Et la terre se transmet comme la langue
Et la terre se transmet comme la langue, de Mahmoud Darwich, Spectacle de Stéphanie Béghain, Olivier Derousseau et Isabelle Gressier
C’est une étape, dans un travail engagé depuis deux ans à la Fonderie du Mans, autour de l’œuvre de Mahmoud Darwich, qui marque la fin d’un temps de résidence au Studio-Théâtre de Vitry. Ecrit à Paris en 1989 et traduit par Elias Sanbar, son complice de toujours, le poème : Et la terre se transmet comme la langue, conduit à un chemin escarpé et tient de l’herméneutique, du chemin initiatique, de l’introspection, du cri au sens où Munch le jette sur la toile, du silence. Vingt-cinq pages d’un texte difficile, une heure de spectacle, un public aux aguets qui retient son souffle et hésite, au final, à applaudir avant de se retirer sur la pointe des pieds.Mais le spectateur qui aurait gardé en mémoire la scansion si particulière du poète-diseur et la musicalité de la langue arabe, se trouve un peu perdu.
Le personnage s’efface ensuite, hiératique, et passe de l’autre côté du mur, une toile noire plastifiée semblable à un miroir sans tain, dans laquelle, au départ, le public se reflète. L’endroit est beau, la profondeur du plateau permet l’errance. Le parcours ici est lent et dans l’extrême pénombre. On ne discerne plus les élément de la scénographie, de ce qui est intrinsèque au lieu : la verrière donnant sur un jardin, la porte ouverte, au fond, offrent leurs contre-jours et une petite lueur. Les contreforts de bois font penser à ceux des cathédrales, sorte d’étayages formant comme un couloir, ou une haie d’honneur. Un lit à peine effleuré, plutôt contourné, au lointain. Une chaise à l’avant, sur laquelle gisent deux morceaux d’une tasse cassée, symbole d’une Palestine déchirée.
Né en 1941 près de Saint-Jean-d’Acre, en Galilée, membre actif de l’OLP qu’il quitte pour protester contre les accords d’Oslo en 1993, Mahmoud Darwich se considère très vite comme réfugié dans son propre pays. Assigné à résidence pendant plusieurs années, à Haïfa, il a trente ans lorsqu’il quitte Israël, pour Le Caire, puis Beyrouth, avant de passer quinze ans en exil en France, puis de vivre entre la Jordanie et la Palestine. Il meurt en 2008 aux États-Unis et laisse une vingtaine de livres de poèmes (dont La poésie comme métaphore, Une mémoire pour l’oubli et plusieurs ouvrages en prose.)
Un cahier, Prélude pour une autre fois, composé de photos issues de la presse quotidienne, sans signature ni légende, est remis au spectateur, à l’entrée de la salle. Dédié aux opprimés de Palestine, c’est un abrégé de l’histoire du pays, de l’an 2000 avant Jésus-Christ au 30 juin 2012, complété de références bibliographiques. L’objet est pédagogique et généreux.
Rien que la voix, longtemps, comme une supplique, une imprécation douce, sans micro d’abord, puis avec chambre d’écho traduisant jusqu’aux chuchotements ; le hennissement d’un cheval ; quelques notes de piano, fragiles, puis un bruit assourdissant, inattendu, d’une pluie, non pas d’olives, peut-être des pierres de l’intifada. La robe a-symétrique de la comédienne, dévoilée en cours de jeu, d’un gris irisé, rappelle, en sa partie droite, une cote de maille ou les écailles d’une sirène. Les discrètes colonnes de lumière qui nous guident, à un moment du spectacle, augmentent la référence aux Troyennes et au théâtre grec.
Il y a dans la proposition des trois artistes signataires du travail (Stéphanie Béghain, Olivier Derousseau et Isabelle Gressier), quelque chose de désincarné et de l’ordre du déplacement, un espace décontextualisé. Difficile de se penser en Méditerranée, les senteurs et la sensualité, la vie, ne sont pas vraiment au rendez-vous. On nous offre pourtant un chant nocturne, d’une grande beauté. «Le poème dit le rapport personnel au réel et il essaie de transformer cette réalité concrète en une réalité de langue… Nous devons toujours accéder au poème comme si nous venions au monde pour la première fois, il y a toujours un fond mythique pour n’importe quelle œuvre poétique» disait Mahmoud Darwich, lors d’une rencontre publique organisée à l’Espace Boris Vian de La Villette, en mai 1997. Engagé dans une culture de résistance, il poursuivait : « Ce que j’ai voulu dire aussi, c’est que les faibles, les victimes, les battus, peuvent également écrire leur histoire »….
Brigitte Rémer
Spectacle présenté dans le cadre de : Ouverture(s) de septembre au Studio Théâtre de Vitry, les 28, 29 septembre et le 1er octobre
merci beaucoup
Une petite chose cependant qui nous a semblé cruciale. Nos avons eu le souci de placer ce texte dans un ici et maintenant, « loin de la Palestine », à l’image de ce film réalisé naguère par un collectif de cinéaste qui s’intitule « Loin du Vietnam ». Comment surprendre par le poème et nos histoires, l’effectivité d’une présence qui ne dit pas son nom, depuis un territoire ô combien séparé de nos existences mais dont les histoires nous hantent.
Bien cordialement
olivier derousseau