Que faire de Mr. Sloane
Que faire de Mr. Sloane de Joe Orton, adaptation de Vanasay Khamphommla, mise en scène de Michel Fau.
Cela se passe à la Comédie des Champs-Elysées qui va fêter son centenaire! Et qui fut le théâtre de Louis Jouvet… Joe Orton, le nom de ce dramaturge anglais ne dira probablement rien à la majorité de nos lecteurs. Assassiné en 67 par son amant, qui était jaloux de sa renommée et à qui il avait dédié la pièce, il fêterait ses 80 ans l’année prochaine. Que faire de Mr. Sloane, dès qu’elle fut créée en 64, connut le scandale mais reçut le prix de la meilleure pièce au London Critics Variety.
Etre homosexuel à l’époque était encore passible de poursuites judiciaires dans le pays de sa gracieuse Majesté Elizabeth! Et fort mal vue en France. La pièce a, depuis, souvent été représentée, et notamment chez nous, sous le titre Le Locataire.
C’est sur un thème bien connu au théâtre: l’arrivée dans une famille d’une sorte d’ange exterminateur qui va bouleverser la vie d’une famille qu’ Orton a fondé l’histoire d’un jeune homme de vingt ans, Mr. Sloane qui débarque un jour chez Kathy pour lui louer une chambre. Kathy, la quarantaine, habite avec son père une pauvre maison dans la banlieue de Londres. Tout de suite ou presque, elle se prend de passion pour ce beau jeune homme inquiétant, et on la sent prête à tout pour qu’il veuille bien lui faire l’amour. Quelques mois plus tard, elle finira par avouer qu’elle est enceinte de lui…
Mais, dès le début, les choses ne sont pas du tout dans l’axe: le père âgé de Kathy accueille en effet Mr. Sloane avec la plus grande méfiance. Il lui dit tout de suite qu’il semble reconnaître en lui le meurtrier de son patron photographe. Ce qui introduit un drôle de climat et qu’évidemment le jeune locataire va nier .
Arrive alors, Eddy, le frère de Kathy, qui a de faux airs de respectabilité: blazer bleu foncé à boutons dorés et cravate rouge rayée, qui possède une petite entreprise. Même s’il a bien compris les intentions de sa chère sœur, il va sans aucun scrupule draguer Mr. Sloane.Des quatre personnages, seul le père âgé mériterait quelque compassion. C’est la victime désignée d’un chantage auquel le soumettra Mr. Sloane, aussi veule que sadique. Mais, victime des ses violences physiques, le papa meurt d’un arrêt cardiaque. Ce qui va évidemment compliquer la vie des trois . Même si Eddy, pragmatique et cynique, arrive à reprendre la situation en mains.
» Dans un monde dirigé par des fous, tout ce qu’un écrivain peut faire, écrivait Joe Orton avec lucidité, c’est rapporter les agissements des fous et de leurs victimes. » Effectivement, ici, la perversité des propriétaires n’a d’égal que celle du locataire. On baigne dans le glauque, le cruel, la grande pauvreté, et le chantage sexuel sur fond de sadisme; on est au-delà de ce que l’on appelle d’ordinaire la mauvais goût. C’est une sorte de farce à la fois sinistre et drôle qui s ‘affiche comme telle et qui fait quand même parfois rire, où les personnages sont tous les trois sont emportés dans une sorte de délire sexuel…
Joe Orton s’amuse visiblement avec le langage de ses marionnettes-les dialogues sont d’une vulgarité et d’un cynisme cinglants- et il n’hésite jamais à en rajouter une louche , quitte à s’offrir un mot d’auteur facile. Ce qui donne à la pièce des airs de boulevard, alors qu’elle mérite mieux que cela.
Elle n’ a en effet pas si mal vieilli, même si elle a bien des longueurs, du moins dans l’adaptation qu’en a faite Vanasay Khampommia. Et, malgré une certaine tendance au bavardage, les dernières scènes, avec ce chantage réciproque entre trois pitoyables salauds qui ne voudraient jamais se l’avouer, sont d’une grande force, habilement traitées cette fois par Michel Fau. Il y a même, à ce moment-là, comme une parenté avec Pinter.
