans pathos, il entraîne un public captivé dans une odyssée intime, dont les étapes choisies pour la lecture, sont autant de stations d’un calvaire : scènes d’enfance ( mort précoce de la mère, agonie d’une tante), puis  séjour à la clinique de ville d’Avray, hospitalisation à Broussais, vacances ou repas chez des amis, et enfin,  visite hallucinée au cimetière du village natal pour y proférer au clair de lune « une langue à en réveiller les morts ».
Telle que Chéreau la porte, elle réveille, en effet,  la langue de Guyotat, elle est la vitalité même, ; on ne s’y enlise pas et elle nous parvient dans toute sa sombre clarté:  il lui donne en effet une juste distance, parfois ironique, nous rappelant, avec l’auteur, que Vitez, plus il travaillait  Tombeau, plus il trouvait des vertus comiques à son  écriture.
A la lumière de ce spectacle, l’œuvre de Guyotat est à (re)découvrir .

Mireille Davidovici

Lecture faite les 13 et  17 septembre au Théâtre de la Ville.

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