À peine un souffle

À peine un souffle, texte et mise en scène d’Anne Kellen.

Il a tombé la veste, mais il lui reste les insignes de l’homme de pouvoir: la montre chère, le mépris, la suffisance de celui qui gagne, écrase, méprise, ignore, et s’amuse à fabriquer de la crise. Il n’est pourtant pas en bonne posture, ficelé sur un tabouret tournant, un bandeau sur les yeux. Un enlèvement ? Il est prêt à payer, l’argent n’est pas un problème, et sa situation d’otage serait presque un « plus », une distinction parmi les gagnants de ce monde. Il ne doute de rien. Enfin, jusqu’à un certain point…
Il tente de parlementer, mais l’autre ne répond pas. Inquiétude, peur : le trader masque tout ça sous l’ironie, et puis quelques petites fêlures s’ouvrent, et enfin l’autre lui répond, comme un mur répond à la balle de tennis, comme un dieu qu’on s’invente répond aux supplications.
On n’en saura pas plus, sinon que le puissant de ce monde est renvoyé non seulement à sa capacité de nuisance mais aussi à ses petites faiblesses et à son grand vide.
Christophe Allwright excelle dans l’excès, les ruptures, les accès d’humilité et l’humour du texte. Il donne généreusement corps à ce monologue métaphysico-social: malgré les questions existentielles qu’il pose, le texte a les pieds bien ancrés dans le réel de la crise économique et on ne le lâche pas pendant ces  quatre-vingts minutes.
Cela se passe au Théâtre de la Huchette, où vous pouvez voir, à un autre horaire et pour la cinquante-sixième année consécutive (record mondial) La Cantatrice chauve et La Leçon d’Eugène Ionesco, avec la chance de pouvoir tomber, (elle joue en alternance) sur Jacqueline Staup, dans le rôle de la Bonne. Elle était de la création, ou presque…
Dans cette petite rue animée de restaurants exotiques, « spécialités françaises » incluses, Jean-Noël Hazemann aidé par  sa petite équipe, dont Gonzague Phelip, auteur du Fabuleux roman du théâtre de la Huchette (Gallimard),  fait marcher son théâtre au coup de cœur. Cette fois, c’est pour Anne Kellen et sa pièce presque trop débordante, mais à découvrir.

Christine Friedel

Théâtre de la Huchette. T:   01 43 26 38 99.


Archive pour 25 septembre, 2012

Britannicus

 

 

 

Britannicus Britannicus-crédit-Pascal-Victor

Britannicus, de Jean Racine, mise en scène Jean-Louis Martinelli

Il faudrait se mettre à la place du spectateur qui voit Britannicus pour la première fois, quand, en habitué des théâtres, on se prend à écouter la pièce comme un vieil opéra. Néron a bien donné l’air de l’enlèvement de Junie, Agrippine un peu moins celui du réveil de son fils empereur mais très bien celui de son aveuglement prophétique au dernier acte, Britannicus celui des reproches injustes à Junie, et ainsi de suite. Passons : ce n’est pas le bon angle. Jean-Louis Martinelli s’est donné comme discipline précisément d’échapper à la « scène à faire » et à l’anticipation : les personnages ne savent pas à l’avance ce qui arrive, et tout ce qu’ils disent doit provoquer un jeu d’actions et réactions. Principe même du théâtre.

Donc, ce jour-là – car les fameuses vingt-quatre heures de la tragédie classique sont décisives – Néron, empereur, a fait un coup d’État, il a enlevé la noble Junie, fiancée de son demi-frère évincé, Britannicus, ôtant ainsi à sa mère Agrippine une pièce maîtresse de son jeu d’échec : « l’impatient Néron cesse de se contraindre ». Ce jour-là, Néron bascule du côté des tyrans, Agrippine perd son pouvoir d’impératrice et de mère, Britannicus perd la vie, Burrhus perd l’illusion de reconduire Néron sur le droit chemin, Narcisse le traître, l’homme au double jeu dont il essaie de « tirer son épingle », est massacré par la foule, et pour achever cette ronde des défaites et des désastres, Néron, inutile vainqueur, perd Junie, réfugiée chez les intouchables Vestales. Sans oublier Albine, la confidente d’Agrippine qui, elle au moins, gagne en clairvoyance tout au long de la pièce. Il est vrai qu’elle revient de loin.

Racine a remarquablement concentré l’histoire donnée par Tacite, il le traduit parfois littéralement avec un vrai génie. C’est l’histoire d’un « monstre naissant », pas si loin du Titus de Bérénice sur une question au moins : comment devient-on vraiment empereur ? Il faut une rupture. Rupture amoureuse pour Titus, rupture totale pour Néron : avec sa mère, avec son passé, avec ses éducateurs, avec la morale, avec la prudence. « Néron jouit de tout » : c’est ce qui fait la tyrannie, la pulsion pulvérisant la politique. Mais jouit-il de tout ? Junie au moins lui échappe, jusqu’à le rendre fou.

