La petite

La Petite, texte et mise en scène d’Anna Nozière

Ça commence par la fin: applaudissements (enregistrés) et saluts. En fait, c’est une suite au précédent spectacle : Anna Nozière ne croit pas que les choses se ferment, que « la vie » et « la scène » soient séparées, ni les morts des vivants. Et ce n’est pas pour rien qu’elle a placé la fiction de La Petite dans un théâtre.

Sur la scène, un phénomène : la Petite est enceinte, le fœtus va bien, mais il ne grandit plus. Débat médical, débat de société, que faire ? Le public ne vient plus que pour cela – et l’art, là-dedans ?-, tandis que sur le plateau, au milieu des querelles et de la discipline des comédiens, erre le fantôme de la mère de la Petite, morte à la naissance de celle-ci. C’est compliqué ? C’est compliqué. La pièce est faite de strates accumulées, du désir de l’auteure metteuse en scène de toucher à la transcendance tout en faisant place aux petites réalités, aux ridicules du travail de théâtre.

On pense parfois au théâtre sud-américain, du côté de Nelson Rodrigues, avec un peu plus d’humour quand même. De belles poupées jouent les enfants morts, la petite fille, le nouveau-né.

Objet non identifié, sinon comme exercice d’une jolie équipe de jeunes comédiens, La Petite est un peu comme l’enfant qui ne grandit pas, resté dans le ventre maternel…

Christine Friedel

 La petite petite-1-615_elisabeth-carecchio

Théâtre de la Colline – 01 44 62 52 52 – jusqu’au 27 octobre

 


La Petite, texte et mise en scène d’Anna Nozière,

Anna Nozière conserve des  souvenirs assez peu sympathiques de son enfance, et ses spectacles  sont nés de son expérience personnelle. Dans Les Fidèles, histoire d’Annie Rozier, une jeune fille est rejetée par sa mère qui la battue et maltraitée pendant son enfance. C’était un  spectacle sombre  qui   avait remporté un prix au festival Impatience 2010 de l’Odéon. Et le texte tout à fait prometteur en avait  été publié aux Solitaires intempestifs.
La Petite n’est pas d’un genre plus réjouissant… C’est l’histoire d’une jeune fille née sur scène, d’une mère actrice qui mourut   en lui donnant le jour à l’issue d’une  représentation. La Petite, devenue actrice elle-aussi, est enceinte, mais son fœtus qui se porte bien ne grossit plus depuis plusieurs mois. Le spectacle commence par du théâtre dans le théâtre… et  les six acteurs saluent au début de la représentation.
On se perd un peu dans les dédales de cette étrange histoire encore incertaine lors de  cette deuxième représentation, l’une des actrices étant tombée malade une semaine avant la première. Mais cette douleur de l’enfant perdu, représentée par deux poupons qu’on manipule, et  le deuil impossible d’une mère inconnue, devrait pouvoir trouver une vérité théâtrale au fil des représentations…

Edith Rappoport

Théâtre de la Colline, jusqu’au 27 octobre.

www.colline.fr


Archive pour 30 septembre, 2012

La Barque le soir

La Barque le soir de Tarjei Vesaas, traduction de Régis Boyer, mise en scène de Claude Régy.

