Le Tour de l’Ile

Le Tour de l’Ile, mise en scène de Sylvie Dufour, direction musicale de Claude Naubert.

Le Tour de l’Ile 68644_1Voilà la musique de mon pays,  explique le directeur musical  quand les interprètes investissent le petit espace du Théâtre de l’Ile (119 places) plein à craquer.
Rendre hommage à Félix Leclerc, la voix exquise de la chanson populaire québécoise, n’est pas une mince affaire et l’équipe de Sylvie Dufour y a quand même en partie  réussi.Bien sûr, il n’était pas question d’imiter le chanteur.
Et le  Théâtre de l’Ile ne pouvait monter  une grande production bien léchée, qui aurait  été bien au-delà des moyens… Il s’agissait surtout de cerner la poésie de  cette musique qui chante Le petit  Bonheur, la vie de tous les jours des petits gens « de chez nous »qui  ont inspiré Félix  Leclerc  de 1950 jusqu’à la fin des années 70.

La soirée se déroule en  deux mouvements, avec  chacun une orientation très différente.Les chansons très lyriques, les sonorités douces et nostalgiques mettaient en évidence l’amour, la famille, les rêves, l’émotion, et le bonheur des agglomérations éloignées de Montréal. Le fameux Train du Nord est un moment amusant, comme Mon petit Bonheur que toute la salle connaissait…
Mais la seule voix capable de cerner l’esprit néo-romantique et doucement nostalgique de Leclerc était Claude Naubert. Fin musicien, excellent chanteur et magicien de la guitare, il a su mettre en valeur l’émotion de cette musique. Les autres interprètes n’étaient pas à la hauteur. Avec des acteurs qui n’étaient pas des chanteurs ou des chanteurs dont la voix ne convenait pas aux tons lyriques et poétiques de la musique du poète. .
La seconde partie  de la soirée était mieux réussie, grâce au choix des textes. Avec, par exemple, le récit très terre à terre et extrêmement drôle de la femme qui attendait que son mari meurt pour pouvoir partir avec son amant. Malheureusement, le pauvre avait survécu,  ce qui donne  une bonne farce à la québécoise. Nous découvrons un Félix Leclerc,  auteur comique, doué d’une profonde conscience sociale et  grand créateur des scènes burlesques  de la vie de tous les jours quasi paillardes.
Ces dramaticules charmantes et  très drôles, étaient bien mieux adaptées aux acteurs, que le lyrisme chanté des années 1960. Micheline Marin chante mais sa voix intense, et son talent de comédienne gouailleuse conviennent  parfaitement au rôle de la femme railleuse qui attend avec impatience la mort du mari alors que l’amant lui pinçe les fesses. Ce côté vulgaire, paillard et très terre-à-terre de  de Leclerc que nous ne connaissions pas, a été bien mieux servi par la petite équipe.
Toutefois, l’émotion l’a emporté et le public ravi, en a  eu pour son  argent. Un couple est parti en disant : « ce n’est pas du théâtre », mais les autres spectateurs  ont aimé  la forme de cet hommage à un  chanteur québécois qui a laissé sa marque à travers le monde francophone.

Alvina Ruprecht

Le Théâtre de l’Ile, Gatineau, 20h00, jusqu’au  13 octobre


Archive pour septembre, 2012

Fellag, Petits chocs des civilisations

 