Tout cela, et bien d’autres choses encore tant la pièce est riche, il faut le jouer sans le déjouer. Difficile. Ici la probité de Jean-Louis Martinelli, qui l’incite à ne pas « faire le travail du spectateur » en lui traçant un chemin d’interprétation, joue souvent contre le spectacle. Celui-ci flotte parfois, dans le décor classique et juste de la ratière qu’est un palais : qui en connaît vraiment les détours ? Et pas de sortie : chacun est ramené au centre du jeu, tour à tour. Mais il y a là trop de moments, trop de mouvements indécis et indécidés. À voir quand même, pour la pièce, pour les hauts et les bas des acteurs, et pour Anne Suarez, superbe Junie, constamment au plus haut.

Christine Friedel

Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 27 octobre – 01 46 14 70 00

 

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Britannicus de Racine, mise en scène de Jean-Louis Martinelli

De Britannicus nous gardons un souvenir inoubliable de la mise en scène du Théâtre de la Salamandre à Tourcoing, voilà une trentaine d’années avec Marief Guittier en Agrippine ravageuse… Celle de Martinelli tient sagement la route avec une scénographie imposante de Gilles Taschet, un immense palais à colonnes et un plateau tournant lentement, on croit rêver.
Grégoire Oestermann (Narcisse) joue l’hypocrisie à merveille, Anne Benoît une solide et déchirée Agrippine, Jean-Marie Winling un honnête Burrhus, Éric Caruso en hypocrite Néron ressemble aux effigies d’anciennes pièces de monnaie. On ne décroche pas un instant car cette belle langue est honnêtement mâché dite.

Edith Rappoport

Théâtre des Amandiers de Nanterre, jusqu’au 27 octobre 2012 T: 01 46 14 70 00

O’Bloque

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O’Bloque, conception et mise en scène de Marie Damestoy.

Cette performance/spectacle, qui mérite mieux que son titre pas très futé, est comme l’indique sa conceptrice, l’une des parties du triptyque A. M. O. où elle fait appel à trois figures de la résistance féminine: Antigone, Médée, Ophélie, dénominateur commun d’un glissement hors-la-loi, hors la norme, à l’image du parcours de cette jeune femme de 33 ans qui séjourna un temps aux Beaux-Arts de Cergy-Pontoise puis aux universités de Nanterre et Saint-Charles en philosophie-esthétique, avant de faire un tour du monde, d’écrire dans plusieurs revues et, si l’on a bien compris, de vivre un moment dans la rue. Pour finir par s’occuper de gestion de spectacles…
C’est de cette expérience de SDF qu’elle a eu envie de parler et de mettre en scène dans un monologue/exorcisme de 45 minutes, sur fond d’autobiographie, un moment de la vie d’une jeune fille de bonne famille comme on dit, qui, de façon irréversible, va se retrouver à la rue et glisser vers la déchéance et la folie.
Malgré des études dites supérieures -DESS accumulés en mille-feuilles  que l’Etat, tous gouvernements confondus a laissé proliférer et qui n’aboutissent à rien dans une société française encombrée de sur-diplômés mais où il faut lutter pour trouver un plombier ou un menuisier compétent.
La jeune fille  fait donc la dure expérience de la solitude, de l’alcool, de la saleté physique, de la faim et du froid. Et pire encore, celle de l’humiliation; elle vit dehors et  par tous les temps, enfermée dans son sac de couchage, substitut du ventre maternel et dernier refuge avant la déchéance totale. Avec l’interminable ballet devant des passants qui lui jettent un regard indifférent ou vaguement apitoyé. Et, quand on lui donne un ticket-restaurant, on le lui fait durement sentir: « C »est pour manger chaud,  lui dit une brave dame,  qui croit bon de préciser : « C’est le patronat qui en paye la moitié ». Sans commentaires.

Seule sur le plateau, Pénélope Perdereau est, en jeans et pull à col roulé, cette jeune femme à la fois cynique, désespérée et au bord du gouffre. Les mots de Marie Damestoy claquent avec conviction et précision. Sans aucun effet de manches ; l’actrice est juste aidée par de (trop?) belles lumières et par une partition sonore un peu envahissante.
N’importe, le texte passe, et Marie Damestoy qui maîtrise parfaitement l’espace et le temps -merci les Beaux-Arts de Cergy- sait créer de très belles images, comme cette fin, où la jeune femme s’allonge entre deux cartons, ou tire derrière elle, comme unetraîne de robe de mariée faite de morceaux de carton ondulé et de boules de film plastique. C’est intelligent et beau, cela ne s’embarrasse pas d’effets vidéo, et rappelle à la fois, aux meilleurs moments, Wilson et Kantor.  Si, si , c’est vrai!

Le travail en cours, généreusement accueillie pour une présentation par le Tarmac, est encore  brut de décoffrage. Mais l’on y sent quelque chose de prometteur, si les petits cochons ne mangent pas Marie Damestoy. Création  prévue en janvier prochain à Meylan (Isère).

Philippe du Vignal

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