       La Barque le soir barqueTarjei Vesaas né en 1987, est mort en 70 à Oslo. Fils de paysans norvégiens qui ont favorisé son goût pour la lecture, il a vécu toute sa vie dans une ferme bâtie par ses grands-parents, après deux ans d’études en université populaire et un an de service militaire. Il est l’auteur de nombreux poèmes, de nouvelles et de pièces de théâtre écrits, nous dit Régis Boyer, grand spécialiste de littérature nordique, dans le dialecte chantant de sa province, le Telemark.
La Barque le soir est généralement considéré comme son chef-d’œuvre, sans doute d’inspiration autobiographique. Ce sont comme des suites de souvenirs, « des réminiscences claires d’événements qui ont marqué sa vie », où la nature, la neige, l’eau, les oiseaux, la terre, ses fleurs et ses récoltes sont autant de choses qui ne sont pas seulement des thèmes littéraires mais qu’il a vécues au plus près son existence. La Barque le soir est comme une sorte de testament, de confession très personnelle mais pleine de pudeur, d’un homme qui sait la mort qui s’approche (il a 70 ans). « Le cœur est fendu en deux et ne sait ce qu’il veut. La barque doit aller pour lui-jour et nuit ne sont qu’un rideau changeant à traverser. Avancer d’un courage farouche. Pas à cause des hommes. A cause d’énigmes embarrassantes. Le cœur est fendu en deux en grand secret. »
Claude Régy, à presque 90 ans, n’a rien perdu de son talent ni de sa passion pour adapter à la scène des textes poétiques comme ceux de Pessoa, ou de Vesaas dont il avait déjà  monté en 2010 Brume de Dieu d’après Les Oiseaux. Il signe ici dans la petite salle des Ateliers Berthier une mise en scène d’une grande exigence où il s’agit pour lui, dit-il,  » de nous introduire un peu comme par effraction, dans une une expérience intérieure à la limite du pensable. A l’extrême du vivant. Sous l’apparence d’un être en difficulté, on assiste à un ébranlement de la pensée. on entend les coups frappés et leur résonance. On capte des éclats plus loin que le savoir. »
Dès l’entrée dans le petit hall de la salle, nous sommes prévenus: une affichette indique que le silence est requis.La salle est presque obscure, juste éclairée par quelques spots de lumière rose.Puis le noir se fait pendant plusieurs minutes. Et Yann Boudaud, que l’on a vu souvent chez Régy, s’avance vers le bord de scène dans une pose hiératique, et commence à dire le long poème de Vesaas avec lenteur et concentration. Aucun décor sinon un tulle derrière lequel on aperçoit un rideau rouge foncé qui, à un moment, semble devenir une sorte de sculpture.
La remarquable scénographie,  due à Salladhyn Khatir, éclairée par les lumières de Rémi Godefroy est une sorte d’écrin d’une grande beauté plastique qui souligne la parole de l’acteur, soutenue par la musique parfois presque imperceptible mais très signifiante de Philippe Cachia qui pourtant joue ici un rôle majeur. Tout est prêt pour cette métaphore de ce long voyage vers la mort.
Bien sûr, l’approche de ce texte n’est pas des plus faciles et il y faut une concentration comparable à celle que développe l’acteur, presque immobile pendant 80 minutes, très bien dirigé par Claude Régy et soutenu vers la fin par la présence muette d’Olivier Bonnefoy et de Nichan Moumdjian. C’est un travail d’une rare exigence, tout à fait remarquable d’intelligence et de sensibilité, où la grande maîtrise d’un texte est ici portée à son plus haut niveau par Claude Régy.

Cette extrême lenteur pourrait devenir exaspérante mais on se rend compte qu’elle a quelque chose d’indispensable à la profération de la poésie de Vesaas, et on finit par trouver « normale » cette lenteur, pourtant très inhabituelle dans notre époque survoltée. Comme l’écrivait Marie-José Mondzain: « La condition sine qua non pour qu’il y ait de l’art, c’est qu’il y ait du temps. Il faut freiner. Un temps d’arrêt, une langueur c’est un gain; l’impatience mène à la catastrophe(…) Même les gens qui travaillent dans l’image mobile, dans le spectacle vivant,  travaillent avec le temps, et travailler avec le temps, c’est freiner, c’est ralentir ».
Donc, attention,  vous êtes prévenus: le spectacle est d’une approche difficile, et il faut en quelque sorte le mériter, mais, si vous trouvez une place, il mérite largement d’être vu; c’est comme une sorte d’immersion dans une vie où le silence et la poésie domine.nt.. Comme le dit Vesaas:  » Ne pas comprendre, mais être à proximité de ce qui se passe.Ne pas essayer de comprendre le grand branchage sous la terre. Là où des lacs éclatent en sources innombrables qui à leur tour éclatent en sources innombrables et finalement en sources impensablement petites – tandis que les assoiffés restent assoiffés derrière les assoiffés. Quand on a compris cela sans comprendre tout de même, que doit-on faire? ».
Merci, Claude Régy.

Philippe du Vignal

Ateliers Berthier/ Odéon (17 ème), petite salle,  jusqu’au 3 novembre.