Fellag, Petits chocs des civilisations, mise en scène de Marianne Épin

Il ne peut pas s’empêcher d’entrer avec une valise, et de raconter son voyage, leur voyage, ce voyage entre l’Algérie et la France. Terroriste, forcément terroriste, son personnage commet gaffe sur gaffe dans le train, précisément au moment de l’attentat au RER Saint-Michel, en 1995.
Rire des malheurs de Charlot dans la tragédie du monde, on sait le faire. Ici, miracle, Fellag arrive à nous faire éclater de rire à côté de l’événement tragique, sans le minimiser, sans cynisme, sans une once de cruauté. On ne vous racontera pas la blague, tant elle paraît insignifiante mais  peu à peu elle s’aiguise et s’affine. C’est comme ça durant tout le spectacle : Fellag est le roi de la blague à deux ou trois étages ; on rit, bon, d’accord, c’est un peu gros, puis il tire une seconde salve qui pulvérise la première et parfois une troisième, et ça va toujours dans le sens de la profondeur et de l’intelligence, futée,  affûtée, bien aiguisée.
On n’en est qu’au prologue. Il revient ensuite en cuisinier et nous donne son « cooking show » -autre choc des civilisations, et signe de notre déprime bien française qu’il dénonce : on prend des mots anglais pour donner une misérable valeur aux choses -. La découverte, c’est que le couscous est devenu le plat préféré des Français. Voilà qui en dit long sur les tours, détours et retournements de la colonisation. Rencontre des légumes, collier de pois chiches, viandes diverses et variées – avec un interdit absolu - : le couscous est une marmite débordante de métaphores, d’anecdotes, de réflexions sur les interdits et les tyrannies des religions. Allez donc ouvrir le frigo pendant le ramadan, et profitez du décor astucieux de Sophie Jacob… Laissez donc frémir vos narines…
Fellag n’est pas le premier à cuisiner sur scène. Ces gestes, ces parfums ont pourtant ici une présence plus juste que jamais : ils sont les mots d’une Algérie aimée, en version originale. Aimée et quittée : à l’écouter (comme dans ses précédents spectacles), on comprend pourquoi. Ce qui se cuisine là, cinquante ans après la fin de la guerre, c’est la sauce dans laquelle trempent ensemble, quoi qu’elles veuillent,  l’Algérie et la France. Et qui fait fondre les préjugés, les méfiances, enfin quand le couscous est réussi.
On ne vous en dira pas plus : le public, tout acquis il est vrai, sort en disant « ça fait du bien ». Faites-vous du bien, allez écouter cet auteur percutant et grave, cet acteur généreux, qui n’a pas peur d’improviser un brin. On nous dira qu’il ne bouleverse pas les formes théâtrales. C’est vrai. Mais il lui arrive de bouleverser le spectateur. Er surtout de le faire éclater de rire.
Son théâtre modeste procède comme ses blagues : l’air de rien, il nous amène à regarder ce que nous n’avons pas du tout envie de voir – les actuelles guerres des religions – et ce que nous n’osons pas voir, caché sous la différence et les rancunes : ce qu’il faut bien appeler fraternité. Même si les frères s’appellent parfois Caïn et Abel.

Christine Friedel

Théâtre du Rond-Point, 18h30, jusqu’au 10 novembre. 01 44 95 98 21

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La Baronnade

La  Baronnade par la Fanfare des Grooms.

La  Baronnade grooms

Les Grooms ont encore frappé… Et c’est à Aubin, dans le Nord de l’Aveyron, tout près de Decazeville, dans le cadre du Patrimoine en scène, organisé par la communauté de communes pour les journées du Patrimoine. Entreprise supervisée  par l’équipe de Derrière le hublot, le festival de Capdenac, à quelques kilomètres dans le Lot.
Aubin,  située sur un piton rocheux, est une petite ville de 4.000 habitants qui possède encore un fort, une halle aux grains, de belles maisons à colombages et deux  église romanes mais aussi un Musée de la mine, puisque jusqu’au milieu du 20ème siècle, Aubin vécut grâce à l’exploitation  du charbon.

