Dom Juan ou le Festin de pierre de Molière, mise en scène en scène de Jean-Pierre Vincent
Quand Molière crée Le Festin de Pierre au Théâtre du Palais-Royal en 1665, il vient de subir l’interdiction de Tartuffe. Il lui faut trouver une idée pour rebondir et redorer son blason! Il choisit donc un sujet à la mode (plusieurs Dom Juan ont été joués avec succès ces dernières années), et commande des toiles aux meilleurs décorateurs pour une production spectaculaire… qui lui assurera quinze jours de triomphe.
Jean-Pierre Vincent a souhaité «retrouver l’énergie première» de l’œuvre, « sa fraîcheur, sa vigueur pamphlétaire » : il prend donc Molière au pied de la lettre, en toute liberté. Délestant la pièce du poids des lectures successives dont elle a fait l’objet, il la resitue, avec les costumes du talentueux Patrice Cauchetier, dans son époque d’origine.
Comme lors de sa création, la peinture est aussi au rendez-vous. : Jean-Paul Chambas déploie des ciels changeants où se greffent, selon les actes, une colonne, l’ombre d’un pin, une forêt à la renverse dans le brouillard et la tempête. A l’avant scène, de petits cailloux blancs figurent des rochers ou les galets de la plage. Un terrain d’aventure où Dom Juan batifole pendant les trois premiers actes, qui contrastent avec un décor clos et des costumes sobres et sombres, des deux derniers.
L’équipe de Vincent et les comédiens du Français donnent la pièce, tout simplement : une succession de scènes écrites au scalpel, un enchaînement de péripéties romanesques, une présence du fantastique (coups de tonnerre, apparition du commandeur) . On en découvre avec plaisir les rouages, on entend les propos, pourtant déjà connus, d’une oreille neuve.« Pour la respecter vraiment, il faut être aussi libre qu’elle,… oser entendre ce qu’elle dit, simplement, car Molière ne compliquait pas les choses à plaisir. » dit Jean-Pierre Vincent.
Dom Juan ( Loïc Corbery) est un jeune libertin, élégant, effronté insouciant, conquérant, Sganarelle (Serge Bagdassarian) rond, raide, maladroit, représente le bon sens populaire mâtiné de vertu bourgeoise avide de respectabilité.Tel Don Quichotte et Sancho Panza, le couple mythique nous entraîne dans des aventures rocambolesques, en devisant de l’état du monde.
Tout en cherchant le succès, Molière, grâce à une rhétorique bien huilée, s’en prend au passage au clan des dévots, aux courtisans hypocrites (préfigurant ainsi Le Misanthrope). Il pourfend le mensonge, les superstitions de tout ordre, plus particulièrement les nombreuses invocations du ciel.
C’est l’une des raisons qui lui valut d’être mise au placard . Expurgée et versifiée par Thomas Corneille pour être reprise en 1677, sous le titre inchangé Le Festin de pierre par Armande Béjart et La Grange (qui avait tenu le rôle de Dom Juan face à Molière /Sganarelle en 1665), l’œuvre d’origine ne fut redécouverte qu’en 1841 et représentée sous le titre Dom Juan . Et n’a depuis cessé d’être représentée.
Dom Juan fut d’un genre assez inclassable, pour la postérité, oscillant entre comédie et tragédie. Jean-Pierre Vincent, lui, prend le parti de la comédie, insistant sur le burlesque des situations (la scène des paysans, le raisonnement bancal de Sganarelle en réponse à l’athéisme de Dom Juan , et se risque même à ralentir le rythme (comme dans la scène avec Monsieur Dimanche). Mais il tient le pari jusqu’au bout, en nous réservant une facétie finale. Si Sganarelle garde le fameux dernier mot : « Mes gages, mes gages !», dans une réaction à la mort bien peu chrétienne de son maître qui scandalisa à l’époque, c’est à Dom Juan qu’appartient ici le dernier coup de théâtre : il se relève, indemne, et sort… aussi libre qu’il était entré.
Ce précurseur du siècle des Lumières qui ne croit qu’en « deux et deux sont quatre », et qui n’hésite pas à défier le ciel, les fantômes et autres moines bourrus, Vincent, en homme du XXlème siècle ne pouvait le condamner à être terrassé par une statue ridicule comme Molière, qui, pour la forme, avait été contraint de le faire !
Mireille Davidovici
Théâtre éphémère de la Comédie-Française jusqu’au11 novembre.