Une faille
Une Faille, feuilleton théâtral, saison 1 : Haut-bas-fragile. Episodes : 1-4 Pris au piège,mise en scène de Mathieu Bauer.
Un immeuble en construction s’est effondré sur une maison de retraite. Trois mort, des blessés, et cinq disparus (plus un, qu’on découvrira ensuite). Pour les secours, en haut, ils ont peut-être péri sous les décombres. Pour nous, spectateurs, nous avons vu leur radeau de la Méduse émerger de la brume de poussière et nous allons suivre les péripéties de leur sauvetage – « ou pas », comme on a l’habitude aujourd’hui d’atténuer toute affirmation. En haut : les pompiers, le « dir-cab » (directeur de cabinet) de la Mairie (nota bene : personne n’est directement visé : on est à Montreuil (93), mais c’est Monsieur le Maire qui est en déplacement).
Ce dernier nous donne un étourdissant numéro des « éléments de langage » nécessaires pour faire face aux médias. Mais nous, nous avons à faire face au danger d’un nouvel effondrement, disent les pompiers. Et nous, nous voulons savoir, et comprendre, dit sans parler le peuple venu sur place.
En bas, les angoisses vont et viennent, entre les cinq personnages-type enfermés ensemble : le jeune homme « métis culturel » à la caméra goinfre qui fait hausser les épaules au vieux critique de cinéma, l’homme mystérieux qui en sait un peu trop sur la construction, la femme médecin désabusée, en visite ce jour-là à la maison de retraite –mauvais moment, mauvais endroit-, et la jeune fliquette tout juste « débarquée de sa province », avec les problèmes de logement afférents.
Tout cela est mis en scène comme un grand opéra cinématographique. On joue avec la série télé, avec le « menu » sur écran, le récit est interrompu comme il se doit au moment le plus palpitant (cliffhanger), avec la diffusion accélérée du – vrai – générique du spectacle, on voit les séquestrés en double, comédiens et leur image vidéo en gros plan, et parfois trois espaces simultanément, le tout à un rythme très particulier.
Le feuilleton permet d’aller très vite et aussi de prendre son temps, d’introduire une discussion, un débat – que pourraient faire de mieux nos prisonniers des décombres ? Et la foule, sur la place, et ses indignés ?- Et de faire évoluer les personnages, si possible de façon tout à fait invraisemblable : privilège des séries, on y croit, on en veut.
En veux-tu, en voilà : nous sommes gâtés par ce spectacle total. Il y a là, dans le jeu de tous les éléments scéniques, un vrai bonheur. Même s’il y a, comme on dit, des longueurs, même si la poésie fait défaut dans l’écriture (en particulier dans les scènes des enfermés). Expliquons-nous : le dialogue est juste, bien vu et bien documenté, parfois trop explicatif, en manque de quoi ? Du risque d’une perte de contrôle, sorti des efficaces figures imposées ?
Cette poésie, elle, revient pourtant dans le langage scénique : par le jeu jubilatoire, on ne le dira jamais assez, de la fabrication du théâtre, musique, lumières, scénographie mouvante. Et avant tout par la présence et la grâce des acteurs. Joris Avodo, Pierre Baux, Michel Cassagne, Christine Gagneux, Mathias Girbig, Lou Martin-Fernet, et, à l’image, Didier Sauvegrain, enrichissent l’affaire de leur histoire de comédiens, trois générations se frottant pour le meilleur. Une dimension de plus ajoutée à ce spectacle multidimensionnel.
Avec une grande intelligence et beaucoup de joie de vivre, et un talent formidable à coordonner tant de talents divers, Mathieu Bauer a réussi un spectacle juste, pour inaugurer sa fonction de directeur du Centre Dramatique National de Montreuil.
Du théâtre populaire : pas pour la ville, mais avec la ville, dans la ville, en amour et en bagarre avec la ville, avec les musiciens du conservatoire, avec le peuple des comédiens amateurs présent sur le plateau.
Ce qui, évidemment, produit de l’universel, c’est bien la moindre des choses.
Christine Friedel
Nouveau théâtre de Montreuil CDN – 01 48 70 48 90 -jusqu’au 14 octobre.
Episodes 5 et 6 à partir du 3 décembre