 C’est aussi (mais il n’y a pas encore de plaque commémorative) le lieu où vécut  ses vingt premières années, Claudine Chaigneau,  notre chef-blogueuse préférée qui était présente. Donc, Les Grooms avant de repartir vite fait  pour Lorient, ont investi les ruelles de la  vieille ville d’Aubin avec La Baronnade,  un spectacle de 2002, donc tout à fait rodé, et, où, à leur habitude, les huit instrumentistes  (un tuba, deux clarinettes, quatre  saxos et un trombone)  et deux chanteurs lyriques Sevan Manoukian et Jacques Auffray, s’amusent à concilier, sur des arrangements d’Antoine Rosset et Serge Serafini,  musiques savantes et populaires: cela va de Wagner, en passant par  La Flûte enchantée  que chante une « habitante »,  à la Norma de Bellini que chante aussi cette même « habitante », pendant que son mari, debout à côté d’elle,  tient son chat dans les bras.
Et Les Grooms, qui savent s’y prendre,  réussissent  ensuite à faire reprendre l’air au public!   » Contrairement à toute attente, vous allez y arriver, même en faisant la, la, la »…  En passant par de merveilleuses  chansons du Moyen-Age, (Le Tourdillon, et Belle qui tiens ma vie,  un air de reggae, Vive  Henri IV, une  chanson populaire (1600), et deux mélodies  de Bobby Lapointe…

Aucune sono, pas de scène ni de micros HF,  et aucun autre éclairage que la douce lumière d’une après-midi de septembre… Ce patchwork musical, impeccablement joué et mis en scène,  est en parfaite osmose avec la déambulation dans les ruelles où un  « habitant » ouvre sa fenêtre pour se plaindre du bruit intempestif de la fanfare avant de se prendre au jeu et de se mettre lui aussi à chanter l’air de Figaro, tout en balançant en rythme l’eau de son petit arrosoir sur le public… enchanté. Ce mélange,  à la fois farcesque et de haut niveau musical, a fait, avec juste raison,  la renommée des Grooms.
Comme dans cette merveilleuse scène finale,  où cette même jeune femme-encore la même!- chante Carmen,  avant que son toréador,  tout habillé de noir avec tee-shirt et casquette marqués « sécurité », ne débarque en voiture aussi noire pour chanter en duo, avant de l’emmener  avec lu. C’est aussi décalé que plein d’humour.

Ce cocktail musique/chant/théâtre, parfois improvisé avec humour, en parfaite complicité avec le habitants et quelques membres de la chorale de Decazeville, dirigée par François Mailhé,  parait très simple mais est tout à fait maîtrisé: les Grooms ont une sorte de don caméolonesque pour apprivoiser un public qui va sans doute assez peu au théâtre.
Vous avez dit populaire? Sans aucun doute…
En cette fin de saison ensoleillée, les habitants d’Aubin et des environs, tout âge confondu, auront vécu un bon moment.

Philippe du Vignal

Aujourd’hui, 16 septembre à Hennebout près de Lorient, puis en tournée en France, et le 16 décembre à Figeac (Lot)

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UNE SEMAINE EN COMPAGNIE

Une Semaine en compagnie

Pour la deuxième année consécutive, trois structures se sont réunies pour ouvrir la saison théâtrale avec Une Semaine en compagnie. Comme l’an dernier, un vent d’air frais souffle sur le théâtre avec de jeune pousses prometteuses, sur l’initiative du Collectif 12 de Mantes-la-Jolie, de la Maison des Métallos et du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, soutenus par ARCADI, agence culturelle de la région Ile-de-France

 

Wagons libres  par la Compagnie Wagons Libres, conetption et interprétation de  Sandra Iché.

Encore un solo, bizarre, bizarre ! Sandra Iché, danseuse formée à l’école PARTS d’Anna Teresa de Keersmaeker, a fait un DESS en sciences politiques à l’UNESCO et au Centre Culturel Français du Caire. Elle a travaillé sur Beyrouth autour de L’Orient-Express, magazine libanais politique et culturel, dont le rédacteur en chef Samir Kassir a été assassiné en 2005.
Assise, elle manipule des écrans où apparaissent des commentateurs politiques qui analysent avec une certaine ironie l’inextricable situation politique de leur Liban, pays du Cèdre, neutre il y a bien longtemps. Malgré les maladresses et une absence de théâtralité, on sent un amour émouvant pour cette terre déchirée.

Maison des Métallos, 13 septembre à 18 h 30
sandrah_@hotmail.com

L’Examen de la maturité  de Witold Gombrowicz, par la compagnie des Esquimots, mise en scène de  Marion Chobert.