Reste à savoir comment on peut monter la pièce , cinquante ou presque après sa création. Michel Fau, sublime acteur, n’a pas vraiment réussi son coup; il a choisi de réunir comme il dit » de fortes personnalités »… On veut bien, mais s’il se dirige très bien dans le rôle d’Eddy, il laisse la bride sur le cou aux autres comédiens, et la mise en scène a quelque chose d’un un peu cahotant. Charlotte de Turckheim, applaudie dès son entrée en scène (on est dans le théâtre privé), en fait des tonnes dans ce rôle pas facile de femme vulgaire, frustrée et érotomane. Ce qui est sans doute une erreur et qui finit par rendre peu crédible son personnage.Il y a un second degré que l’on aurait bien aimé percevoir dans son interprétation mais n’est pas Jacqueline Maillan qui veut! Jean-Claude Jay, grand acteur vitézien, fait le boulot sans être vraiment à l’aise. Quant à Gaspard Ulliel, que l’on a vu davantage dans des séries télé et au cinéma, il semble avoir bien du mal, surtout au début, à prendre ses marques sur un plateau de théâtre.
Mais il y a un petit bijou : la scénographie hypperréaliste et d’une grande intelligence de Bernard Fau qui aide beaucoup les choses. Imaginez une cuisine/salle à manger des plus minables avec un authentique mobilier des années cinquante, table basse en faux bois, chaise avec siège et dossier en vinyl rouge, tabouret recouvert de peluche synthétique , canapé à fleur usé, placards crème qui n’ont pas vu la peinture depuis longtemps, sous un plafond sale qui porte les stigmates de fuites d’eau, une cheminée avec un faux feu de bois, des murs couverts de papier peint et des rideaux d’une accablante tristesse.
Il y a aussi des bibelots tout aussi tristes: la reproduction d’une peinture de tête de cheval dans un cadre en plastique doré, une photo de chat encadrée, des petites porcelaines représentant des Horse Guards… Et une vieille plante verte complètement desséchée. Cerise sur le pudding: Bernard Fau s’est amusé comme un fou avec créer, jusque dans les portes de placard, une inutile perspective! Les fenêtres à guillotine de cette pauvre petite maison donnent sur une décharge, vieux vélo et déchets divers qui ne cesse d’augmenter jusqu’à déborder dans cette minable salle à manger, métaphore évidente d’une situation qui se dégrade à grande vitesse…
Alors à voir ? Oui, si vous voulez découvrir l’univers sado-maso de Joe Orton et voir l’excellent acteur qu’est Michel Fau, tout à fait remarquable dans ce rôle de personnage veule qui tire les ficelles. Pour le reste, le compte n’y est peut-être pas tout fait…
D’autant que les places ne sont pas données: de 50 à 20 euros… A vous de décider. (Le tableau de Richard Lindner qui sert d’affiche est sublime).
Philippe du Vignal
Comédie des Champs-Elysées. T: 01-53-23-99-19 jusqu’au 31 décembre. Du mardi au samedi 20h30 et le dimanche à 16h00
Dans une des nombreuses critiques négatives de cette pièce on a pu lire » nous attendions avec impatience l’entracte afin de mettre fin à ce calvaire » pareil pour nous. une torture, qui nous a couté quand même 100 €. Même les provinciaux assis derrière nous, prêt à tout afin de s’amuser à Paris étaient very quiet. Un très mauvais moment à passer.
Alors là je suis d’accord totalement : pour le décor de Bernard Fau « magique et immense » et pas du tout sur le jeu des autres comédiens, mais c’est finement jeté cette critique, et comme dit mon cheval, on a le droit totalement d’aimer ce qu’on veut, mais ce qui est très bien aussi c’est la force heurtoir des jeux différents d’acteurs qui jouent la même pièce. C’est avant tout une pièce qui fait rire et qui doit déranger.
Mais aujourd’hui on parle des handicapés physiques surtout plus des fous des handicapés mentaux, des border-line, aujourd’hui tout le monde instaure le costume normatif d’appartenance à sa tribu, comme à son entreprise, les exclus ils en font trop…
ET PUIS IL FAUT ARRÊTER AVEC JACQUELINE MAILLAN, elle est différente Charlotte de Turkheim mais elle est très percutante, surprenante et touchante dans ce rôle… Je parle en connaissance de cause j’ai joué « La vierge folle »(des gens du public étaient touchés et d’autres dont des amis un ancien de mes profs de théâtre : m’ont fait un scandale, ne me reconnaissaient pas) dans un spectacle avec Michel Fau justement. Mais il est exact que Michel Fau n’est pas Jouvet et Charlotte de Turckeim n’est pas Maillan. Et qu’on n’a pas l’habitude de voir Charlotte de Turkheim dans ce registre. Mais open your eyes vos bras…. vos oreillettes du coeur
L’affiche est en effet superbe, et merci pour Richard Lindner !
Elle est vendue 2 euros, au théâtre, mais pour le reste …
Hg