L’œuvre de Tarjei Vesaas est en partie disponible en français: La barque le soir (1968), José Corti 2003,Le Germe (1940), Flammarion 1993,La Maison dans les ténèbres (1945), Flammarion 1993,Les Oiseaux (1957), éditions plein-chant 2000, Le Palais de glace (1963), Flammarion 1993, La Blanchisserie, Flammarion 1997, Être Dans Ce Qui S’en Va, poèmes, éditeur Editer 2006, Les Ponts (1966), éditeur Autrement 2003, Les chevaux noirs (1928), Actes Sud 1999, Le vent du nord (1952), nouvelles, Table Ronde La petite Vermillion 1993, Une Belle journée (1959), Nouvelles- éditeur Le passeur 1997, L’arbre de santal (1933), Actes Sud 1994, L’incendie, (1961), Flammarion, 1979, réédité en 1992.
Palais de glace (Flammarion), Les Oiseaux (Plein chant). Le Germe (Le Livre de poche) et l’Incendie ( L’œil d’or)

Déluge

Déluge d’Anne-Marie White, mise en scène d’Anne-Marie White et de Pierre-Antoine Lafon Simard.

Déluge deluge1L’auteure est une personnalité du paysage franco-ontarien!  Écume (voir le Théâtre du Blog) nous a avait déjà révélé la particularité de son écriture, à la fois dramatique, poétique, qui ne tient pas compte  des contraintes   scéniques.
Ce quasi-monologue, parfois interrompu  par des voix qui viennent du voisinage ou par des figures fantasmatiques de la famille, nous fait entendre les obsessions de Solange, une jeune femme plongée dans un trauma  provoqué par la mort d’un enfant. Obsessions qui semblent émerger des profondeurs d’une psyché blessée, et  qui possèdent alors  ce corps de femme réduit à l’abjection, au déchet, et à la pourriture.
Solange évoque des moments dramatiques de son passé: la lente déchéance de son esprit et la conscience d’un corps qui cherchait à éveiller son instinct maternel se confondent alors avec les souvenirs de Dumbo, un enfant dont elle avait la garde et qu’elle aimait. Jusqu’au moment tragique de sa mort … Les circonstances n’en sont pas claires mais les conséquences, elles, le sont. Depuis, Solange  est en proie à des images d’abus, de viol, de meurtre et de  pourriture qui la rongent et qui mettent en évidence son impuissance, sa culpabilité et l’horreur  qu’elle a d’elle-même.
La mise en scène, assurée par l’auteur et par Pierre-Antoine Lafon Simard, est remarquable. En effet, Déluge est surtout  un oratorio qui tient à peine compte d’un espace  scénique. Tout était donc  à inventer et  les deux metteurs en scène ont  trouvé des solutions visuelles et sonores surprenantes.
Une  pièce mansardée, poussiéreuse et  délabrée, avec, pour seuls accessoires, quelques  chaises, une table et un vieux matelas moisi, évoque l’esprit inerte de Solange. Et il y a un grand mur en verre, légèrement en pente qui devient un écran où les images du passé défilent et évoquent le monde enfantin qui hante la parole autodestructrice de Solange. Cela  nous aide à retrouver le fil de cette poésie baroque parfois difficile à pénétrer.
Des voix off incarnent  magistralement les obsessions de Solange. Des rencontres  avec un amant dentiste aux  allures de partenaire sado-maso, un sac à ordures libidineux, (l’humour ne manque pas malgré tout) et des  marionnettes tueuses.  on évoque des jeux enfantins. On croise aussi  des cousins barbares, un père dangereux et surtout, un hamster géant,  attiré par l’odeur de  pourriture qui ronge le corps de cette femme, comme l’incarnation d’une ultime punition…
La comédienne qui joue Solange, figure centrale, voix et  source de tout, est remarquable. Sa voix rauque incarne le monde fantasmatique du texte. Solange devient ainsi une figure ambivalente et aliénée des autres…Corps, offert, exposé, ou tout simplement inerte, gisant sur un matelas sale, paralysé, comme  désarticulé,  incarnation du trauma de cet esprit qui ne peut plus fonctionner dans le monde.
C’est un récit inquiétant et qui n’est pas évident et qu’il faut écouter attentivement. Mais la mise en scène  valorise les moments importants de la mémoire abimée d’un être en pleine déchéance et le jeu singulier de la comédienne. En effet,  Anne-Marie White et Pierre-Antoine Lafon Simard  soulignent  l’humour apparent   de cette fantaisie,  sans  nous en épargner  la nature  cauchemardesque. Un très beau travail et la découverte  d’une auteure dramatique  vraiment douée!

Alvina Ruprecht

La Nouvelle scène jusqu’au 30 septembre. T: 613-241-27 27. La pièce sera lue au Festival des Francophonies  de  Limoges .

 

Une production du Théâtre du Trillium présentée à la Nouvelle scène, Ottawa jusqu’au 30 septembre. La pièce fait l’objet d’une lecture au Festival des Francophonies en Limousin

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