UNE SEMAINE EN COMPAGNIE  examenGombrowicz, thuriféraire de l’immaturité, avait tenu secret ce texte qu’il avait écrit en Argentine où il s’était exilé en 1939. Il se met en scène au sein de sa propre famille à l’âge de 17 ans, il subit de violentes critiques de la part de ses parents qui le jugent incapable de passer à l’âge adulte.
Il s’obstine à marcher pieds nus, mais  ne peut passer dignement l’examen de la maturité, l’équivalent de notre baccalauréat français.
On le voit d’abord attablé avec ses parents et sa sœur au cours d’un dîner sinistre où il se fait rabrouer violemment, puis soumis à l’épreuve du service militaire qu’il abomine et dont il finit par s’enfuir.
Dans un dispositif scénique des plus simples, la table du repas familial et une échelle pour le service militaire, un éclairage à la torche électrique qui noircit la plupart du temps le tableau, cette troupe s’affirme avec un certain humour-noir, bien sûr. C’est une histoire vraie, dont Gombrowicz est sorti vivant !

Maison des Métallos, jeudi 13 septembre à 18 h 30 et 22 h 15, reservation@maisondesmetallos.org
www.compagniesquimots.com

Lubna Cadiot   par la compagnie de la Grange aux Belles, texte et mise en scène d’Anaïs Allais Benbouali.

Plusieurs générations se mélangent dans ce long monologue féminin, inspiré par l’histoire d’Hassiba Benbouali, grande cousine de la mère  d’Anaïs Allais Benbouali. Hassiba est morte à 19 ans en Algérie en posant des bombes pour le FLN. On voit d’abord Lubna prendre voluptueusement son bain, se sécher, enfiler lentement une robe longue. Elle prépare la cuisine devant une longue table, déploie et rattache sans cesse sa longue chevelure blonde, se transforme en petite-cousine, petite fille, grand-mère. Elle interprète sept personnages différents, des femmes dont on voit des images projetées sur grand écran.
Comme souvent, malheureusement le temps s’étire avec vingt minutes de  trop, mais on apprécie la belle présence de cette comédienne.

Maison des Métallos, 13 septembre à 20 h 30cwww.lagrangeauxbelles.org

Edith Rappoport

Tabou

Tabou texte et mise en scène de Laurence Février, avec la plaidoirie de Gisèle Halimi à la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence,  le 3 mai 1978

