Le Roi des bois

Le Roi des bois  Le-Roi-du-Bois@Pascal-Gély
Le Roi des bois
de Pierre Michon, mis en scène de Sandrine Anglade, musique originale de Michèle Reverdy.

Pierre Michon s’était fait connaître à 37 ans en 84,avec la publication des Vies minuscule s-ce livre formidable qui avait reçu le prix France-Culture cette même année. Ses textes, -dont  Le Roi de bois- traduits maintenant en plus de huit langues-s’apparentent à des poèmes en prose, et on sent chez lui une véritable passion pour l’oralité  et  la musique des phrases, telle que pouvait la concevoir, entre autres  un Bossuet. La langue de Michon, comme le rappelle justement Sandrine Anglade, est toujours d’un grand raffinement et on peut « goûter l’articulation sonore des mots comme on prend plaisir  à faire résonner la musique d’un poème ».
 Ce Roi des Bois est  une sorte d’histoire ou plutôt de conte,  où Gian Domenico Desiderii nous parle de sa vie d’enfant à la campagne, puis de  valet et d’homme à tout faire dans l’atelier de Claude  Le Lorrain pendant quinze ans. Cela se passe dans un monde très rural, où les villes, même importantes, n’étaient jamais loin des champs.(A Paris, le Boulevard Saint-Marcel possédait encore des vignes au 19 ème siècle, et Hemingway achetait, dans les années 30, des fromages à une  chevrière qui passait avec ses bêtes  rue d’Assas!).
Le Roi des bois
dit cette imprégnation avec la nature de l’enfant  puis de l’homme fait, . Le petit pâtre pauvre de douze ans,  découvre par hasard le luxe et la beauté… Quand il emmène en été ses porcs dans une chesnaie,  une jeune princesse  descend d’un carrosse aux bandes d’azur, relève  ses jupons de dentelle  pour aller pisser dans les fougères.  » Le cocher regardait ailleurs, policé et bestial. Le jet dru de la belle s’épuisait ; le prince lui dit une gentillesse, assortie d’un mot abject qu’on réserve aux plus basses catins ; il souriait plus franchement, plus tendrement. Les mains de la femme se crispèrent dans la dentelle qu’elles troussaient, et elle eut un gloussement peut-être servile, suppliant ou ravi, qui me combla ; elle avait relevé la tête et le regardait aussi. J’imaginais ce regard comme du sang. De hautes fleurs blanches fleurissaient contre ma joue. Tout cela était plein de violence indifférente, comme les cieux à midi, comme la cime des forêts. »

  Tout est dit: les hommes et les bêtes, les princes et les paysans, le soleil d’été et la nature , et les fleurs des sous-bois,, et le corps des belles femmes qui ne sont pas astreintes aux travaux des champs. Le petit garçon, amer et déçu, devenu  valet  au service d’un grand peintre mais pas plus, verra vite la fin de ses illusions, et la dernière phrase a quelque chose d’horrible: « Maudissez le monde, il vous le rend bien. » Quelle langue, quelles sonorités, quelles images!
  Le Roi des bois a quelque chose d’ absolument musical et Sandrine Anglade qui a monté nombre d’opéras ne pouvait y être insensible et a donc demandé à Michèle Reverdy de composer ce qu’elle appelle un « opéra parlé ». Cette compositrice a donc imaginé « une partition musicale comme un véritable protagoniste de l’action scénique » avec un quatuor à cordes dont les instrumentistes seraient sur scène et où interviendrait la voix chantée d’une enfant. » L’histoire musicale se racontera en contre-point du texte, intimement tissé avec ce texte, sans néanmoins en être réduite à l’état de simple paraphrase illustrative » . Vous suivez? Nous, pas très bien!
  Le texte de Michon, admirablement écrit, est d’une verve, d’une chaleur et d’une étonnante sensualité, la mise en scène de Sandrine Anglade est particulièrement soignée, (on oubliera quelques fumigènes inutiles), le quatuor Varèse  joue bien une musique intelligente, le petit chanteur( Michaël Oppert) a une voix merveilleuse de fraîcheur, la scénographie  de Claude Chestier-des toiles transparentes hissées puis redescendues-est tout à fait remarquable et rappelle les grandes voiles des bateaux chez Le Lorrain, les lumières d’ Eric Blosse, souvent rasantes et dorées comme les célèbres couchants du peintre,  sont d’une rare poésie,  et Jacques Bonnafé reste  l’excellent comédien qui, en solo ou pas, a toujours une parfaite maîtrise du texte.
Oui, mais désolé,  le spectacle  ne fonctionne pas vraiment! La faute à quoi? Sans doute à ce concept d’ »opéra parlé », dont on a quelque mal à entrevoir l’exigence. Qu’apporte vraiment la musique au texte de Michon déjà très musical, quelle que soit par ailleurs la qualité de la partition et de l’interprétation? Et comme trois violons, un alto et un violoncelle développent un volume musical déjà important, il a fallu équiper Jacques Bonnafé d’un micro HF,  ce qui donne l’ absence habituelle  de nuances et une uniformité dans la voix dont le  comédien n’est pas responsable mais qui gêne l’écoute et qu’on aurait pu nous épargner. Et du coup, on décroche vite et ces soixante dix minutes n’en finissent pas de finir. Seul, sans micro, sans accessoires ou presque, Jacques  Bonnafé, a très souvent prouvé qu’il pouvait prendre à bras le corps un texte et nous le faire vivre de façon incomparable,  et on se disait à la sortie qu’il aurait encore pu nous ensorceler, surtout avec un texte d’une telle qualité orale… Dommage, et pour Pierre Michon,  et pour Jacques Bonnafé…

Philippe du Vignal

Théâtre 71, Malakoff jusqu’au 13 octobre; puis en tournée. Rencontre avec Pierre Michon samedi 5 octobre à la Médiathèque de Malakoff.
Le Roi des bois est édité chez Verdier; les autres textes de Michon chez Gallimard et chez Verdier.

 

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