Déluge
Déluge d’Anne-Marie White, mise en scène d’Anne-Marie White et de Pierre-Antoine Lafon Simard.
L’auteure est une personnalité du paysage franco-ontarien! Écume (voir le Théâtre du Blog) nous a avait déjà révélé la particularité de son écriture, à la fois dramatique, poétique, qui ne tient pas compte des contraintes scéniques.
Ce quasi-monologue, parfois interrompu par des voix qui viennent du voisinage ou par des figures fantasmatiques de la famille, nous fait entendre les obsessions de Solange, une jeune femme plongée dans un trauma provoqué par la mort d’un enfant. Obsessions qui semblent émerger des profondeurs d’une psyché blessée, et qui possèdent alors ce corps de femme réduit à l’abjection, au déchet, et à la pourriture.
Solange évoque des moments dramatiques de son passé: la lente déchéance de son esprit et la conscience d’un corps qui cherchait à éveiller son instinct maternel se confondent alors avec les souvenirs de Dumbo, un enfant dont elle avait la garde et qu’elle aimait. Jusqu’au moment tragique de sa mort … Les circonstances n’en sont pas claires mais les conséquences, elles, le sont. Depuis, Solange est en proie à des images d’abus, de viol, de meurtre et de pourriture qui la rongent et qui mettent en évidence son impuissance, sa culpabilité et l’horreur qu’elle a d’elle-même.
La mise en scène, assurée par l’auteur et par Pierre-Antoine Lafon Simard, est remarquable. En effet, Déluge est surtout un oratorio qui tient à peine compte d’un espace scénique. Tout était donc à inventer et les deux metteurs en scène ont trouvé des solutions visuelles et sonores surprenantes.
Une pièce mansardée, poussiéreuse et délabrée, avec, pour seuls accessoires, quelques chaises, une table et un vieux matelas moisi, évoque l’esprit inerte de Solange. Et il y a un grand mur en verre, légèrement en pente qui devient un écran où les images du passé défilent et évoquent le monde enfantin qui hante la parole autodestructrice de Solange. Cela nous aide à retrouver le fil de cette poésie baroque parfois difficile à pénétrer.
Des voix off incarnent magistralement les obsessions de Solange. Des rencontres avec un amant dentiste aux allures de partenaire sado-maso, un sac à ordures libidineux, (l’humour ne manque pas malgré tout) et des marionnettes tueuses. on évoque des jeux enfantins. On croise aussi des cousins barbares, un père dangereux et surtout, un hamster géant, attiré par l’odeur de pourriture qui ronge le corps de cette femme, comme l’incarnation d’une ultime punition…
La comédienne qui joue Solange, figure centrale, voix et source de tout, est remarquable. Sa voix rauque incarne le monde fantasmatique du texte. Solange devient ainsi une figure ambivalente et aliénée des autres…Corps, offert, exposé, ou tout simplement inerte, gisant sur un matelas sale, paralysé, comme désarticulé, incarnation du trauma de cet esprit qui ne peut plus fonctionner dans le monde.
C’est un récit inquiétant et qui n’est pas évident et qu’il faut écouter attentivement. Mais la mise en scène valorise les moments importants de la mémoire abimée d’un être en pleine déchéance et le jeu singulier de la comédienne. En effet, Anne-Marie White et Pierre-Antoine Lafon Simard soulignent l’humour apparent de cette fantaisie, sans nous en épargner la nature cauchemardesque. Un très beau travail et la découverte d’une auteure dramatique vraiment douée!
Alvina Ruprecht
La Nouvelle scène jusqu’au 30 septembre. T: 613-241-27 27. La pièce sera lue au Festival des Francophonies de Limoges .
Une production du Théâtre du Trillium présentée à la Nouvelle scène, Ottawa jusqu’au 30 septembre. La pièce fait l’objet d’une lecture au Festival des Francophonies en Limousin