Tabou tabou

Le viol est un crime défini par la loi, et,  en même temps, indicible. Tabou. On en parle, et on ne peut pas en parler, « médusés », sidérés par la tête de Méduse, par l’horreur qu’il constitue. Il faudrait dire sidérées, car les victimes du viol sont en grande majorité des femmes : voir le bruit fait autour du livre d’Annick Cojean sur les « amazones », de Khadafi, son harem d’esclaves sexuelles, quatre fois détruites, dans leur corps, dans leur âme, dans l’honneur – hélas – de leur famille et dans la suspicion d’une complicité avec leur tortionnaire.
Une histoire vieille comme le monde : voir le mythe de Procné et de Philomèle, le beau-frère violant sa belle-sœur puis lui coupant la langue pour qu’elle ne raconte pas … Mais la belle a brodé l’histoire sur une tapisserie. Leçon retenue par Chiron et Demetrius, dans Titus Andronicus, la pièce la plus sanglante de Shakespeare : après l’avoir violée, ils coupent aussi les mains de Lavinia.
Laurence février et les comédiennes de Tabou ont choisi de ne pas représenter l’irreprésentable. La violence parle d’elle-même. Brigitte Dujardin a conçu un dispositif extrêmement simple : puisqu’il s’agit d’assises, un certain nombre de chaises seront dispersées sur la scène. Salle d’attente, salle d’angoisse, rumeurs confuses des autres salles d’audiences, rumeur intérieure du souvenir de la peur et de la peur du souvenir. Le corps de l’action est constitué par une rigoureuse « ronde » des interrogatoires des victimes. Chacune des comédiennes a son tour jouera et subira la nouvelle violence de cet interrogatoire : « des faits, madame, rien que des faits ».
Bien au-delà de la crudité et de l’impudeur qui lui sont imposées, la victime se trouve mise en accusation, a priori coupable. « Elle m’a provoqué » – une enfant de huit ans -, « elle était consentante » – terrorisée et à moitié assommée, « elle va détruire la vie de ce jeune garçon » – et sa vie à elle ? Et ainsi de suite. Glaçant.
La pièce finit heureusement par la belle plaidoirie de Gisèle Halimi aux Assises d’Aix-en-Provence : oui, il faut espérer, lutter pour une société où le viol n’existe plus, où les rapports d’égalité – on a envie de dire de liberté, d’égalité, de fraternité – entre les hommes et les femmes rendent un tel crime impossible et absurde. En attendant, c’est un crime, et quand une femme dit non, c’est non. Et que l’on sache bien qu’être vaincue, céder à la force n’est pas consentir.
Laurence Février et les comédiennes de Tabou (Anne-Lise Sabouret, Françoise Huguet, Carine Piazzi, Véronique Ataly, Mia Delmaë) ne font pas ici un théâtre documentaire : les interrogatoires sont la synthèse de multiples « cas » ; il n’y en a pas deux semblable, même si l’on peut en établir la terrible typologie, viol par un proche, viol conjugal, viol « en réunion »…
Le texte de la pièce est simplement vrai, on le sent, on le sait. Le spectateur n’est pas entretenu dans l’illusion de « personnages » : il voit les comédiennes changer de rôle et de fonction, tranquillement, il sait qu’il est au théâtre, et que ce théâtre c’est la présence d’une parole vraie, au moment où elle est dite, « dans le cercle de l’attention ». Après quoi les comédiennes peuvent saluer.
C’est très fort.

Christine Friedel

Théâtre du Lucernaire, 20h, jusqu’au 21 octobre, 01 45 44 57 34.

Le 15 septembre à 15, rencontre avec Geneviève Fraisse, auteure de Du consentement (éditions du Seuil, 2007) et Georges Vigarello, auteur de L’histoire du viol (éditions du Seuil, 1998). Informations juliechimene@gmail.com

…du printemps

Du Printemps ! Une proposition de Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulières, avec la participation de Patrice Chéreau.

 

Après le festival d’Avignon (voir Le Théâtre du blog du 18 août 2011), Thierry Thieû Niang offre au public du Théâtre de la Ville, cette danse à ces femmes et ces hommes âgés qui inversent le cours du temps. En 2013 , sera célébré le centenaire de la création du  Sacre du Printemps  d’Igor Stravinski, dont la  musique enregistrée dirigée par Pierre Boulez accompagne cette ronde chorégraphique qui prend toute son ampleur sur ce vaste plateau nu.
Mais, notable différence,  Patrice Chéreau vient cette fois dans un préambule de vingt minutes, lire des extraits des Carnets de Nijinski, où nous retrouvons toutes les fractures de ce danseur de Diaghilev, qui dirigea lui -même la chorégraphie du  Sacre du Printemps à sa création. Cette intervention donne une autre dimension au  spectacle, d’autant qu’il va intégrer cette ronde de vie, en accompagnant les danseurs. Patrice Chéreau apparaît dans un rayon de lumière, habillé de noir, pieds nus, il débute sa lecture très minimaliste des écrits de Nijinski. Fragiledans son intonation, sans pour autant s’identifier au mythique danseur, il évoque son rapport au monde « je suis Dieu » puis « je suis le théâtre » et à autrui, en particulier son lien difficile avec Serge Diaghilev et Igor Stravinski.
Et Chéreau dit  à la fin:
 » Soudain je me suis arrêté et j’ai compris qu’il n’était pas possible d’aller plus loin … Et Thierry Thieû Niang pourrait reprendre pour lui-même ces vers  des Fleurs du mal : Honteuses d’exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d’humanité pour l’éternité mûrs
Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,
L’œil inquiet fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j’étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins …
Je vous fais chaque soir un solennel adieu !
Où serez-vous demain, Eves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?

Jean Couturier

Théâtre de la Ville du 10 au 20 septembre

Le Centaure et l’Animal

Le Centaure et l’animal de Bartabas et  Ko Murobushi

Le Centaure et l’Animal Centaure-NabilBoutros31-pr-1MOL’accord tombe d’un piano, comme un glas et donne le coup d’envoi du spectacle, suivi d’un second, émanant d’un pied écrasant les touches noires et blanches, en un dés-accord profond. Une étrange forme noire perchée sur l’instrument se déplie, mi-doryphore mi-crapaud, créature au visage caché d’un tissu argent. En ce commencement du spectacle, la scène est fermée d’un tissu grisé, fluide et précieux comme la soie sauvage, qui frissonne, avant de disparaître aussi subtilement que se posent les éléments de la dramaturgie, de la scénographie, de l’univers sonore.

Les extraits enregistrés des Chants de Maldoror, de Lautréamont, dits par Jean-Luc Debatisse et la musique de Jean Schwarz, accompagnent cette créature informe : « Je voyais, devant moi, un objet debout sur un tertre. Je ne distinguais pas clairement sa tête ; mais, déjà, je devinais qu’elle n’était pas d’une forme ordinaire, sans, néanmoins, préciser la proportion exacte de ses contours ». Est-ce le poète, qui irradie un pouvoir maléfique et trébuche sur son chemin de Damas, allée de tissu blanc, tendue de jardin à cour ?
Accompagnant les fragments du poème, ce personnage à la lenteur sépulcrale, s’avance sur un chemin de ténèbres, jusqu’à passer de l’autre côté du miroir : « Voyageur, quand tu passeras près de moi, ne m’adresse pas, je t’en supplie, le moindre mot de consolation : tu affaiblirais mon courage». Ko Murobushi, l’un des artistes les plus célèbres du Japon, héritier des règles de Tatsumi Hijikata, à l’origine du Butô, se métamorphose, passant de l’animalité, insecte noir et repoussant à l’humain, corps enduit d’argent.
Et quand le rideau se déchire, il rencontre dans son errance autant de visions et mirages portés par Bartabas et ses chevaux derviches (Horizonte, Soutine, Pollock et Le Tintoret), précis, à la folie, comme leur serviteur et maître, concepteur, scénographe et metteur en scène du spectacle.
Les apparitions et disparitions, dans une scénographie aux rideaux glacés et d’un noir profond, travaillés comme des sculptures, sont de l’ordre du magique. La palette entière, par les costumes et la cendre du sol, décline ses gris anthracite ou de bure capucin et ses bruns obscurs, sous la lumière tout aussi magique de Françoise Michel, créant l’illusion et la fuite en avant des perspectives : « Maldoror s’enfuyait au grand galop, en paraissant diriger sa course vers les murailles du cimetière. Les sabots de son coursier élevaient autour de son maître une fausse couronne de poussière épaisse. Vous autres, vous ne pouvez savoir le nom de ce cavalier, mais, moi, je le sais ».
Quand les visions se font plus précises, on approche d’une mystique à la Jérôme Bosch dans Le jardin des délices et La tentation de Saint-Antoine, ou de Brueghel l’Ancien avec sa Chute des anges rebelles, ou les estampes de Dürer et l’étrangeté domine, par ces impressions d’optique hors du commun. Bartabas, drapé, comme les femmes couvertes des déserts, devient chauve-souris ou oiseau primitif et rejoue la fuite en Egypte.
Des images, d’une beauté convulsive, comme le dirait André Breton, traduisent les paysages intérieurs des Chants de Maldoror : un ciel qui se déchire à coups de foudre, alchimie noire recouvrant soudain d’argent, le plateau ; le cheval clair et son écuyer voilé de vermeil, comme le sang ; la glace sans tain et le jeu d’ombre, par le falot qui guide le cavalier et détache la transparence des voiles, aussi finement que dans la sculpture grecque ; une chorégraphie, dans l’osmose avec le cheval couché près de son maître ; une danse où le sabot rythme la psalmodie.
Perdus dans la brume et le lointain, comme dans un songe, les personnages se répondent, à leur manière et malgré la distance.A l’avant-scène, des geysers de sable lavent et transforment l’insecte en humain. A l’arrière-plan, la tête du cheval se pose au-dessus de l’homme, qui se fond à l’animal et devient Centaure. Nous sommes au cœur de la tragédie grecque, dans la métempsychose, le minéral, le cosmos et traversons ces Champs magnétiques chers aux surréalistes.
Dans cette épopée fantastique des Chants de Maldoror conçus par Bartabas, tout est grâce et magie, et le spectateur, pris de vertige, se consume au soleil noir du satanisme : « Mais, sachez, au moins, que celui-là, dont vous apercevez la silhouette équivoque emportée par un cheval nerveux, et sur lequel je vous conseille de fixer le plus tôt possible les yeux, car il n’est plus qu’un point, et va bientôt disparaître dans la bruyère, quoiqu’il ait beaucoup vécu, est le seul véritable mort».
Onze représentations exceptionnelles, après une tournée internationale et la brochure du spectacle, composée des superbes photos signées de Nabil Boutros: une aventure artistique à ne pas manquer.

Brigitte Rémer

MC 93, Maison de la Culture de la Seine-Saint-Denis, du 8 au 22 septembre 2012 – mardi, mercredi, vendredi et samedi, à 20h30, dimanche à 15h30. et aussi : reprise de Calacas, à partir du 2 novembre, au Théâtre Equestre Zingaro – Fort d’Aubervilliers.

Six personnages en quête d’auteur

Six Personnages en quête d’auteur, d’après Luigi Pirandello, mise en scène Stéphane Braunswchweig

Six personnages en quête d’auteur six-300x197Au dernier festival d’Avignon, ces Six personnages (voir la critique de Philippe du Vignal dans Le Théâtre du Blog) avaient laissé une bonne partie du public sur sa faim. Retravaillé, rentré dans les murs d’un théâtre, il a trouvé son chemin à la Colline.
Nous ne rappellerons pas l’irruption obstinée de cette famille  en plein mélodrame au milieu d’une laborieuse répétition, tandis que les acteurs pataugent dans le concret de leur travail. D’un côté,  le «réel» le plus théâtral qui soit, et de l’autre, la pratique de l’art,  la plus terre-à-terre (donc réelle) qui soit.
La mention: d’après Luigi Pirandello, a le mérite de situer les choses entre le texte consacré… et la représentation qui en est donnée. Le  débat est lancé par le groupe d’acteurs qui jouent les comédiens de la pièce (c’est clair ?) sur la légitimité de l’auteur, le respect dû au texte, la primauté de l’un sur l’autre, la lettre et l’esprit. Mais Stéphane Braunschweig ne s’est pas contenté de l’exposer mais a vigoureusement taillé dans le texte.
Il a laissé les six personnages – car chacun des six a son propre drame et sa place dans leur drame commun- faire irruption sur le plateau, et il a aussi reconstruit les scènes de comédiens. Il ne les a pas flattés, c’est le moins que l’on puisse dire : à la fois hésitants et péremptoires, avec un certain penchant pour le cliché et le lieu-communs où le metteur en scène saute lui-même à pieds joints – voir l’affaire du voile de la veuve dénoncé par notre ami Philippe du Vignal : est-on, oui ou non, dans le monde d’aujourd’hui ?
Mais cette ironie est au cœur du sujet. Où est le théâtre ? Et si ces comédiens étaient plus encore que les Personnages, en quête d’auteur ? Ne sont-ils pas les auteurs, pourtant irresponsables, de leurs improvisations ? Irresponsables, car, croyant être «créateurs», ils sont, malgré eux, prisonniers des fameux clichés et lieux communs. Et où est la vérité d’un acteur qui « joue faux » volontairement ?
Avec quelques projections  illustratives et autres prodiges technologiques nous montrant que sur scène tout est possible, on assiste ici à une succession de mini-bombes qui pulvérisent successivement les notions d’auteur, personnage, jeu et la réalité même du théâtre, en une sorte de réjouissant suspense intellectuel. L’émotion y perdrait, sans quelques sombres éclats de Caroline Chaniolleau (la veuve), sans le silence intense, très présent du jeune Anthony Jeanne (l’enfant). In fine, la statue funèbre de Pirandello en sort assez mi-figue mi-raisin.
Mais nous aurons pris plaisir et ri à ce jeu vertigineux d’équations à un nombre infini d’inconnues. Un, personne, cent mille, dirait Luigi Pirandello. parler d’une vision réductrice de la pièce. Ou alors d’une réduction chimique à forte concentration.

Christine Friedel

Théâtre National de la Colline, jusqu’au 7 octobre.

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LES PRÉCIEUSES RIDICULES

 

Les Précieuses ridicules de Molière, mise en scène de Pénélope Lucbert, musique d’Oskar Clark

Une pièce remise au goût du jour ou presque c’est dire dans le style années soixante avec guitare électrique, blousons de cuir, jeans et talons aiguille pour les deux Précieuses et costumes de la même époque pour les prétendants. Le spectacle a quelques longueurs mais le marquis de Mascarille et le vicomte de Jodelet essayent de séduire les  deux Précieuses avec brio et humour.
Les interprètes de Cathos et Magdelon sur-jouent un peu au début mais mettent bien en relief le ridicule de cette séduction et s’enfuient dans une déconfiture lamentable sous les malédictions paternelles. Quant aux prétendants venus les demander en mariage, ils triomphent facilement.
Le public est enthousiaste devant ce spectacle créé l’an passé par Pénélope Lucbert avec une troupe de quinze  acteurs…

Edith Rappoport

Théâtre du Lucernaire, rue Notre-Dame des-Champs,  Paris ( VI ème).

Le balcon de Juliette à Vérone

Le balcon de Juliette à Vérone

Le balcon de Juliette à Vérone dans actualites photo1“La jeunesse qui se borne au logis a toujours l’esprit borné: cette phrase de « Deux Gentilshommes  de Vérone de William Shakespeare, pourrait être un joli clin d’œil à transmettre aux couples qui se pressent avec fébrilité pour découvrir le fameux balcon de Juliette Capulet. Il est étonnant de voir le public visiter le lieu, pur produit de la littérature. Le récit mythique de l’histoire de Roméo qui fait sa cour à Juliette sous son balcon, dans la pièce prend forme dans la réalité de ce lieu. Ce balcon qui a été ajouté dans les années 1940 à un bâtiment datant du XII ème siècle, fait l’objet de l’adoration de nombreux couples.

Au point que les accès à la cour intérieure sont maculés de chewing gum, collés aux murs avec les prénoms des amoureux potentiels.

Une forme plus moderne de ce fétichisme, occupe le mur du fond avec les centaines de cadenas qui fleurissent, comme ceux de plus en plus nombreux sur les ponts parisiens. Ce qui, au final, confère au lieu une grande vulgarité. Alors que la ville dans son ensemble regorge d’une richesse architecturale remarquable. Colonie romaine au Ier siècle après J.C., elle a été classée, grâce à sa remarquable organisation urbaine totalement préservée, au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.

Il est surprenant aussi de découvrir sur un mur d’enceinte de la ville, la phrase de Roméo dans l’acte III scène III de la pièce de Shakespeare: “Hors des murs de Vérone le monde n’existe pas, il n’y a que purgatoire, torture, enfer. Être banni d’ici, c’est être banni du monde et cet exil-là c’est la mort”. Voilà comment une ville, en dehors de ses riches productions culturelles de spectacle vivant, fait le lien entre l’histoire et la littérature.

Jean Couturier

 www.comune.verona.it

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